« Alita : Battle Angel » : qu’est-ce qu’être « humain » ?

Réflexion sur le film "Alita : Battle Angel" (et petite critique à la fin).

Publié le 16 février 2019, par dans « Homme augmentétranshumanisme »

Dans le cadre du transhumanisme, un questionnement qui revient souvent est le suivant : « Qu’est-ce qu’être humain ? ». J’ai déjà publié un article et une vidéo sur le sujet.

Pour faire court, le mot « humain » est souvent source de confusion, car il a (au moins) deux sens possibles :

– Un sens littéral : être un homo sapiens avec deux bras, deux jambes, mourir aux alentours de 80 ans…

– Un sens moral et philosophique : « se montrer humain », « faire preuve d’humanité », etc.

Le récent film Alita : Battle Angel (adaptation du manga Gunnm) fournit une illustration intéressante de cette idée, à travers son personnage principal Alita (« Gally » dans les versions non-américaines du manga). Marc Roux en avait déjà brièvement parlé à travers cet article de 20 Minutes.

Avant d’aller plus loin, précision importante : le but de cet article n’est pas de dire que la « cyborgisation » est une bonne (ou une mauvaise) chose. Il prend simplement le prétexte d’un personnage cyborg (Alita) pour questionner nos catégories.

Alita est un personnage qui n’a d’humain que le cerveau. Son visage a une apparence humaine (si l’on met de côté les très grands yeux), mais il est totalement artificiel, probablement un mélange de muscles mécaniques et de peau en latex. On peut s’en rendre compte de façon très graphique quand, plus tard dans le film, un autre cyborg se fait arracher la moitié du visage, révélant son intérieur artificiel et mécanique.

Quant au reste de son corps, il est également artificiel, mais de manière encore plus visible et criante. Après que le buste d’Alita ait été trouvé dans une décharge par un scientifique « bricoleur », ce dernier lui construit un corps de fortune, qui a de forts airs de pantin (voir l’image ci-dessous).

Ce premier corps ne remplit que des fonctions purement mécaniques : capacité de bouger les bras, les jambes… Mais il est dépourvu de sensation de toucher, et de toute autre fonction biologique. La « nudité » d’Alita ne pose d’ailleurs aucun problème à l’écran, car son corps n’a d’humain que la silhouette et les articulations.

Pour ajouter au tableau, Alita est amnésique : elle ne se souvient plus de qui elle était avant d’être trouvée dans la décharge. Et elle en reste ignorante pendant une large partie du film.

Bref, au sens strict du terme, Alita est un personnage extrêmement peu « humain » : pas de corps, pas de souvenirs… Simplement un cerveau humain fonctionnel.

Pour autant, cela l’empêche-t-il d’être humain au sens « moral » du terme ?

Une autre précision : il s’agit bien sûr d’un film de science-fiction, ce qui nécessite une certaine « suspension d’incrédulité ». Toutefois, une fois ceci accepté, les situations sociales que j’évoque plus bas sont tout à fait plausible et crédibles.

Dans une première partie du film, Alita prend sa condition de cyborg amnésique avec une certaine insouciance. Elle sympathise avec une bande d’adolescents des rues, qui l’acceptent sans problème. Elle développe même un début de romance avec l’un d’entre eux. Dans cet univers étrange et futuriste, le fait d’être un cyborg (de façon plus ou moins étendue) est banal et socialement accepté.

Si le corps « nu » d’Alita peut être perturbant (il évoque un de ces pantins articulés pour dessinateur), une fois qu’elle revêt des vêtements ordinaires, l’illusion est parfaite (mis à part ses bras mécaniques apparents). Il est alors aisé d’oublier qu’elle est « très peu humaine », et elle est perçue socialement comme une adolescente ordinaire.

