Boîte à outils des principes sociaux-futuristes

Deuxième texte écrit en anglais par Amon Twyman, transhumaniste britannique à l'origine du premier parti politique transhumaniste européen (TPEU), et traduit en français par Audrey Arendt.

Publié le 22 février 2016, par dans « transhumanisme »

NB : suite de la série de trois textes écrits en anglais par Amon Twyman, transhumaniste britannique, fondateur de « Zero State » et à l’origine du premier parti politique transhumaniste européen (TPEU). Publication originale : IEET 2014.

Merci infiniment à Audrey Arendt pour la traduction

 

Par Dr. Amon Twyman de Institute for Social Futurism

Dans un post récent et repris sur le site de l’IEET, j’ai entamé une critique très générale sur la place que tenait le capitalisme dans notre société, et j’ai esquissé les grandes lignes d’une alternative présentée sous le nom de social-futurisme. Le propos général de l’article montrait que le capitalisme, malgré ses succès, ne pouvait ni être mis en pause ni ajusté une fois que ses effets devenaient problématiques ; et ce malgré de rapides changements technologiques sur le point de rendre viables certaines de ses alternatives. Ainsi et malheureusement, nous risquons d’être forcés de nous battre pour avoir ne serait-ce que le droit de choisir parmi ces alternatives.

Cet article se devait d’être à la fois bref tout en recouvrant largement le sujet, ce qui ne m’a pas laissé l’opportunité de détailler une quelconque politique d’action. Il serait malencontreux de penser que le social-futurisme n’a pas d’idées précises à son service et c’est pourquoi je souhaite ici proposer une sorte de « boite à outils des politiques d’action ». Les catégories suivantes ne vont pas nécessairement se retrouver dans tout groupe ou tout mouvement social-futuriste ; elles sont plutôt à considérer comme des blocs fondamentaux, à partir desquels des politiques organisationnelles seront adaptées aux conjonctures et conditions locales. De même, la boite à outils en l’état présent n’a pas vocation à l’exhaustivité.

Mon intention est que cette boîte à outils constitue une sorte de pont entre les discussions politiques au niveau le plus large et le plus général, et le développement de règles directrices particulières pour les groupes à l’échelle locale. Les six catégories de politique de conduite de base ne seront qu’esquissées ci-dessous et seront très prochainement analysées en leur entièreté par l’Institut de Recherche Wave [devenu Institute for Social Futurism].

Au final, aucune des idées présentées ici n’est véritablement nouvelle (la sixième partie étant l’unique nouvelle contribution), et il est toujours difficile de les rassembler en un simple morceau pour en faciliter la mémorisation et la communication. J’ai dans l’espoir qu’en temps voulu, le label «social-futuriste » agisse au croisement naturel de toutes ces idées compatibles bien que disparates, permettant aux gens de se référer à un champ de solutions possibles aux problèmes les plus importants en deux mots plutôt qu’en deux-mille.

 

  1.     Preuve, équilibre & transition.

Tous les principes directeurs de cette boite à outils doivent être appréhendés selon un point de vue pragmatique et flexible – plutôt qu’idéologiquement borné. En étant flexible et pragmatique, notre intérêt est de faire en sorte que ces lignes de conduite servent effectivement à régler les problèmes. C’est pourquoi l’utilisation de preuve empirique est indispensable au social-futurisme. Le développement et l’évaluation d’une politique d’action doit mettre l’accent sur l’identification de buts quantifiables et l’utilisation de la preuve empirique dès que possible, afin d’encourager cette politique, dans son évolution, à s’aligner sur nos buts au long terme.

Dans une même lancée, nous devons viser un équilibre optimal entre des positions idéologiques antagonistes, de manière à ce que tout choix puisse être considéré dans la continuité, plutôt que dans la dichotomie. La question de la transition est un exemple important ; la transition est le processus de développement entre notre situation PEST (politique, économique, sociale, technologique) présente, vers une société plus fonctionnelle et plus juste. Les questions politiques sont souvent dépeintes en de fausses dichotomies, qui nous imposent de choisir entre notre situation actuelle et des utopies radicales, complètement déconnectées de la réalité. Il est préférable et bien plus abordable d’équilibrer intelligemment passé et futur dans une phase de transition pragmatique.

