La Démocratie Libérale, la Troisième Voie et le Socialfuturisme

Troisième texte écrit en anglais par Amon Twyman, transhumaniste britannique à l’origine du premier parti politique transhumaniste européen (TPEU), et traduit en français par Audrey Arendt.

Publié le 28 mars 2016, par dans « transhumanisme »

NB : suite de la série de trois textes écrits en anglais par Amon Twyman, transhumaniste britannique, fondateur de “Zero State” et à l’origine du premier parti politique transhumaniste européen (TPEU). Publication originale : IEET 2014.

Merci infiniment à Audrey Arendt pour la traduction

par Dr M. Amon Twyman

 

Le post suivant fait partie d’une série de plusieurs textes et fait également suite à deux posts sur la philosophie du socialfuturisme :

« La revolution socialfuturiste et le Zero State » (version originale)

« La boîte à outils des principes sociaux-futuristes. » (version originale)

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DÉMOCRATIE LIBERALE ET AUTORITARISME

 

Les nations développées du monde occidental se caractérisent actuellement par un système auquel l’on se réfère par « démocratie libérale »*. Très récemment encore, les partis politiques majeurs avaient tendance à converger vers une position démocrate libérale manifestement modérée et centriste. Cette position se détermine d’un côté par la démocratie représentative et de l’autre, par son engagement auprès du libéralisme (à la fois économique et social, avec l’accent mis sur le libéralisme de marché). Les promoteurs de cette conception du monde la présentent généralement comme la seule alternative éthique et viable, antagoniste aux formes d’organisations sociales autoritaires.

 

Bien évidemment, cette version du monde a été remise en question un bon nombre de fois lors des dernières décennies. Lorsque les affaires allaient plutôt bien pour la démocratie libérale, ces critiques ne pouvaient jamais capter sérieusement l’attention du public, et il n’était rien de plus facile pour l’establishment que de les marginaliser, en invoquant leurs tendances coutumières envers des idéologies discréditées telles que le marxisme. Cependant, les choses changèrent depuis la grande crise économique mondiale. Pour le dire plus simplement, ça ne va plus aussi bien pour la démocratie libérale, et il n’est plus si simple de congédier ses alternatives d’un revers de main négligeant. Nous discuterons de ces alternatives dans les parties 2&3, car nous allons d’abord examiner cette allégation d’après laquelle, la démocratie libérale et l’autoritarisme seraient deux conceptions diamétralement opposées.

 

Je soutiendrais que non seulement la démocratie libérale contient une composante autoritaire (ou au moins qu’elle n’est pas tant libérale ni démocratique qu’elle prétend l’être), et qu’elle favorise en plus des formes plus directes d’autoritarisme – y compris totalitarisantes – dans les pays en voie de développement, en s’appuyant sur celles-ci pour justifier son programme. Je vais ici considérer brièvement trois aspects de cette relation complexe : l’historique des gouvernements démocrates-libéraux (à la fois au Royaume-Uni. et à l’étranger), la relation symbiotique entre les démocraties libérales et les gouvernements directement autoritaires, et les tendances flagrantes parmi les défenseurs de la démocratie libérale les plus extrêmes, d’un point de vue idéologique.

 

  1. L’échec moral de la démocratie libérale

 

La démocratie libérale est régulièrement présentée comme le plus éthique des systèmes politico-économiques, par son apparente propension à donner la parole aux peuples et à garantir leur liberté d’agir comme ils le veulent dans les règles de la société. Je crois que ce sont non seulement de fausses affirmations, sur de nombreux points déjà au niveau national, mais aussi que les politiques étrangères – officielles et officieuses – des démocraties libérales refusent ces mêmes libertés aux peuples d’autres pays.