Car en effet, si on oublie cela un moment, elle possède de nombreuses « qualités humaines » que nous jugeons importantes : émotions, sens de la justice, affection, capacité à rire… Lorsqu’elle revêt un manteau à manches longue, de l’extérieur, nul ne pourrait suspecter qu’elle n’est pas une humaine tout à fait « ordinaire ».

Alita a bien sûr la quête (très classique) de « retrouver son passé » et ses souvenirs. Toutefois, il ne s’agit pas non plus d’une version moderne de Pinocchio, car elle ne cherche pas spécialement à devenir un « vrai petit garçon ». Par ailleurs, même dans sa phase la plus « amnésique » du film, elle n’est pas dépourvue de qualités humaines (ou de joie de vivre) pour autant.

On a donc ici un exemple de personnage « très peu humain » au sens strict, mais « très humain » au sens moral. Et même s’il s’agit d’un film de science-fiction, dans le contexte du film, ce personnage est tout à fait crédible.

Encore une fois, le but ici n’est pas de faire l’éloge de la cyborgisation. Mais cela pousse à nous interroger sur nos catégories. En effet, quand nous disons qu’il est important d’être « humain », qu’entend-t-on précisément par là ? Faut-il plutôt être « humain » comme l’est Alita ? Ou comme certains humains « de chair et de sang » présents dans le film, mais par ailleurs très froids et cyniques ?

C’est l’occasion de s’interroger sur les qualités importantes que nous mettons derrière le mot « humain », afin de ne pas en rester à une compréhension vague et superficielle de ce concept. On peut ensuite se demander : dans une perspective transhumaniste (longévité radicale, modifications génétiques, cyborgisation…), quelles « qualités humaines » importantes souhaitons-nous préserver, voire développer ? C’est un problème plus subtil que ce que l’on pourrait croire au premier abord.


Mini-critique du film

Je profite de cette article pour faire un petit retour sur le film. Plus jeune, j’avais beaucoup aimé le manga Gunnm [1], qui contient la plupart des thématiques transhumanistes (mais aussi des personnages attachants, un univers vertigineux, etc). Je n’attendais pas grand chose de cette adaptation, mais au final, j’ai été plutôt agréablement surpris. Les aspects « importants » du manga (personnages, ambiance de la ville…) sont retranscrits à l’écran, avec bien sûr la contrainte de faire tenir plusieurs volumes en deux heures de film (ce qui nécessite quelques ajustements scénaristiques).

Le film étant à 95% en images de synthèse, cela permet des scènes de combat très fluides et lisibles (bien que complexes). Tout à l’opposé du fameux « montage à la Michael Bay » (succession ultra-rapide de plans d’une demi-seconde), que je trouve très brouillon et désagréable.

Le film a été beaucoup critiqué avant sa sortie à cause des « gros yeux » d’Alita, un choix personnel du réalisateur Robert Rodriguez (qui, quoiqu’on pense de son adaptation, est un grand fan du manga). Au final, cela ne choque plus après quelques minutes de film. Cela donne même un côté plus « humain et sympathique » à Alita, l’éloignant du cliché du cyborg froid et surpuissant (comme, par exemple, l’héroïne de Ghost in the Shell).


Notes

[1] Puisque beaucoup de gens semblent l’ignorer, je précise que le manga Gunnm (débuté en 1990) est toujours en cours de parution aujourd’hui, d’abord poursuivi sous le nom Gunnm Last Order, puis, plus récemment, Gunnm Mars Chronicles. Malgré les changements de titre, il s’agit bien de la continuation de la même histoire (même univers, mêmes personnages…).

Beaucoup de lecteurs ont abandonné Gunnm Last Order à cause d’un épisode de tournoi très long et peu intéressant. Toutefois, ce tournoi prend fin au chapitre 109 (volume 17), et le scénario reprend ses droits.

Porte-parole et vice-président de l'Association Française Transhumaniste. Pour accéder à ma page perso (articles, chaîne YouTube, livre...), ou pour me contacter par e-mail, cliquez ici.