Par exemple, les sections 2 à 4 développées ci-dessous proposent une série d’ajustements économiques pour la société. Dans la perspective de ceux qui adhèrent au statu quo, ce sont des ajustements particulièrement radicaux. Du point de vue d’un utopiste radical, ce ne sont tout au plus que des demi-mesures. Selon la perspective social-futuriste, ce sont des mesures essentielles pour maximiser les chances de mettre en œuvre une société meilleure encore à ses balbutiements, tout en prévenant les risques d’une déstabilisation de l’ordre social, causée par de trop rapides changements jusqu’ici sans pareil. Ma vision personnelle d’une phase de transition sociétale découle d’une observation exprimée par Ray Kurzweil : si le changement prend toujours beaucoup plus de temps que prévu, ses conséquences se révèlent souvent beaucoup plus profondes qu’anticipées. Cela signifie que se concentrer sur une phase de transition est ce qui nous permettra de travailler sur le long terme à des changements véritablement radicaux.

En résumé, l’efficacité de nos méthodes doit être évaluée par les preuves ; nous devons ajuster nos politiques d’action en restant flexibles et pragmatiques ; et nous devons viser une étape de transition vers un futur meilleur plutôt que risquer une grave déstabilisation de la société.

 

  1. Le Revenu de Base Universel & l’IUTA

Un « filet de sécurité » minimal de type Revenu de Base Universel doit être établi. Le but ici n’est pas de tirer sur l’économie de manière excessive, ni d’introduire un revenu de base plus large que nécessaire à la satisfaction des besoins essentiels de la vie. Lorsque possible, le RBU devrait être financé en recombinant un démantèlement des bureaucraties de prestations sociales à une combinaison d’Impôt Unique et de Taxe sur l’Automation (IUTA).

L’IUTA est le prolongement de la traditionnelle taxe foncière, incluant une infime taxe pour chaque unité de travail automatisée, et qui correspondrait au remplacement d’un travailleur humain individuel. Cette extension de la taxe foncière vise à exploiter l’élan économique de l’automation de travail, attendu comme principale cause du chômage technologique dans les décades à venir. L’impôt doit être considérablement inférieur au coût d’un emploi humain afin de ne pas porter tort au processus d’automation. (D’aucuns pourraient avancer que la seule introduction d’un impôt suffirait à dissuader le recours à l’automation, mais ici notre but n’est pas d’encourager le processus d’automation ; étant donné que l’automation coûtera moins cher que le travail humain, elle en sortira toujours gagnante). L’IUTA remplacerait le nombre grandissant d’impôts et taxes arbitraires en constante augmentation sur les biens et les services, et contribuerait à la consolidation des économies occidentales.

Le social-futurisme est compatible avec la possession de propriété privée et ne plaide pas pour la confiscation de celle-ci. La redistribution des richesses, en revanche, est préconisée dans le seul sens où elle peut être réalisée par les moyens de l’IUTA et du RBU. Dans quelle mesure le choix sera laissé aux gens quant à la manière de payer les taxes, à qui les payer et s’ils souhaitent-même les payer, est un point soulevé dans la section 6. Remarquons que si un équivalent fonctionnel du RBU existe et se révèle plus efficace (comme les parts des citoyens dans les Coopératives Autonomes et Distribuées), alors, les sociaux-futuristes devront préférer la solution la plus efficace comme nous l’avons expliqué en .1.