 

Á l’échelle nationale, je crois que la démocratie représentative est tout sauf une véritable démocratie. C’est un système qui permet aux gouvernements de donner une impression de démocratie tandis que leurs partenaires privés favoris et eux-mêmes, agissent plus ou moins comme il leur plaît. Les partis démocrates-libéraux centristes contrôlent les parlements par une sorte d’arrangement façon « porte tambour », ce qui, couplé à leurs programmes politiques de moins en moins différenciés, signifie que les élections ne reposent sur aucun choix véritable. Il est vrai que l’argument qui tient l’expertise pour une compétence décisive, en faveur de la prise de décision par méritocratie, est un argument qui se défend ; et pourtant, de nombreuses décisions sociétales qui sont actuellement prises de manière centralisée, pourraient l’être par référendum et par démocratie directe distribuée (selon le principe de subsidiarité).

 

En outre, la prétention démocrate-libérale à la « liberté » tend à ne se rapporter à rien de bien censé pour le citoyen qui n’est pas économiquement autosuffisant. Elle n’est au contraire qu’un nom aux connotations amicales pour les politiques qui donnent carte blanche aux corporations en matière d’intérêts sociétaux au sens large. Là-dessus, je dirais même que l’idéologie de la démocratie libérable s’organise autour de la défense de l’un des aspects les plus dysfonctionnels du capitalisme, et qu’il est pratiquement impossible d’évaluer une facette de ce système de croyances sans en évaluer l’autre. Autrement dit, la « démocratie libérale » n’est pas tant l’idéologie d’une véritable liberté que celle du capitalisme.

 

Tenter de faire comprendre aux gens des pays développés, que la démocratie libérale n’est en vérité pas très libérale, ni même démocratique, peut se révéler difficile, particulièrement en temps de prospérité. Quand le capitalisme remplit les frigos, les gens ne sont pas très enclins à se laisser inquiéter par le fait qu’ils n’ont pas la moitié des libertés ou de la démocratie dont ils s’imaginent jouir. Internationalement, toutefois, il est plus aisé de se rendre compte que les ratés de la démocratie libérale parlent plus fort que de simples mots. Hormis les soutiens occidentaux aux régimes autoritaires (voir ci-dessous), nous remarquons une série d’interventions militaires non-stop depuis la seconde guerre mondiale. Ces guerres ont commencé par profiter à certains capitalistes, de manière indirecte (ex : la plupart des entrepreneurs de complexes militaro-industriels), mais au regard des dernières décennies, il est maintenant évident que la guerre en elle-même est un exercice de profit et que la plupart de ce profit provient du pétrole. En dépit d’une abondante rhétorique modérée et humanitaire, l’occident ne s’engage jamais sérieusement dans la reconstruction des pays dévastés, sauf lorsqu’il s’agit d’y installer un régime « client » autoritaire.

 

  1. La symbiose entre la démocratie libérale et l’autoritarisme

 

L’occident – principalement illustré par les États-Unis – présente un épouvantable historique en termes d’implantation et de soutien aux régimes autoritaires, dans des pays dotés de suffisamment de valeur pour être États-clients, mais ne pouvant prétendre à une évolution au court terme vers une démocratie libérale épanouie. J’hésite à faire porter le chapeau aux seuls américains, parce que les autres grandes puissances se le sont permis par le passé, et n’hésiteraient probablement pas à le refaire dans le futur si l’opportunité se présentait. Pour l’instant, toutes les autres puissances majeures semblent se ranger sous la catégorie « État-client des E.U » ou « concurrents émergents ».

 

Je ne doute pas que nombreux seraient les supporters de la démocratie libérale à citer la realpolitik et soutenir que la plus bienveillante des superpuissances même, se verrait forcée d’opérer avec stratégie, dans un contexte général où les partenaires sont tout sauf idéaux. Soit. On peut cependant qualifier d’une autre façon, tout aussi valable, ce qui lie les démocraties libérales de l’Ouest et leurs partenaires autoritaires de l’Est et du Sud. En disant qu’ils sont deux faces d’une même pièce ou deux partenaires d’une même relation symbiotique. Les États-clients autoritaires bénéficient incontestablement du soutien occidental, le plus souvent sous la forme d’aide logistique et/ou militaire (ex : le cas du régime d’Augusto Pinochet au Chili). L’analyse s’applique également à ceux qui ne sont pas États-clients, comme les moudjahidines afghans.

