Les cellules qui ne voulaient pas mourir. La mort de la mort. Avril 2017. N° 97.

Certains pensent que ce qui sépare les hommes des animaux est notre capacité à raisonner. D'autres disent que c'est le langage ou l'amour romantique, ou les pouces opposables des mains.

Publié le 28 avril 2017, par dans « Immortalité ? »

Certains pensent que ce qui sépare les hommes des animaux est notre capacité à raisonner. D’autres disent que c’est le langage ou l’amour romantique, ou les pouces opposables des mains. Vivant ici dans ce monde perdu, je suis venu à croire que c’est plus que notre biologie. Ce qui nous rend vraiment humain est notre recherche incessante, notre désir permanent d’immortalité. Arthur Conan Doyle, The Lost World 1912 (traduction).


Thème du mois: Vie et mort des cellules normales et des cellules sénescentes


Votre corps est un univers complexe peuplé de virus, de bactéries, de bien des substances et, surtout, de cellules. Le corps d’un être humain en compte environ quarante mille milliards. Chacune de ces cellules est une entité relativement autonome. Elles vivent, beaucoup se reproduisent en se divisant, des milliards meurent chaque jour.

Certaines nous accompagnent tout au long de notre vie, les plus connues étant les neurones (même si certains neurones peuvent naître de cellules-souches durant notre existence). D’autres cellules ne vivent que quelques mois voire quelques jours, notamment les globules de notre sang et les cellules de notre peau.

Comment meurt une cellule?

La fin d’une cellule à l’intérieur de notre corps peut se passer de bien des manières.

D’abord, le décès d’une personne signifiera bien sûr la mort à court terme des cellules qui la composent.

La fin d’une cellule peut être causée par d’autres traumatismes d’origine extérieure. Des conditions défavorables (température, produits toxiques, manque d’oxygène, …) peuvent entraîner sa nécrose puis sa destruction.

Cette destruction peut également se produire par suite de l’attaque par certains virus ou certaines bactéries.

Ensuite, il y a les causes de disparition qui sont utiles au développement du corps. L’exemple typique est celui des futurs doigts d’un foetus. Au départ, lorsque les mains ne sont pas encore formées, les doigts sont encore liés les uns aux autres comme des palmes. Et puis les cellules entre les doigts vont se détruire. C’est un mécanisme qui permet au corps de se « sculpter » par soustraction de cellules. Pour ce type de destruction le terme scientifique utilisé est « apoptose ». Certains parlent aussi, de manière plus imagée et moins rigoureuse, de « suicide » de la cellule parce que le mécanisme semble déclenché par la cellule elle-même et non par un environnement défavorable. Mais l’apoptose se passe aussi dans d’autres circonstances abordées plus loin.

A noter qu’à côté de l’apoptose, il y a un mécanisme relativement proche qui s’appelle l’autophagie. Dans ce cas, les cellules ne « s’autodétruisent » pas mais elles absorbent/détruisent des parties d’elles-mêmes qui ne sont pas utiles ou qui dysfonctionnent. Il ne s’agit donc pas d’une mort cellulaire, mais d’une transformation.

Jusqu’ici, les formes de vie et de mort abordées ne sont pas directement apparentées au vieillissement. Pour parler de la vie et de la mort des cellules par sénescence, c’est-à-dire du seul fait de l’écoulement du temps même dans des circonstances par ailleurs parfaites, il faut d’abord distinguer cellules-souches et autres cellules.

Cellules « immortelles » et cellules sénescentes

Les cellules-souches peuvent en principe se diviser sans limitation. Une cellule-souche se divisant donne naissance à deux cellules dont au moins une pourra ensuite continuer à se diviser sans limitation de durée. Parfois, certains parleront de « cellules immortelles ». Il s’agit évidemment d’une image car ces cellules comme toutes les autres meurent si l’environnement est défavorable.

La majorité des cellules ne sont pas des cellules-souches. Elles ne peuvent se diviser qu’un certain nombre de fois. Cette limite est appelée « limite de Hayflick« . Cette frontière n’est pas la même chez l’être humain que chez d’autres animaux. Pour les femmes et les hommes, la limite habituelle est d’environ cinquante divisions, mais cela peut varier selon le type de cellule concernée. La principale cause de cette limite est que, lors de la division cellulaire de ces cellules, une partie de l’extrémité des chromosomes appelée « télomère » disparaît. Lorsque les télomères deviennent trop courts, la cellule ne fonctionne plus correctement.

La durée limitée de vie des cellules ordinaires est, très vraisemblablement, une des sources du vieillissement et des divisions plus nombreuses pourraient permettre une vie plus longue. Cette question a été abordée dans d’autres lettres mais ne sera pas développée plus avant ici.

