[Nouvelle] 2241, Transhumains
[Nouvelle] 2241, Transhumains
Publié le 3 février 2019, par dans « transhumanisme »
Pyrapto s’éveilla nu et en sueur, ses draps et ses couvertures jetées au bas du lit sur le parquet. Il se sentait dans un état très étrange comme s’il flottait encore dans les brumes d’un rêve… Un rêve… Oui, il était en train de rêver, justement. De cauchemarder plutôt, ce qui expliquait le sentiment de malaise qui persistait en lui. C’était ça qui l’avait réveillé, il le réalisait maintenant. Le malaise et la peur. Il se concentra pour se remémorer l’ambiance, les sensations qui l’assaillaient dans ce songe.
Il était nu, là-bas aussi, mais pas dans le confort du lit douillet de son appartement australien. Non, c’était la nuit et il se trouvait dans une forêt primitive, dense, froide, humide, emplie de bruits d’animaux qu’il ne connaissait pas – ou trop bien – et qui l’entouraient. Il jeta un regard alentour. Il était seul, sans feu, sans armes, sans rien. Un hurlement – probablement un loup et sa meute – retentit au loin, du moins espérait-il que ce soit loin. Un courant d’air glacé le transperça, hérissant les poils de son corps au fur et à mesure que la chair de poule se répandait le long de sa peau. Derrière lui, un craquement se fit entendre et … et c’était là qu’il s’était réveillé. Avec ce sentiment de terreur primaire, archaïque, d’être un singe sans pelage perdu seul dans un univers hostile.
Il jeta un coup d’œil à l’heure et à la date, projetées en chiffres rouge sang au plafond, 07 : 42, Lundi 13 Mars 2241. Il était temps de se lever de toute façon. Si son cauchemar lui avait fait croire qu’il avait froid au réveil, il n’en était rien ; l’air intérieur de son appartement était bien entendu parfaitement réglé à la température adéquate, purifié de tout toxique possible par des filtres de haute technologie, mélange de nanoparticules et de biologie moléculaire avancée. Je ne mettrai mes protections thermiques que pour sortir, pensa-t-il. Il aimait être à l’aise chez lui. Tandis qu’il déclenchait la commande d’ouverture du store, le soleil emplit la pièce d’une lumière vive même pour un matin de mars et ses lentilles oculaires ajustèrent aussitôt la polarisation de la lumière qui arrivait à sa rétine.
Il admira la vue sur la ville – encore à moitié endormie sans doute – pendant plusieurs minutes, laissant ses pensées dériver. Une alarme stridente, avec un rythme et des modulations bien particulières et reconnaissables, monta soudain de l’Hôtel de Ville. Le cœur du spectateur s’emballa un court instant, le temps que son moniteur intégré ne régule au mieux sa fréquence cardiaque et sa pression artérielle. Impressionnante pour qui ignorait sa signification, l’alarme laissa Pyrapto relativement indifférent. Les humains non-augmentés menaient une nouvelle « attaque » contre eux, probablement – comme souvent – en lançant quelques engins rudimentaires contenant la rougeole, en espérant qu’une mutation de ce virus cause des dégâts dans la Cité. Ces fanatiques avaient juré la destruction de toute civilisation technologiquement supérieure aux techniques du paléolithique, quitte à les utiliser le temps d’accomplir leur mission. Néanmoins, la Cité les laissait vivre dans la forêt alentour. Avec son système immunitaire amélioré, cela faisait bien longtemps que la silhouette à la vitre ne craignait rien de ce genre. Il était persuadé d’ailleurs que manipuler un tel virus était largement plus dangereux pour les assaillants. D’ailleurs la Cité avait abandonné toute idée même de lutte contre ce qu’elle considérait à peine comme un désagrément. Il savait que les protocoles de sécurité obligeaient les autorités à déclencher cette alarme, mais elle était parfaitement inutile et les attaques avaient tendance à diminuer en fréquence.