 

  1. L’abolition du Système de Réserve Fractionnaire

Le système de réserve fractionnaire est un procédé qui oblige les banques à garder un faible pourcentage des dépôts de leurs clients en réserve, permettant à la masse monétaire de grossir par un effet multiplicateur le montant de la base monétaire centrale. Au travers de cette pratique, les banques centrales perçoivent des intérêts sur la monnaie qu’elles créent (et par ce fait, génèrent une dette sur la société entière, et qui ne pourra jamais être remboursée) et exposent l’économie entière lorsqu’elles deviennent incapables de satisfaire une forte demande des retraits. Le système de réserve fractionnaire représente un danger potentiel pour la société en son entier et au bénéfice d’une infime part des citoyens seulement. C’est pourquoi ce système doit être aboli. L’alternative à la réserve fractionnaire est la réserve pleine ou le 100% monnaie, dans lequel toutes les banques doivent conserver la totalité des dépôts en réserve à tout moment.

Le 100% monnaie est plus conservateur que la réserve fractionnaire et signerait en même temps la fin du « crédit facile ». En retour, il accorderait assez de stabilité pour permettre à notre société de traverser une phase de transition, jusqu’à ce que l’économie de l’abondance technologique se détache des systèmes bancaires traditionnels, et rende le principe capitaliste de plus-value lui-même inutile.

 

  1. Capitalisme Responsable, Economie de l’abondance et Bourses des Marchandises émergentes

Les politiques sociales-futuristes doivent favoriser le commerce responsable et exercer une forte régulation sur les comportements imprudents, tout en se gardant de faire du capitalisme le maître aveugle de la société au lieu d’un moteur. A cette fin, il faut inscrire dans les principes sociaux-futuristes que toute entreprise désirant opérer dans une communauté, devra s’enregistrer sous les organismes de régulation appropriés mis en œuvre par cette société. L’autorégulation ou le refus de régulation des industries irrespectueuses des communautés – qui vont subir les répercussions de leurs activités – est inacceptable. (Pour les besoins de ce bref argument, j’ai concentré les notions de marché et de capitalisme, en dépit du fait que le commerce existait déjà des millénaires avant que les sociétés ne s’organisent autour du profit basé sur l’investissement de capitaux. Ces questions seront traitées séparément et plus largement un peu plus loin.)

Lorsque possible, les sociaux-futuristes devront défendre la transition vers la gestion des ressources non-monétaires pair-à-pair (P2P), dans les conditions atteintes d’économie de l’abondance.  En d’autres termes, nous devons toujours chercher à éviter la création ou l’entretien d’une pénurie artificielle des ressources essentielles. Un espace continu pour le commerce, même sous des conditions d’abondance, sera reconnu et encouragé lorsqu’il permet de réduire la pénurie artificielle, promeut l’innovation technique et satisfait les besoins et directives de la communauté. Les marchandises émergentes (ex. les pénuries artificielles naturelles telles que les œuvres originales uniques) demanderont un encadrement pour le commerce responsable même sous des conditions optimales d’économie de l’abondance et c’est pourquoi il nous incombe maintenant de développer de tels cadres, dans notre contexte capitalisme contemporain.

 

  1.      Autonomie humaine, vie privée et amélioration.

Le social-futurisme comprend l’idée transhumaniste d’après laquelle, la condition humaine peut et doit progresser via une utilisation intelligente et compassionnelle de la technologie. Nous mettons également un très fort accent sur le volontarisme. Ces concepts, associés, ont pour conséquence le soutien et la défense du droit à disposer de son propre corps et de ses informations personnelles. Les principes sociaux-futuristes doivent dès lors s’opposer à tout processus à l’issue duquel les gens perdraient leur souveraineté individuelle ou céderaient involontairement leur droit à disposer de leurs données personnelles. Les sociaux-futuristes doivent également défendre le droit d’opérer sur soi des modifications par le biais de la technologie, à la condition que l’individu soit un adulte consentant et mentalement responsable, et que les modifications en question ne constituent pas un quelconque risque pour les autres.

 

  1. L’édification d’États PVD (Parallèles, Virtuels et Distribués)

Le principe de subsidiarité alloue la responsabilité organisationnelle à l’entité la plus petite ou la plus locale, compétente pour gérer une situation en cas de nécessité. En d’autres termes, le pouvoir doit être distribué aussi loin que possible et dans la mesure où cela ne réduit pas notre capacité à faire face aux défis en tant que société.

