Améliorations cognitives #2 : Comment s’améliorer mentalement ?
Interview de Marc Roux par Shaïman Thürler. 2ème partie : "À quelles conditions, quand et comment pouvons-nous nous améliorer mentalement ?"
Publié le 8 août 2023, par dans « Homme augmenté »
[Ce texte correspond à la version rédigée de l’entretien donnée par Marc Roux à Shaïman Thürler sur sa chaîne YouTube, Le Futurologue, et diffusée le 3 juillet 2023. Vous pouvez retrouver cette interview ici : “Comment S’améliorer Mentalement ?” sur la chaîne de Shaïman.]
Parmi les propositions phares du transhumanisme, se trouve celle d’améliorer la condition biologique de l’humain en visant ses facultés mentales : mémoire, attention, logique, etc., mais aussi ses émotions et ses tendances plus ou moins importantes selon les individus à l’empathie, l’intelligence psychologique, la sociabilité, ou bien l’agressivité, la dominance, la xénophobie, et toutes sortes de pulsions qui échappent souvent à notre contrôle.
Shaïman Thürler (Le Futurologue) a souhaité interroger Marc Roux (Pdt de l’AFT-Technoprog) à partir de ses réflexions sur ces questions. Leur discussion a fait l’objet de trois enregistrements. Une première partie porte sur la dimension éthique de ces propositions. La seconde partie traite davantage de la faisabilité technique actuelle. Enfin, la dernière partie passe en revue différentes améliorations cognitives envisagées.
2ème partie : Comment s’améliorer mentalement ?
Quelles sont les barrières technologiques et scientifiques à franchir avant de pouvoir nous améliorer cognitivement ?
Il faut sans doute commencer par faire un rapide état des lieux. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on ne sait pas grand chose. Si, d’un côté les neurosciences progressent rapidement, ce qui reste à comprendre paraît gigantesque, puisque les scientifiques considèrent que le cerveau humain est l’objet le plus complexe qui soit : 80 à 100 milliards de neurones, 10.000 synapses par neurones, 5 à 10 cellules gliales pour soutenir chacun de ces neurones, le tout entremêlé et interconnecté dans un complexe de plus de 200 structures locales ; des processus de communications autant chimiques qu’électriques (sans rien dire d’éventuels effets quantiques qui restent discutables), et des neurones qui non seulement réagissent par inputs et outputs, mais de surcroît déchargent de façon spontanés, aléatoire ou chaotique.
Au début des neurosciences contemporaines, il y a une quarantaine d’années, on pouvait lire qu’on estimait comprendre environ 1% du fonctionnement cérébral. Il y a quelques années, j’ai entendu un scientifique dire qu’on en comprenait cinq fois plus. Un progrès fantastique, de 400% en quarante ans. Sauf que ça voudrait dire qu’on n’en comprend toujours qu’environ 5%, donc qu’on en ignore toujours près de 95% !
Par ailleurs, il y a exactement dix ans cette année, en 2013, plusieurs méga projets de neurosciences étaient lancés dans le monde. Les projets BRAIN et Connectome aux États-Unis, et le Human Brain Project en Europe, alors annoncé comme le projet scientifique N°1 de l’UE. L’objectif annoncé de ce dernier était de simuler un cerveau humain entier sur ordinateur. Dix ans plus tard, la montagne a accouché d’une souris de laboratoire.
Et d’autres annonces tonitruantes ont fait long feu. Le projet de l’implant KIWI qui devait être révolutionnaire et espéré comme une fierté française a été enterré ou bout d’un an, sans avoir été lancé. Les annonces de Elon Musk, promettant des essais sur l’homme avec les électrodes de Neuralink, datent d’août 2020. Elles ont été d’abord balayées par la FDA qui lui ont reproché des dizaines d’aspects problématiques [NDLR: L’accord de la FDA est finalement intervenu en mai 2023].
Théoriquement, il faudrait donc encore progresser considérablement dans la compréhension des divers processus mentaux avant de pouvoir se permettre agir dessus en sachant suffisamment ce que l’on fait.
Mais parallèlement, les humains n’ont jamais attendu de tout comprendre pour expérimenter sur eux-mêmes ou sur les personnes malades ou déficientes. Donc, en réalité on expérimente progressivement, au fur et à mesure des avancées technologiques. Mais on le fait d’abord dans un cadre thérapeuthique. Les améliorations cognitives n’arrivant que comme effet collatéral.
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Quand pourrons-nous nous améliorer cognitivement ?
En réalité, nous le faisons déjà, depuis bien longtemps même, mais de manière empirique et grossière. Je propose de balayer rapidement une petite histoire de l’amélioration mentale.