 

Les démocraties libérales profitent de ces relations essentiellement avec l’ouverture de nouveaux marchés, bien qu’il y ait parfois des bénéfices stratégiques additionnels de manière à retenir de tels clients. Les défenseurs de la démocratie libérale répètent invariablement la même rengaine quant à la création de marchés : qu’il s’agit de diffuser la « liberté » et la « démocratie », alors que tout ce qui est exporté, n’est en vérité rien d’autre que le capitalisme. Le manque de véritable liberté et de véritable démocratie que nous observons dans les démocraties libérales est encore plus flagrant dans ces États-clients, où les régimes autoritaires permettent aux corporations étrangères d’agir le plus souvent selon leur gré, sans l’ombre d’une régulation, aussi raisonnable fût-elle. Forcément, c’est une aubaine pour les entreprises les plus puissantes, celles qui déterminent les politiques officieuses des gouvernements occidentaux au travers du lobbying et du contrôle des institutions centrales.

 

En bref, il nous est dit que la démocratie libérale se dresse contre l’autoritarisme alors qu’elle n’est ni fondamentalement libérale (dans le sens de garantir une liberté réelle), ni fondamentalement démocratique (dans le sens où les gens auraient réellement voix au chapitre), et qu’elle alimente délibérément l’autoritarisme, de manière à étendre les sphères d’influence du capitalisme. Tous les régimes autoritaires ne sont pas le résultat d’un capitalisme hors de contrôle, loin s’en faut, mais j’ai le sentiment que nous nous devions de répondre à cette conception fallacieuse, qui oppose deux phénomènes en réalité très intimement connectés.

 

Sans vouloir passer trop rapidement sur des vérités complexes, il est souvent utile d’attirer l’attention sur des idées conséquentes avec l’emploi d’une métaphore simple ou d’un raccourci. Nous pouvons résumer l’idée de cette relation symbiotique complexe entre les démocraties libérales de l’Ouest et les différentes formes de régimes autoritaires de l’Est et du Sud, en la pensant comme un spectacle de marionnettes. Nous pourrions assister à ce spectacle et remarquer un conflit apparent entre deux personnages, lorsqu’il n’y aurait en vérité, derrière la scène, qu’un seul animateur, le marionnettiste. Il ne faut pas non plus prendre cette image de manière trop littérale, et se laisser aller aux malencontreuses théories de la conspiration dans lesquelles une poignée de gens orchestreraient les évènements mondiaux depuis « les coulisses ». Tout ce que je dis, c’est que là où l’on nous raconte qu’il existe deux entités séparées porteuses de valeurs et de motivations différentes – les démocraties libérales du premier monde et les régimes autoritaires du second et du tiers-monde – il n’en existe en vérité qu’une seule.

 

L’image que je viens d’élaborer dépeint l’étroite coopération entre les gouvernements occidentaux et les corporations. D’autres, avec moi, ont par le passé caractérisé ce phénomène comme relation « corporatiste », et les diverses significations que ce terme peut revêtir nous conduisent à des complications que nous n’avons pas le temps de traiter ici. Grosso modo, nous pouvons définir un système de gouvernance corporatiste comme « un système dans lequel le gouvernement et les affaires s’entremêlent intimement et de manière délibérée. » L’essence du corporatisme est de faire grandir son influence et d’utiliser tout moyen à disposition pour atteindre cette fin. Le gouvernement est utilisé pour étendre les entreprises commerciales des corporatistes, et les entreprises privées sont réciproquement utilisées comme outils de gouvernance. Qui plus est, alors que la séparation entre public et privé s’érode, le corporatiste utilise volontiers les appareils autoritaires des autres États pour atteindre ses buts là où il en rencontre la nécessité. Le corporatiste ne connaît pas de limite et ne possède ni de sentiment de loyauté ni d’identité qui risquerait de l’empêcher de miser sur tous les fronts.

