Transhumanisme au Cameroun !

Le 31 Mars dernier, une première conférence de présentation sur le transhumanisme a été donnée à l'université de Yaoundé 1 par Armand NGAKETCHA, philosophe et bioéthicien.

Publié le 9 mai 2015, par dans « Passages médias »

Nous lui avons demandé de nous donner ses impressions sur la manière dont la question lui semblait avoir été reçue.

 

LE TRANSHUMANISME VU DE L’AFRIQUE : Hypothèses générales après une conférence donnée à l’Université de Yaoundé 1.

Le 31 Mars dernier, j’ai eu le plaisir de faire connaitre le concept et plus ou moins l’idéologie transhumaniste à la communauté étudiante de l’Université de Yaoundé 1, au Cameroun. J’avais voulu que ce soit un échange fructueux  mais l’objectif poursuivi était entre autre de faire connaitre le transhumanisme en général et la particularité du Technoprogressisme, dont je me réclame. J’ai intitulé cette communication « la mort de la mort : autour de la pertinence du concept de singularité technologique comme paradigme épistémologique du XXI ème siècle ».

Dans ma note introductive, j’ai rappelé brièvement les origines du transhumanisme en réitérant sa posture profondément philosophique et ses contours techno-optimistes. Globalement, l’idée qui m’a semblé juste d’implémenter auprès de cette jeune communauté étudiante, est cette démarcation rigoureuse qu’il faut établir entre le transhumanisme étasunien (Ray KURZWEIL) et le technoprogressisme (James HUGHES). Car à la vérité, le camerounais lambda, très moins habitué à la science-fiction, très éloigné des recherches de haute facture qui se font dans les plus grands laboratoires du monde, retiré des politiques actuelles à tendance technocratique, et cramponné dans un malaise culturel et intellectuel très peu progressiste, universitairement réactionnaire, est doublement surpris : surpris de son ignorance et surpris des avancées de la science et de la technologie. Cependant, et curieusement, il a tôt fait de l’assimiler, avec une facilité irresponsable, à du non-sens et à de l’imprescriptible. Le camerounais lambda et  l’intellectuel universitaire sont assimilables ; ils ont certes tous deux des niveaux d’éducation très différents, mais ils pensent socialement de la même manière. Leur parler d’objets connectés, de longévité grâce aux progrès de la science et de la technologie, d’amélioration des capacités cognitives et des performances physiques, bref d’anthropotechnologie, correspond pour eux à une illusion absolue, une « chimérisation » fantasmatique aux allures magico-religieuses.

La conférence que nous avons tenue nous a permis de fixer les appréhensions : « Le transhumanisme, m’a révélé poliment un jeune étudiant en Histoire, n’est pas conseillé. »  Il a écrit sur un bout de papier qu’il m’a remis avant de s’en aller, tout en s’excusant pour indisponibilité, ceci : « vous êtes brillant et j’ai beaucoup apprécié le caractère interactif de votre exposé. Je suis désolé de ne pas assister à l’intégralité de la conférence qui est d’ailleurs forte intéressante. Pour moi le transhumanisme est un danger moral et éthique, sauf si je n’ai pas compris ce que c’est. Merci. » J’ai gardé précieusement ce bout de papier et c’est cette dernière phrase qui m’a beaucoup retenue « pour moi le transhumanisme est un danger moral et éthique, sauf si je n’ai pas compris ce que c’est ». J’ai tenté en vain de comprendre en quoi améliorer les capacités humaines en général, autant que cela est possible, pourrait être considéré comme un danger à la fois moral et éthique. Moral, alors j’aurais pu le comprendre ! Car de tout temps, la morale est restée figée dans des archétypes traditionnels et religieux, très peu proversifs ; Ethique, et je me suis demandé si le jeune étudiant prenait les deux pour des synonymes ! Mais je crois qu’il était très clair et qu’il distinguait intellectuellement la morale de l’éthique. Ainsi, me suis-je demandé, en quoi le transhumanisme pouvait éthiquement être un danger ? En se donnant une définition plus ou moins claire de l’éthique, au sens d’un jugement de valeur qui repose sur la rationalité individuelle, je vis mal comment le choix de s’améliorer physiquement, intellectuellement et moralement, en dépit de la nature, pouvait être considéré comme un danger ! Je compris seulement que j’étais encore tombé sur ce profil psycho-intellectuel qui prévaut actuellement dans notre société et qui voudrait systématiquement assimiler nouveauté et nullité. Même chez les esprits supposément pénétrés, seul ce qui semble traditionnel est crédible et tout ce qui s’en écarterait, devrait être frappé du sceau de l’inattribuable. Ainsi, au Cameroun, très peu sont les milieux culturels où règne la pensée libre, de sorte que tout discours qui s’éloigne de la norme culturelle et intellectuelle en vigueur et hautement influencée par la tradition culturelle des ethnies, par l’éducation universitaire dogmatique, misonéiste et abrutissante, par l’éducation religieuse plus ou moins clientéliste et par l’éducation politique anti-démocratique, devient intolérable. Pour certains, le transhumanisme n’est pas approprié à la réalité africaine parce que l’Afrique est à la traîne de sa propre révolution technologique. Pour des plus fanatiques, le transhumanisme sous toutes ses formes est une idéologie démoniaque dont le but inavoué, est de travestir définitivement le salut de l’homme, de rendre l’homme maître de lui-même détaché de toute transcendance.

Bref, sur la question de l’éthicité du transhumanisme, il me semble clair que l’humanité n’atteindra son seuil éthique voire moral, que dans et par le biais de la maîtrise et de la répartition des progrès fulminants de la science et de la technologie. Nous serons plus moraux seulement quand au XXIe siècle, les progrès technoscientifiques permettront de relativiser grandement les marges de déséquilibres généralisés entre les pays développés et les pays sous-développés. Le transhumanisme devrait par conséquent être perçu en Afrique, comme l’idéologie transcontinentale qui révèle à l’humanité africaine, le sens profond de la destinée ultime de l’humanité en général.

Ceci me permet donc de chuter sur le deuxième pan de la remarque du jeune étudiant camerounais pour dire que ceux qui approchent le transhumanisme de l’extérieur, ne comprendrons en général que ce qu’ils veulent comprendre, ils y mettront seulement le résultat de leur imagination religieusement inféodée. Mais à côté, des intellectuels avertis, universitaires ou pas,  qui auront compris le sens minimal du Progrès et l’enjeu d’un décloisonnement de la rationalité pseudo-logique et anti-scientifique, vont consacrer une nouvelle ère : l’ère de la participation et non de l’alignement à une révolution universelle, qui s’annonce idéologiquement au travers du transhumanisme.

Mais pour terminer, mon postulat est qu’une meilleure appropriation du technoprogressisme passe par une contextualisation de ses enjeux.

Par Armand NGAKETCHA, Philosophe et bioéthicien