Appel de Zarmina

Une tribune engagée de Ruetsa P. Siûol

Publié le 20 juillet 2019, par dans « transhumanisme »

  J’ai beaucoup voyagé ; j’ai vu beaucoup de belles choses, mais aussi nombre de laideurs sans nom.

  Je voudrais vous parler d’une contrée assez éloignée, qui ne passionne pas les foules, et qui mériterait pourtant quelques lignes. Si je n’ai pas, au terme de mon récit, réussi à vous émouvoir, j’espèrerai au moins avoir laissé un souvenir de ce qu’il s’y passe ; planté une graine d’indignation qui prendra le temps de germer dans votre esprit pour un jour vous convaincre de la nécessité d’agir. Car je pense que nous pouvons, même si cela s’annonce difficile, faire montre de solidarité.

  Evidemment, la première réticence à aider les habitants de cette contrée vient du fait qu’ils ont l’air de se moquer eux-mêmes puissamment de leur sort. La barbarie et l’horreur dans laquelle ils vivent depuis trop longtemps les a comme dissuadés de chercher à s’en sortir ; certes, cela ne provoque pas, chez le voyageur de passage ni chez le spectateur lointain, le moindre début de compassion. Pourquoi donc offrir à ces brutes ce qu’ils ont froidement décidé d’oublier ? Le culte qu’ils semblent vouer à leur état dramatique et aux conditions dans lesquelles ils vivent laissent tout d’abord pantois ; un sentiment de mépris domine ensuite. Que faire face à ceux qui ont pris le parti de la douleur, de la souffrance et de la folie ?

  Jugez plutôt. Sur ces terres oubliées de tous, les enfants apprennent, vers l’âge de cinq ans environ, qu’ils sont condamnés à mort. L’heure et la date de cette mort ne leur sont pas communiqués, sinon en des termes vagues, pour augmenter encore l’angoisse qui ne tarde pas à les étreindre.

  On pourrait penser qu’une telle civilisation, capable par ailleurs de subtilité et de finesse dans les arts, aurait au moins la prévenance d’offrir une mort décente et sans douleur ; non, bien sûr, ce sont systématiquement les pires tortures qui accompagnent celle-ci. Un ingénieux système, qu’ils appellent “loterie génétique” comme pour donner une dimension ludique à cette horreur, attribue à chacun et chacune une torture et une mise à mort bien particulières. Ces sévices s’étalent sur des décennies.

  Ainsi, l’un sera foudroyé par de multiples décharges électriques cérébrales aléatoires ; l’autre perdra ses souvenirs un à un ; une autre encore verra son corps entier se paralyser petit à petit ; un dernier perdra l’usage de ses poumons, de ses yeux, de son système digestif ou de ses articulations. Tous seront soumis à une sorte d’empoisonnement lent et généralisé, diminuant leur capacité à réfléchir, marcher ou même respirer correctement. Les dernières années de ce régime défient les pires visions de cauchemar. Les condamnés sont rassemblés dans des camps d’isolement, sortes de léproseries gardant peu de contacts avec l’extérieur. Des cris déments s’en échappent parfois, mettant au supplice les condamnés plus récents.

  Malgré mes investigations, je n’ai pas réussi à déterminer qui ni quoi était à l’origine de cet empoisonnement logé au coeur même de leur ADN ; depuis quand ils vivent avec ce fardeau universel. Vraisemblablement, le sabotage est ancien et bien organisé. Peut-être un tribut suite à une guerre perdue ? Pour autant, l’affreux spectacle d’autant de corps décharnés et maladifs ne semble pas émouvoir la population, qui se plaint plus souvent qu’à son tour, mais ne fait absolument rien.

  Quand on les questionne, ils se contentent de hausser les épaules. On mesure, à ce déploiement de fatalisme, le chemin qui leur reste à parcourir pour espérer sortir de l’ornière où ils croupissent. Toutefois, il serait injuste de mettre tout le monde dans le même panier ; une classe de la population semble dédiée à alléger un tant soit peu la souffrance générée par ce mécanisme à retardement. Porteurs de blouses blanches ou vertes, membre d’un étrange clergé officiant dans des dispensaires clos de murs, ces “médecins” semblent avoir reçu la mission divine de retarder l’échéance en atténuant les effets des tortures.

  J’ai pu me rendre dans un de ces centres de bienfaisance où l’on soulage superficiellement la douleur et le handicap ; je n’ai pas de mots pour décrire cet enfer. Dès que les signes de leur condamnation sont visibles – une boule dans la poitrine, une toux persistante, un essoufflement funeste -, les pestiférés sont amenés dans des chambres blanches, posés sur des lits métalliques, au plus loin des regards, et subissent maints traitements rituels pour leur éviter de “craquer” trop tôt – c’est-à-dire de sortir du lot et de perdre la face. Car il faut qu’ils meurent, idéalement, après huit de leurs décennies de vie (c’est très peu). Avant, cela ne leur est pas supportable ; après en revanche, cela leur est profondément égal. 

  J’en arrivai vite à la conclusion suivante : un bon citoyen de ce pays, un citoyen valeureux, est un citoyen qui résiste bien à la torture, le plus longtemps, et avec le sourire. Un tel aveu de barbarie devrait déclencher notre hilarité. Hélas, c’est simplement le quotidien de ces habitants. L’empoisonnement auquel tous sont soumis est assez redoutable pour ne laisser aucun espoir à personne ; une petite dizaine de leurs décennies d’existence, et c’en est fini des plus robustes d’entre eux.

  Si seulement ils étaient pauvres, ils auraient toute notre compassion. Mais non ; ils mangent à leur faim, roulent en véhicules autonomes, maîtrisent l’atome et le voyage interplanétaire. C’est donc en toute conscience qu’ils perpétuent, à notre grand désarroi, une soumission à ces insupportables coutumes.

  Le blocage est évidemment psychologique et culturel. C’est pourquoi j’en appelle à votre solidarité ! 

  Faites un geste pour apporter à ces damnés de l’Univers le répit qu’ils méritent tout autant que nous. Offrons-leur nos compétences et le talent de nos meilleurs experts en sciences de la vie pour leur montrer qu’une vie sans torture est possible. Une vie sans déclin, décrépitude ni mort programmée.

  Cette contrée, vous l’aurez peut-être reconnue, c’est la Terre. Elle n’est située qu’à quelques milliers d’années-lumière d’ici. Soyons généreux et ne laissons plus d’autres êtres pensants croupir dans des configurations génétiques d’un autre âge. Faites un don

Ruetsa P. Siûol, Planète Zarmina, zone 8B, district 70-w.

Porte-parole de l'AFT