Anti-âge : le scénario du "miracle de Washington"

Et si les traitements contre le vieillissement arrivaient plus vite que prévu ?

Publié le 30 juillet 2017, par dans « Immortalité ?Question socialetranshumanisme »

L’étude du vieillissement est une discipline en expansion. Chaque année, des milliers de publications améliorent notre connaissance des mécanismes cellulaires qui aboutissent à la détérioration de l’organisme avec le temps. Pour autant, les applications pratiques tardent. Ces mécanismes sont si intriqués et complexes que l’on vient à se demander si nous ne sommes pas engagés sur un chemin intellectuellement fascinant mais médicalement stérile. Faut-il que nous soyons un peu plus bêtement expérimentaux ?

Il est assez intéressant de constater que d’un point de vue historique, les découvertes majeures apparaissent en effet de manière brutale, souvent sans avoir préparé le terrain, parfois même sans la compréhension des causes, voire par accident complet !

Les rayons X, la radioactivité, la maîtrise de l’électricité sont ainsi apparus dans le champ de la science par paliers successifs, équivalents techniques des sauts théorisés par Niles Eldredge et Stephen Jay Gould à propos de l’évolution des espèces. Selon ces deux paléontologues, l’évolution, bien que graduelle si on l’observe dans le temps long, est en fait constituée de périodes stables et de brusques dérangements se résolvant par de nouveaux équilibres. Charles Darwin lui-même avait déjà senti la possibilité de cet “équilibre ponctué” : “bien que chaque espèce ait dû parcourir de nombreuses phases de transition, il est probable que les périodes pendant lesquelles elle a subi des modifications, bien que longues, si on les estime en années, ont dû être courtes, comparées à celles pendant lesquelles chacune d’elle est restée sans modifications” (l’Origine des Espèces).

On ne compte pas les inventions dues au hasard, à des expériences ratées, voire à des erreurs d’appréciation monumentales. Bien sûr, la plupart des découvertes ont eu lieu dans des environnements hautement propices : ni Becquerel ni Pasteur n’étaient des bricoleurs du dimanche. Toutefois, c’étaient aussi de rusés expérimentateurs qui n’hésitaient pas à prendre des risques et testaient tous azimuts.

 

Les thérapies anti-âge : réjuvénation versus anti-vieillissement

Pour simplifier, nos cellules et nos corps sont réglés par des horloges biologiques ultra complexes entremêlant de nombreuses pièces minuscules et complémentaires. Certains d’entre nous vieillissent un peu moins vite, bien sûr, mais dans l’ensemble, nous sommes assez similaires. Pour empêcher, comme Cendrillon, que nos horloges atteignent minuit, il y a deux grandes options : ralentir les aiguilles, ou remonter tout le mécanisme régulièrement (remettre les aiguilles à midi toutes les heures). C’est de la triche, évidemment, mais il y a beaucoup d’inventions, notamment médicales, qui sont “de la triche”, à commencer par la vaccination, où l’on ne se bat pas “à la loyale” contre le virus, mais en ayant préparé son corps avec l’inoculation d’une version atténuée de l’adversaire, à la manière des espions qui volent les plans des avions ennemis pour mieux préparer la défense antiaérienne.

Il n’est donc pas à exclure que la solution au vieillissement se présente sous la forme d’une thérapie simple, stupide, peu élégante mais efficace, comme une reprogrammation globale via un cocktail de molécules, ou une thérapie génique radicale.

Ce scénario n’a rien à voir avec la notion de “vitesse d’échappement au vieillissement” popularisée par Aubrey de Grey ou Laurent Alexandre (selon laquelle nous gagnerions graduellement quelques mois de vie par an en plus, jusqu’à atteindre 12 mois par an, ce qui signifierait l’amortalité biologique). Il n’y aurait pas ici de paliers successifs, mais une guérison pure et simple, une “remise à midi” de nos horloges biologiques – et ce genre de révolution médicale est déjà arrivé, il y a vingt ans, pour les porteurs du VIH.