Mais d’abord, il faut à nouveau revenir sur l’idée “d’amélioration”. Avec ce terme, on insiste sur la dimension complètement subjective de cette recherche. C’est seulement la personne qui utilise telle technologie ou qui consomme telle substance qui est légitime pour dire si elle considère que cela lui procure un meilleur état mental.
Si je réfléchis maintenant à la chronologie de ces pratiques, je pense pouvoir constater que les humains recherchent ce type d’amélioration depuis la nuit des temps.
Nous avons des traces archéologiques de pratiques chamaniques utilisant des psychotropes dans toutes les cultures. Que ce soit des plantes comme le chanvre, qui, au Moyen-Orient et en Méditerranée, donne le haschisch, ou le pavot qui donne l’opium en Asie, ou encore un cactus comme le peyotl mexicain. Leur usage est associé à des croyances et des rites où l’on recherchait des états altérés de conscience, que ce soit pour communiquer avec les ancêtres ou avec les morts, pour permettre des rêves extralucides ou pour développer des comportements qui donnaient ensuite lieu à des interprétations divinatoires, comme c’était le cas avec la pythie de Delphes.
Il est intéressant de constater qu’on trouve ce type de pratiques à toutes les époques, et de manière continue. L’humanité n’a jamais arrêté ces usages. Sans aller jusqu’aux hallucinogènes, diverses plantes, consommées en infusions, en macérations ou en fumigations, comme le café, les divers alcools ou le tabac étaient et sont toujours appréciées pour leurs effets sur le système nerveux : concentration, décontraction, relaxation, etc. De manière plus contemporaine, les poètes ou les peintres de la fin du XIXe siècle ont pu trouver l’inspiration dans l’opium, ou l’absinthe. On pense à Baudelaire, ou à certains impressionnistes. Après la seconde guerre mondiale, la mise au point de médicaments de synthèse comme le LSD a donné lieu à toute une nouvelle vague de pratiques exploratoires qui dure encore. Chez des universitaires comme Timothy Leary, il s’agissait véritablement de rechercher scientifiquement des états modifiés de conscience.
Par ailleurs, divers médicaments développés dans la même période, comme le Modafinil ou la Ritaline, à l’origine conçus pour lutter contre la somnolence ou l’hyperactivité, sont utilisés de façon détournée par des personnes recherchant une plus grande concentration ou un plus grande capacité de travail.
Signalons enfin que ces usages détournés ne sont pas le seul fait de personnes isolées agissant dans une démarche marginale. Les armées de plusieurs pays les ont testés sur leurs soldats. La France l’a fait avec le Modafinil durant la Guerre du Golfe en 1991 [1], puis à nouveau l’armée de l’air française avec de la “caféine à diffusion prolongée” en 2011 en Libye, et en 2013 durant l’opération Serval [2].
Tout cela, de tout temps donc, avec tous les effets secondaires parfois négatifs voire catastrophiques qui sont liés à la plupart des psychotropes : accoutumance, dépendance, manque, entraînant des comportements déviants éventuellement jusqu’à la folie.
Cette recherche d’amélioration mentale, répondant à un désir profond, fait donc partie de l’histoire de l’humain.
Quelles sont les méthodes futures pour améliorer notre cognition et comment faire pour rendre tout cela modulable et réversible ?
Le plus simple paraît de continuer à identifier et à améliorer des molécules ou des combinaisons chimiques qui agissent sur la physiologie de la cognition. L’approche pharmaceutique permet de moduler par les dosages, et les effets sont en général réversibles avec l’arrêt des traitements. Ce n’est rien d’autre que ce qui est pratiqué traditionnellement avec les médicaments. Régulièrement, de nouveaux psychotropes ou de nouveaux usages sont mis sur le marché.
Par exemple, ces dernières années, l’usage du LSD – qui agit sur les récepteurs de la sérotonine et sur la production de dopamine, est revenu en vogue sous la forme du micro-dosage. Évidemment, le problème reste que la production, la vente et l’usage de cette substance restant en général interdite dans de nombreux pays, les travaux de recherches sont très insuffisants. Pas mal de personnes témoignent d’effets positifs, mais on ne connaît pas la part d’effet placebo, et on ne sait pas grand chose sur les effets à long terme. Enfin, les effets d’un usage abusif, potentiellement catastrophiques, sont eux bien connus.
