Propriété intellectuelle du vivant, brevets et longévité pour tous
Beaucoup se représentent la propriété intellectuelle sous la forme d'une taxe : taxe sur la copie privée, sur les droits d’auteur... Mais en réalité, cette notion, dont l’origine remonte au XVème siècle, s’est peu à peu immiscée dans tous les aspects de notre société, y compris lorsque que l’on raisonne en terme de droit du vivant et de longévité.
Publié le 6 mars 2017, par dans « Immortalité ? • Question sociale »
La notion même de propriété intellectuelle s’est construite à travers les âges, et ce, dès le XVème siècle. À l’heure actuelle, le terme de propriété intellectuelle désigne principalement, et de manière large, l’ensemble des actifs immatériels d’une entreprise, et plus particulièrement le brevet.
Pour qu’une invention soit brevetable, il est nécessaire qu’elle soit nouvelle, qu’elle ait une application industrielle et qu’elle soit issue d’une activité inventive [1]. Traduit en langage courant, le brevet doit être une solution technique à un problème technique, solution donnant à son titulaire un monopole d’utilisation pendant 20 ans.
Mais qu’en est-il de la spécificité concernant la matière vivante ?
Le terme « vivant » peut se définir en opposant l’animé et l’inanimé. L’expression « brevetabilité du vivant » indique que les principes classiques du droit du vivant s’appliquent (respect et dignité de la matière vivante, etc).
En premier lieu, il est important de préciser que malgré son caractère particulier, la propriété intellectuelle du vivant doit répondre aux différentes conventions internationales [2]. À cela s’ajoute des textes spécifiques tels que la Directive européenne 98/44/CE ou la loi du 8 décembre 2004. La Directive de 1998 s’intéresse à la place de la propriété intellectuelle dans un environnement croisant technologie, biologie, médecine et exploitation commerciale. Elle met en place un cadre uniforme au sein de l’UE, cadre permettant à la fois de protéger l’innovation mais aussi les utilisateurs.
Outre atlantique, malgré un encadrement plus souple qu’au niveau européen, la propriété intellectuelle du vivant reste une matière sous surveillance juridique. Pour preuve l’arrêt de la Cour Suprême américaine, Association for Molecular Pathology vs Myriad Genetics rendant impossible la brevetabilité de l’ADN issu directement de l’humain.
Mais in fine, pourquoi avoir besoin d’une propriété intellectuelle du vivant ? Quelles problématiques pourrait-elle poser à l’aube d’un accroissement de la longévité humaine ? Il est possible de l’envisager à travers deux analyses.
Une de ces analyses permet d’entrevoir que la propriété intellectuelle du vivant donne un cadre juridique aux différentes démarches scientifiques. Ce cadre est extrêmement intéressant notamment au niveau européen car il permet de mettre tous les candidats à l’innovation sur un même pied d’égalité tout en protégeant les valeurs cardinales humaines.
Dans un système économique où 40% des nouveaux médicaments sont issus des entreprises de biotechnologies (qui dans leur majorité sont des petites structures), la propriété intellectuelle du vivant permet notamment d’assurer une protection juridique suffisante aux sociétés.
A contrario, une seconde analyse émerge, qui va s’intéresser au brevet et à son monopole.
Si au regard de l’intérêt général, le monopole d’une firme sur un procédé de fabrication de levure n’a pas d’impact, il en sera autrement quand il sera question d’établir un monopole grâce à un brevet sur une thérapie ou un traitement permettant un vieillissement en bonne santé. En effet, la longévité humaine va se heurter à divers intérêts.
D’un côté, nous aurons les intérêts économiques des entreprises qui auront à coeur de protéger leurs inventions afin de maximiser leur profit et de faire fructifier leur capital immatériel.
De l’autre, nous retrouverons les partisans d’une modification à la marge de l’état naturel de l’humain, et au milieu de ces deux intérêts contradictoires, nous allons retrouver l’intérêt général d’une bonne partie de l’humanité à vivre plus vieux en bonne santé.
Cette volonté est de facto prise en étau. L’enserrent, d’un côté le conservatisme biologique, qui voit dans l’allongement de la longévité un dépassement hors normes et immoral des capacités humaines, de l’autre la logique mercantile des entreprises, qui pourraient voir dans ce champs de recherches la possibilité d’une maximalisation des profits, par exemple en n’offrant cet accroissement de longévité qu’aux plus riches.
Dans cette optique, il serait opportun de s’interroger sur la nécessité de mettre en place un système juridique conciliant ces trois intérêts.
Juridiquement compliqué mais néanmoins possible, un système de licence de brevet partagé et mondial, dont l’utilisation ne serait possible qu’en respectant la notion d’intérêt général, serait une réponse envisageable.
Cette notion de licence partagée, nous la retrouvons dans l’industrie high tech avec les licences dites « raisonnables et non-discriminatoires », ou bien encore dans la recherche médicale contre le cancer [3].
Cette possibilité serait acceptable car elle répondrait aux demandes des entreprises, chacune mettant à disposition ses recherches avec, en contrepartie, une juste rémunération.
Elle serait acceptable car elle serait encadrée et respecterait les droits humains, ne favorisant pas une exploitation superficielle des recherches.
Une telle solution serait acceptable car elle permettrait un accès juste et équitable à des traitements modernes par l’ensemble des populations, afin de leur permettre de vivre mieux et plus longtemps.
La propriété intellectuelle du vivant se trouve au croisement de nombreuses problématiques. À l’heure actuelle, si la propriété intellectuelle du vivant confère une protection relativement solide pour les entreprises, il ne faut pas perdre de vue qu’en matière de longévité, le régime actuel n’est que peu efficient. Il ne donne que peu de latitude à la communauté scientifique, et dans le même temps, il tend à favoriser le monopole d’une ou plusieurs entreprises, ce qui est rarement un signe d’accès à la santé pour tous.
Hadrien Pourbahman
Juriste spécialisé en Droit de la santé et en Droit des biotechnologies
Notes
[1] Article L611-1 et suivants, ainsi que L611-10 et suivants. Code de la Propriété Intellectuelle
[2] Notamment les Conventions de Paris et de Munich (respectivement 1883 et 1973).
[3] L’UK Cancer Research qui détient un brevet sur le gène BRCA2, a décidé d’accorder des licences libres et gratuites à tous les laboratoires du secteur public/non lucratif qui en feraient la demande.
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