Dans les cellules-souches, le raccourcissement du télomère est contré par une enzyme, la télomérase. Au tout début d’une existence, les premières cellules sont des cellules-souches dites totipotentes, c’est-à-dire capables de produire n’importe quelle cellule. Chez un individu adulte, la majorité des cellules-souches sont des cellules spécifiques, capables de se reproduire sans limitation mais ne pouvant former que certaines cellules (de la peau, de l’intestin,…) ou certaines catégories de cellules.

Il y a aussi des cellules-souches qui sont capables de se reproduire sans limitation mais de manière nuisible pour l’organisme. Ce sont les cellules cancéreuses. Les plus célèbres de ces cellules sont les cellules d’Henrietta Lacks. Madame Lacks était une citoyenne afro-américaine morte en 1951 d’un cancer de l’utérus. Les cellules cancéreuses, prélevées (mais sans son autorisation) peu avant son décès se sont divisées facilement. Elles ont été et sont encore utilisées pour un nombre énorme de recherches à vocation médicale.

Les cellules cancéreuses sont donc des cellules-souches nuisant au reste du corps mais qui ne « veulent » pas mourir. Arriver à détruire ces cellules ou au moins empêcher leur multiplication, c’est l’objectif majeur de toute la médecine oncologique.

D’autres cellules qui sont aussi nocives pour l’organisme sont les « vieilles » cellules arrivées en « bout de course ». Normalement, ces cellules sénescentes se détruisent via l’apoptose et elles sont également éliminées par le système immunitaire. Mais le système immunitaire s’affaiblit avec l’âge et un nombre croissant de ces cellules s’accumulent.

Un nombre relativement de ces « vieillards » peut avoir un impact négatif important provoquant notamment des mécanismes inflammatoires. Une des approches les plus originales et prometteuses de la recherche médicale contre le vieillissement de ces dernières années est la recherche de moyens pour éliminer ces cellules qui ne « veulent » pas mourir. D’assez nombreuses recherches dans ces domaines sont en cours.

Dans ce cadre, la première difficulté est de ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain », c’est-à-dire de ne pas tuer (trop) de cellules saines en même temps que les cellules sénescentes. Pour atteindre ce but, les substances utilisées sont appelées « sénolytiques« .

Plusieurs produits ont été testés en laboratoire, notamment des drogues également utilisées pour la lutte contre le cancer.

Comme annoncé dans la lettre mensuelle du mois passé, la destruction de ces cellules a été effectuée récemment par des chercheurs néerlandais sur des souris, notamment des souris transgéniques ayant un vieillissement accéléré. Cela permet une plus grande résistance aux maladies associées au vieillissement.

Leur efficacité reste à vérifier pour la longévité de souris âgées « normales » et puis pour la santé des humains. Il faudra notamment fixer la proportion de cellules sénescentes à détruire car il semble que des cellules sénescentes en petit nombre peuvent également avoir une utilité pour l’organisme.

Vu l’ampleur des dommages actuellement causés par les cellules sénescentes et le nombre relativement réduit de cellules qui doivent être détruites pour pouvoir contrer leurs effets négatifs, l’élimination des cellules sénescentes pourrait se révéler assez rapidement un moyen précieux pour augmenter la longévité en bonne santé des femmes et des hommes partout dans le monde.


La bonne nouvelle du mois: Marches pour les sciences partout dans le monde le 22 avril
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La triste nouvelle du mois: décès de la doyenne de l’humanité


Le 22 avril, qui est aussi la Journée de la Terre, des dizaines de milliers de scientifiques, de chercheurs mais aussi de citoyens « ordinaires » ont défilé dans des dizaines de villes de par le monde en faveur des recherches scientifiques. Cet évènement qui était au départ orienté contre des réformes considérées comme « anti-scientifiques » suite à l’élection de Donald Trump est devenu un mouvement, favorable aux progrès scientifiques utiles à tous. A cette occasion, l’International Longevity Alliance a déclaré que La science est sur le point de découvrir les mécanismes responsables du déclin biologique associé au vieillissement humain. Cela peut conduire à des solutions fondées sur des données probantes pour réparer les dommages liés à l’âge, ralentir ou inverser les processus de déclin biologique et provoquer la régénération. Chaque action, chaque investissement public ou privé pour la recherche scientifique pour l’extension de la vie pourrait sauver des vies! (traduit de l’anglais)

Le 15 avril, Emma Moreno, dernière personne au monde ayant vécu dans les années 1800 est décédée à Pallanza en Italie, à l’âge de 117 ans.  Elle devait sa longévité à bien des hasards dont ceux de la génétique.  Violet Brown, jamaïcaine, dont le mari était gardien de cimetière (!) est dorénavant la doyenne de l’humanité.  Elle a également 117 ans, mais est née en 1900. Il faudrait beaucoup de progrès médicaux rapides pour que Madame Brown danse encore une danse jamaïcaine. Mais pour les générations suivantes, beaucoup d’espoirs sont permis.


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