Il interrogea son majordome, une intelligence restreinte qui l’aidait à gérer la plupart de ses activités – et qui lui permettait d’accéder en temps réel à tout le savoir de l’Humanité. Depuis qu’elle l’archivait, bien entendu. Apparemment, il n’avait rien de spécial de prévu aujourd’hui. Cela lui laissait tout le temps de se préparer tranquillement afin d’aller retrouver quelques amis pour continuer de réfléchir au projet Mercure.
Pour se réveiller parfaitement, il demanda à l’IR de lui injecter une dose savamment équilibrée et personnalisée de stimulant hormonal et chimique via son moniteur intégré. Il savait que certains mettaient cette tâche en routine, mais il préférait décider du moment exact de ce coup de fouet physique et mental. Parfois même, il s’en passait, selon son humeur du jour.
Tandis qu’il sortait de la chambre pour se diriger vers la salle de bains, Kimi, sa chimère s’avança vers lui en glapissant joyeusement. Il la caressa quelques instants pour lui dire bonjour, passant sa main dans ses poils drus et frottant ses petites cornes. Ça ne faisait pas très longtemps qu’il possédait ce petit animal curieux et unique, dont il avait choisi les caractéristiques dans un catalogue qui contenait des milliers de références : taille, pelage ou plume, nombres d’appendices, etc. Pour sa part, Kimi, ressemblait majoritairement à une chèvre, sans l’odeur forte caractéristique, avec des pattes et une queue de chat plutôt que des sabots, et un caractère joueur et affectueux. Qui plus est sa taille était parfaitement adaptée à son logement, autant pour lui que pour la petite bête qui ne trouvait pas l’endroit trop étroit et qui semblait s’y épanouir parfaitement. Il lui servit son repas matinal, une nourriture dont la quantité et la composition était calculée très précisément pour permettre à Kimi de vivre en pleine santé le plus longtemps possible. Il prit congé de la chevrette et se rendit dans la pièce d’eau.
Pyrapto observa son reflet dans le miroir : ses cheveux faisaient sa fierté, un peu long, légèrement bouclés, d’un noir de jais, il ne regrettait pas de les avoir faits modifier génétiquement pour qu’il ne perde jamais cette couleur qui lui tenait tant à cœur. Il inspecta le reste de son visage : c’était correct mais il préféra prendre le temps d’utiliser quelques produits synthétiques pour améliorer son aspect visuel. Une large gamme de substances s’offrit à lui quand il ouvrit le placard, et il prit une bonne demi-heure de son temps à en sélectionner et en appliquer plusieurs sur son épiderme. Quand il fut satisfait…
–
Une alarme stridente se déclencha (à nouveau ?) et Pyrapto ouvrit les yeux, fixant le plafond. 07 : 42, Lundi 13 Mars 2017. L’heure habituelle à laquelle son réveil sonnait tous les matins depuis qu’il était en retraite, la même qu’avant d’être en retraite d’ailleurs. Il avait voulu garder le même rythme de vie, en tout cas aussi longtemps qu’il serait assez en forme pour s’y tenir. Il s’étira longuement, faisant craquer au passage quelques articulations, hanches, poignets, chevilles, cervicales… Tandis que ses idées s’éclaircissaient à mesure qu’il sortait du sommeil, il eut un bref flash qui lui échappa aussitôt. Il était en train de rêver, et c’était de lui-même dans un environnement qui lui avait semblé très futuriste, mais il était incapable de s’en remémorer davantage et cette impression fugace s’évanouit comme elle était venue. Il se souvenait rarement de ses rêves en dehors des premières secondes qui suivait son éveil. Cela avait toujours été cause d’une certaine frustration pour lui. Il en discutait encore récemment avec un de ses amis qui au contraire avait une très bonne mémoire de ses songes et tenait un carnet où il notait tout ce dont il se souvenait chaque matin lors de son petit déjeuner. De quoi publier un recueil à sa mort si tant est que cela intéresse quelqu’un de lire ça…
Il se leva et ouvrit le volet roulant électrique de sa chambre, il faisait déjà bon dehors et la journée s’annonçait chaude. Heureusement, la climatisation de son appartement lui permettait de conserver une température agréable à l’intérieur.