 

  1. Les paradoxes idéologiques intrinsèques à la démocratie libérale

 

Étant donné que la démocratie libérale est le déguisement idéologique par excellence pour notre système corporatiste actuel, il est étonnant que l’aile droite ou économique du mouvement libertarien s’oppose au corporatisme, l’accusant d’être une « corruption » du véritable capitalisme, lorsque l’on peut légitimement avancer en même temps que le libertarianisme est l’avant-garde idéologique de la démocratie libérale. Á l’extrémité du libertarianisme économique nous rencontrons les anarcho-capitalistes, qui poussent les principes fondamentaux du libertarianisme économique au bout de leur logique, en se montrant de ce fait, très éclairant sur les tendances et croyances centrales de ce mouvement. Quand les libertariens penchent en faveur d’un appareil d’État réduit au strict-minimum (« dit Veilleur de nuit »), les anarcho-capitalistes n’en tolèrent aucun. Quand les libertariens prétendent prioriser les libertés personnelles et sociales alors qu’ils mettent en réalité l’accent sur les libertés économiques, les anarcho-capitalistes proclament invariablement que la liberté économique est la racine de toutes les libertés.

 

Les problèmes que j’ai soulignés en ce qui concerne la démocratie libérale sont particulièrement saisissants sous leur avatar libertarien. En me faisant avocat du libertarianisme, je dirais que l’impulsion principale de ceux que nous pourrions appeler les libertariens « de bonne foi » est de défendre les libertés personnelles de toute sorte, ce qui est entièrement louable. Le problème est celui de la démocratie libérale dans son ensemble ; le fait que trop souvent, lorsque les libertariens économiques parlent de « «liberté », est sous-entendu la liberté des grandes organisations d’agir comme elles l’entendent, pendant que les citoyens humains ordinaires, censés être libres en principe, sont asservis à la conjoncture. La « conjoncture » à laquelle je fais référence est communément connue en termes de violence structurelle. Autrement dit, la liberté des entreprises se réalise aux dépends de la véritable liberté des gens ordinaires, lorsque celle-là est poussée trop loin.

 

Le libertarianisme fait très clairement ressortir ce paradoxe intrinsèque à la démocratie libérale.  La démocratie libérale est en vérité l’idéologie d’un capitalisme tardif, dans lequel les idéaux progressifs de liberté et de démocratie sont pervertis au service des besoins de l’establishment corporatiste. Les hérauts libertariens (de droite, économiques) tels qu’Ayn Rand racontent des histoires dans lesquelles des innovateurs du genre Übermenschen se font oppresser par de méchants collectifs : ces histoires enfantines reflètent la peur et la haine infuses du libertarianisme envers la vraie démocratie.

 

La réalité n’est jamais aussi simple qu’une histoire d’Ayn Rand. Comme je l’ai plus amplement développé ailleurs, le capitalisme a été une puissance motrice du bien sur de nombreux plans, et il existe des puissances autoritaires opposées au capitalisme qui représentent de bien plus grandes menaces pour la civilisation. Aussi, bien qu’il soit bon de reconnaître le problème du corporatisme et d’aspirer à une véritable liberté, c’est d’une ironie particulièrement tragique que de s’imaginer pouvoir résoudre ce problème en devenant un supporter du système démocrate-libéral.

 

Les deux prochaines contributions à cette série seront consacrées aux alternatives à la démocratie libérale. De même qu’une alternative souhaitable se devrait d’être plus réellement démocratique dans les faits, elle s’en trouverait aussi plus réellement libérale, et digne de considération par ces activistes qui recherchent un meilleur paradigme, plutôt que de se faire une fois de plus manipuler comme des pantins sous les fils du système actuel.

 

* Il convient de noter que lorsque je me réfère à la « démocratie libérale » et aux « démocrates-libéraux » en particulier, je fais référence au système politique au sens large et non aux partis politiques qui en partagent le nom (ex : le parti démocrate-libéral du Royaume-Uni). De tels partis sont cependant très enthousiastes envers le système que je critique dans cet article.