 

Le “miracle de Washington” et l’arrivée des trithérapies contre le SIDA en 1996-97

Les documents retraçant l’histoire des trithérapies contre le SIDA constituent une source d’inspiration à la fois pour ceux qui s’intéressent à la recherche médicale et pour ceux qui se préoccupent du financement de remèdes aux pathologies non reconnues (le vieillissement, dans le cas des transhumanistes). Plusieurs de ces documents passionnants sont disponibles sur cette page de Sida Info Service. Le sujet est également le coeur du film 120 battements par minute, de Robin Campillo.

On peut notamment découvrir toute la frustration des séropositifs français obligés d’organiser une expédition illégale aux Etats-Unis, au printemps 1996, pour aller chercher les antiprotéases introuvables en France et ayant obtenu des résultats exceptionnels. Toute la recherche contre le SIDA a en fait été une course contre la montre inégalée depuis : le premier traitement à peu près efficace, l’AZT ou Retrovir, fut commercialisé en 1987 après seulement 25 mois de tests cliniques, un record [1] !

Ainsi en quelques mois, en 1996, la plupart des patients informés et soignés semblèrent revenir à la vie. L’expression “miracle de Washington” est extraite d’une brochure de Sida Info Service pour qualifier la présentation des résultats des premières trithérapies, à Washington lors de la 3ème conférence sur les rétrovirus en 1996.

Malheureusement, les personnes les plus directement touchées par les ravages de l’âge, les octogénaires confrontées à une détérioration rapide et irréversible de leur condition physique, ne bénéficient pas d’une recherche aussi frénétique que celle qui a pu être menée contre le SIDA dans les années 1980 et 1990. Si les malades du SIDA étaient généralement jeunes, entourés et pour certains d’entre eux très au fait des avancées médicales, les malades du vieillissement sont souvent seul(e)s, peu organisés et abandonnés par une société qui les met sciemment sur la touche. Il ne leur vient même pas à l’idée de lutter contre ce qui les tue.

 

Pour une recherche de combat

La première des choses à faire est d’obtenir que ces personnes, directement menacées par le vieillissement, puissent bénéficier de traitements novateurs. Il faut pour cela faire reconnaître l’âge comme une pathologie, mettre en place des biomarqueurs éprouvés. Souvenons-nous qu’en 1996, les trithérapies n’offraient aucune visibilité quant à leurs effets à long terme. Parer au plus pressé, voilà qui fait honneur à la véritable médecine lorsqu’un être humain, quel qu’il soit et quel que soit son âge, se trouve confronté à une situation qui met en danger son intégrité physique. Que font nos prétendus comités d’éthique ?

Il faut changer notre manière de voir le grand âge, reprendre espoir et organiser des comités de lutte avec des personnes âgées impliquées, volontaires et combatives.

La lutte contre le SIDA est intéressante parce qu’elle a réussi, mais aussi parce qu’elle a été permise par la confluence de trois éléments que l’on pourrait retrouver dans le cas du grand âge : progrès scientifique, urgence sanitaire, et activisme individuel éclairé.

 

Conséquences d’un scénario radical

L’arrivée des trithérapies a transformé le SIDA en maladie chronique gérable, comme le diabète.

Un tel bouleversement, pour le vieillissement, aurait de nombreuses conséquences difficiles à anticiper. Verrions-nous, en quelques mois, les personnes âgées disparaître de nos rues et de nos hôpitaux, transformés en quinquagénaires fringants, puis, quelques années plus tard, en adolescents boutonneux ?

Verrions-nous, comme il y a vingt ans, des conférences scientifiques assiégées par des militants accusant les laboratoires de monnayer trop cher leurs médicaments ? Pleurerions-nous, comme Mano Solo en janvier 1997, les morts inutiles : “C’est toujours triste de penser au dernier mec qui meurt avant l’armistice. Quand tu vois que la trithérapie arrive et que ton pote est mort l’année dernière” ?

Quoi qu’il en soit, n’hésitons pas à accélérer la recherche contre le vieillissement et la vieillesse, puisqu’il s’agit en fin de compte de vies d’êtres humains. Et quand bien même il y aurait matière à réticence ainsi que d’odieux blocages, n’oublions pas qu’il y a encore des gens pour qui les vieillards, les homosexuels et les toxicomanes ont “bien vécu” et bien mérité leur mort…

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