Concernant les implants neuronaux maintenant, il est important de savoir que la preuve de concept démontrant la possibilité de transformation mentale a déjà été réalisée. Je cite par exemple une expérience israélienne réalisée il y a déjà près d’une dizaine d’années sur un patient parkinsonien. Après que les impulsions électromagnétiques aient en effet réussi à stopper les symptômes principaux de la maladie (les tremblements), la personne s’est mise à tenir des propos déplacés, à caractères sexuels, à l’endroit d’une technicienne. Ses inhibitions sociales semblaient tout à coup être tombées. Les expérimentateurs ont corrigé l’emplacement de l’implant et, dans l’instant suivant, le patient est tombé dans une sorte de catatonie. Les scientifiques ne sont pas parvenus à expliquer clairement ce qui s’était passé, mais il a été ainsi démontré – une fois de plus par sérendipité (par erreur), que le comportement d’une personne pouvait être modifié du tout au tout par une simple induction électromagnétique.
Un autre exemple est celui du projet de l’implant KIWI, développé à partir de 2018 par la startup Ni2o du chercheur du MIT Newton Howard. Celui-ci avait été recruté par l’Institut du Cerveau à Paris pour tester un implant en nanotubes de carbone, souple et réceptif au rayonnement électro-magnétique. Le gros avantage était qu’on devait pouvoir l’insérer en passant par les parties molles du fond de la cloison nasale. On évitait ainsi de devoir décalotter le crâne, et tous les risques d’infection qui vont avec [3]. Ce projet a finalement capoté, pour des raisons d’ailleurs demeurées obscures. Néanmoins, depuis peu, une startup américaine nommée Syncron, semble avoir repris le même type de projet. Elle a même déjà reçu le feu vert de la FDA pour des essais cliniques [4].
Le neurofeedback et la Stimulation Magnétique Transcrânienne
Depuis plus d’un siècle, on sait que les cellules du cerveau émettent des ondes électromagnétiques. Avec des casques ou bandeau EEG, on est capable de capter ce rayonnement et de le mesurer. Depuis quelques années, ont été mises au point des techniques qui permettent d’essayer d’améliorer diverses dispositions ou facultés cognitives en comparant une activité mentale avec sa signature électromagnétique. Par exemple, vous faites un effort de concentration après une séance de méditation et vous mesurer votre activité électrique neuronale. Puis vous essayez d’améliorer votre performance au vu de vos résultats. Une expérience est d’ailleurs en cours à l’AFT avec le bandeau MUSE S. Bien sûr, les effets sont ici très limités, mais l’avantage est que cette pratique est possible en dehors du cadre clinique, elle est financièrement beaucoup plus accessible et surtout elle est sans aucun danger.
En revanche, la Stimulation Magnétique Transcrânienne est, elle, plus invasive. Elle se réalise essentiellement en milieu clinique et à usage thérapeutique. Il existe néanmoins des casques de SMT grand public, comme le FOCus. Mais, d’une part son efficacité n’est pas prouvée. D’autre part aucune institution ne garantit la qualité de ces appareils. enfin, des effets secondaires négatifs légers ne sont pas exclus.
Pour terminer, un mot des perspectives de l’ingénierie génétique.
À ce stade, nous sommes loin de comprendre les combinaisons complexes de l’expression génétique, et encore moins de la manière dont les combinaisons de gènes s’articulent avec les informations épigénétiques. Mais diverses études tendent à montrer que certaines caractéristiques génétiques – par exemple, la longueur des allèles d’un gène, pourraient jouer un rôle dans la plus ou moins grande aptitude à différentes capacités cognitives, ou à différentes dispositions émotionnelles. Si nous parvenons un jour à étendre notre compréhension jusqu’à ce degré de complexité, et si, parallèlement, nos outils d’ingénierie génétique deviennent suffisamment sûrs, alors nous pourrions envisager non seulement de corriger certaines caractéristiques de notre patrimoine biologique, mais encore de choisir une partie de celui de nos enfants. Notons que cela ne ferait pas du tout disparaître toute indétermination ou tout rôle du hasard. Cela le réduirait simplement, nous permettant notamment d’éviter les situations les pires et d’aider à nous rapprocher du meilleur. Autant dire que ces possibilités ouvrent de vastes questions éthiques. Mais de ces questions, nous avons déjà discuté dans la première partie de cette série : “Améliorations cognitives : Quels espoirs, quels risques ?”.
NOTES
[1] : Vincent Guérin, “L’usage d’un « éveillant » par les soldats français durant la guerre du Golfe (1991)”, in Guerres mondiales et conflits contemporains, 2023/2 (N° 290), pages 129 à 140.
[2] Voir: “L’utilisation de la caféine par l’armée”.
[3] La Recherche, “Ni2o prépare un implant cérébral permettant le dialogue cerveau-machine”, septembre 2018.
[4] L’Usine digitale « La pépite Synchron reçoit le feu vert de la FDA pour tester sa neuroprothèse sur les humains, 30/07/2021».
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