Augmentation cognitive et morale
Il devient envisageable d'augmenter nos capacités cognitives et morales. Dans quelle mesure est-ce souhaitable ?
Publié le 10 janvier 2017, par dans « Homme augmenté • transhumanisme »
Cet article fait partie d’un livre sur le transhumanisme. Pour en savoir plus, cliquez ici.
Un autre aspect majeur du transhumanisme est tout ce qui touche à l’augmentation de nos capacités cognitives.
On pense bien entendu à l’intelligence, même si cette notion reste mal définie : ce serait une plus grande capacité à comprendre, théoriser, imaginer des solutions… Mais on peut aussi imaginer augmenter notre créativité, notre sensibilité artistique, notre curiosité, notre « capacité d’émerveillement » face au monde, et ainsi de suite.
Cela passerait bien entendu par une meilleure compréhension du cerveau humain. Aujourd’hui, nous sommes encore à la préhistoire des neurosciences. Nous comprenons à peu près comment fonctionne un neurone individuel, mais nous ne comprenons pas encore comment des milliards de neurones combinés produisent des pensées et idées complexes. C’est là l’ambition du Human Brain Project (projet européen basé en Suisse), qui vise à terme à simuler un cerveau humain complet. Cet objectif a déjà été réalisé pour des formes de vie beaucoup plus simples, comme le ver C. elegans (302 neurones) via le projet OpenWorm.
Cependant, même sans comprendre entièrement le cerveau humain, nous pouvons agir sur certaines de ses caractéristiques. Une vieille idée reçue est que nos neurones ne peuvent que mourir avec le temps, sans se régénérer. Or, on a récemment réussi à régénérer des neurones chez des souris. De même, les efforts engagés pour lutter contre la maladie d’Alzheimer pourraient déboucher sur des moyens d’augmenter notre plasticité cérébrale (qui diminue en théorie avec l’âge) et notre nombre de connexions neuronales.
Il devient envisageable de réparer les connexions neuronales.
Mais au-delà, on pourrait également envisager une amélioration morale de l’humain.
La simple mention de ce sujet évoque chez certains les pires dystopies (1984, Le Meilleur des mondes…), où les citoyens sont transformés en animaux dociles et obéissants, en sacrifiant toute liberté individuelle et tout libre arbitre. Il ne s’agit aucunement de proposer une solution de ce genre, d’autant plus que nous ne comprenons pas encore assez bien le cerveau humain pour prendre de telles décisions.
Pour l’heure, il s’agit simplement d’inviter à la réflexion sur ce sujet. Nous sommes issus d’un processus de sélection naturelle long et impitoyable, qui a favorisé certains traits de caractère : l’agressivité, le besoin de domination, le rejet de la différence… Or, ces traits de caractère ne correspondent pas forcément à ce que nous considérons comme positif et souhaitable dans une société civilisée. Il ne s’agit bien sûr pas de les supprimer totalement, mais on peut légitimement se poser la question suivante : les niveaux d’agressivité et d’empathie qu’a déterminé pour nous l’évolution darwinienne sont-ils si parfaits qu’il ne faille surtout pas y toucher ? Si l’on regarde les tragédies du vingtième siècle (mais aussi des autres siècles), il est permis d’en douter ! En particulier, notre niveau d’empathie est adapté à des tribus d’une centaine d’individus, et pas à une humanité de plusieurs milliards.
Ces idées sont notamment développées dans le livre « Unfit for the Future » (« Inadaptés au futur ») d’Ingmar Persson et Julian Savulescu, dont le titre résume la motivation. Ce sujet est d’autant plus important à considérer que la capacité de destruction de l’humanité augmente avec son niveau technologique, la bombe atomique n’étant qu’un prélude. Notre sagesse devrait idéalement être à la mesure de notre puissance technologique.
En attendant, cela peut prendre des formes individuelles et librement consenties. Par exemple, nous pouvons avoir individuellement intérêt à réduire notre agressivité, et à développer notre sang-froid et notre maîtrise de soi. Cela est bénéfique pour nous : cela nous évite de prendre des décisions impulsives et mal avisées, ou de commettre des actes violents aux conséquences irréparables. Et cet intérêt individuel coïncide avec l’intérêt de la société, qui aspire à être moins violente et plus pacifique.
Derrière un vernis de civilisation, la violence reste encore très présente dans nos sociétés.
De même, nous tentons d’éduquer nos enfants selon certains principes moraux. Cela passe aujourd’hui par des stratégies d’éducation, dans les limites de ce qui est considéré comme acceptable par la société. Mais demain, cela pourrait être aidé par certains produits ou certains choix prénataux (toujours dans ces mêmes limites d’acceptabilité). Nous ne parlons pas ici de concevoir un fantasmatique « homme parfait » (qui peut prétendre définir la perfection ?), mais d’évoluer en expérimentant par petites touches, vers des prédispositions biologiques plus favorables à notre harmonie individuelle et collective, comme nous le faisons déjà dans la plupart des domaines : santé, politique, éducation…
Enfin, nous pourrions chercher à augmenter notre aptitude au plaisir et au bonheur. Nous ne sommes pas égaux sur ce plan : certaines personnes sont naturellement moins enclines au plaisir et davantage sujettes à la dépression, alors que d’autres ont assez de ressources pour faire face aux situations les plus difficiles. En étudiant l’origine (innée ou acquise) de ces différences, nous pourrions nous rendre plus aptes à jouir, aimer, atteindre des moments de bonheur… et profiter de la vie au sens large.
> Retour à la liste des chapitres <
Tweeter