Il décida de rester quelques minutes à sa fenêtre pour admirer le début de la journée, le soleil s’était levé il y avait presque une heure déjà, et ses rayons frappaient les immeubles de verre et d’acier, les faisant scintiller, comme des diamants contemporains dans leurs écrins urbains. Il enfila sa paire de lunettes de soleil, afin de profiter d’un spectacle à la fois plus net et adouci. Sa vue n’était plus ce qu’elle était jadis, il devait l’admettre.
A 8:00 précises, il s’activa et connecta son smartphone à Internet. Quel était le planning de la journée ? Ha oui ! Il avait rendez-vous chez son médecin à 14 heures, afin de faire son rappel de vaccin et de faire vérifier le bon fonctionnement du pacemaker qu’il portait depuis quelques mois. Ce qui lui laissait donc toute la matinée de libre pour s’occuper tranquillement. Il allait commencer par prendre soin de lui, en prenant une longue douche chaude, ou même pourquoi pas un bain. Oui, tiens ce serait très bien. Et pendant que l’eau coulerait, il boirait son café, bien noir, pour sentir ses effets stimulants se répandre dans son cerveau et finir de le réveiller parfaitement. Il avait toujours aimé le coup de fouet matinal de cette boisson quasi magique…
A peine eût-il passé la porte de sa chambre qu’un glapissement aigu retentit et qu’une petite boule de poil brune fonça vers lui. Quelle idée il avait eu de récupérer ce petit Chihuahua errant dans la rue avant-hier… Certes, il devait s’avouer que l’animal lui faisait une compagnie sympathique dans sa retraite, mais s’il avait pu choisir il n’aurait pas opté pour cette race de chien. Il eut une pensée mi-sérieuse mi-moqueuse en pensant qu’il y a quelques milliers d’années les ancêtres de ce petit roquet ridicule étaient de fiers loups sauvages…La domestication avait ses mauvais côtés de toute évidence. En attendant, il servit un peu d’eau et de croquettes à son nouvel ami, en se disant qu’il faudrait bien qu’il lui trouve un nom s’il le gardait, puis se rendit dans la salle d’eau afin de prendre le bain auquel il avait songé tout à l’heure.
Quand il fut suffisamment délassé à son goût, à savoir au bout d’une bonne demi-heure après que ses doigts se soient fripés, il sortit de l’eau et resta nu un bon moment dans la salle de bain légèrement surchauffée. Il aimait être à l’aise chez lui. Comme il avait le temps, il sortit de son placard une large gamme de crème, lotion, produits hydratants et mixture anti-rides et en appliqua plusieurs avec soin. Ce n’est pas parce qu’on est à la retraite qu’on va se laisser aller, hein ! pensa-t-il joyeusement. Son côté coquet avait tendance à ressortir maintenant qu’il avait plus de temps pour lui. D’ailleurs, à y regarder de plus près, il ferait bien aussi de reteindre ses cheveux. Ses tempes grisonnaient à nouveau et la teinture précédente avait perdu de son éclat. Il se sentait tellement mieux quand il recouvrait la couleur noire de jais des cheveux de sa jeunesse…
Il enfila enfin ses vêtements, non pas qu’il en eût réellement besoin vu la température extérieure (ou intérieure d’ailleurs) mais les conventions le voulaient, paraissait-il. Je ferai peut-être un tour dans un camp naturiste, un de ces jours.
En attendant ce jour, il choisit une tenue qui le mettait en valeur et qui lui semblait exprimer un peu de sa personnalité. C’était tout ce qu’il demandait à ses vêtements après tout…
Auteur : Antoine Viseur
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