Par exemple, les problèmes de gouvernance locale devront être administrés au niveau local plutôt que national lorsque possible. Le social-futurisme pousse la subsidiarité à sa conclusion logique, en soutenant que les gens devraient avoir le droit de gérer leurs propres affaires lorsqu’ils en sont capables et tant qu’ils ne mettent pas à risque l’ensemble de la communauté. De même, face à des questions auxquelles les organisations locales et les individus seuls ne pourraient se montrer compétents, la responsabilité incombera à de plus larges niveaux de gouvernance (ex. national et transnational).

Lorsqu’une gouvernance globale est nécessaire, le modèle à suivre devrait plutôt tendre vers celui des agences de coopération globale, spécialisées dans une aire d’expertise (ex. L’Organisation Mondiale de la Santé), que vers celui d’un gouvernement central qui gère tout type de problème. De cette manière, la distribution du pouvoir reste fonctionnelle même lorsque la résolution d’un problème ne peut se gérer via le niveau local.

Afin d’encourager le développement de ce système, nous défendons l’édification de communautés dotées de pouvoirs d’auto-gouvernance, présentés comme États PVD, où PVD signifie  « Parallèles, Virtuels et Distribués ». « Virtuels » fait référence aux communautés onlines, transcendantes aux territoires géographiques traditionnels. « Distribués » se rapporte aux États géographiques en tant que parties de la communauté, et qui se trouvant sur différents sites, constituent une sorte de réseaux d’enclaves. « Parallèles », fait référence aux communautés existantes sur les territoires établis des États traditionnels, et qui jouent de ce fait, le rôle d’un contrepoint organisationnel au corps directeur de cet État. Deux ou trois des caractéristiques peuvent se retrouver dans un seul État PVD, mais l’on peut s’attendre à ce que la plupart de ces communautés n’en privilégient qu’une seule. De même, un État PVD  mettra l’accent sur l’une ou l’autre des caractéristiques en fonction des différentes étapes de son développement.

Compte tenu de l’insistance du social-futurisme sur le volontarisme, la citoyenneté à l’État PVD doit être entièrement volontaire. En effet, le but de l’État PVD est d’élargir le champ des modèles de gouvernance dans lesquels les gens auraient le choix de s’engager, là où il leur est présentement demandé d’accepter un seul modèle de gouvernance possible.

Étant donné la nouveauté et le coté expérimental d’une telle approche de la gouvernance, il faut s’attendre à ce que nombre des idées qui lui sont associées nécessitent d’être plus amplement développées et mises à l’épreuve. Certaines de ces idées ne pourront satisfaire nos exigences d’évaluation empirique. Toutefois et afin d’anticiper rapidement quelques objections notables, certaines précisions doivent être ici apportées. Premièrement, la distribution n’implique pas une absence d’organisation sociale ; il s’agit ici seulement de permettre aux gens d’exercer un choix sur la manière avec laquelle ils s’engagent vis-à-vis de la société. Deuxièmement, oui, il est vrai que les trois caractéristiques PVD ont aussi leurs propres limites (ex. le problème de la défense des enclaves isolées), mais c’est justement la raison pour laquelle tout État PVD devra trouver le juste équilibre entre ces caractéristiques, de manière à servir aux mieux ses buts et son contexte. Troisièmement et comme mentionné plus haut, différentes approches peuvent être combinées si nécessaire, ainsi l’on peut utiliser la configuration d’un EPVD installé sur site unique, comme patron en vue de la création d’un réseau distribué de communautés. Enfin, la notion d’EPVD n’est pas une idée affranchie, elle doit se concevoir comme complémentaire à toute initiative qui manifeste le potentiel de maximiser son utilité et sa valeur pour la société (ex. l’Ecologie Open Source).

 

Addendum : quelques mots au sujet du marxisme.

Dans cette section je vais donner un exemple du point développé en .1 (au sujet de l’équilibre et de la transition) qui tirera parti d’une vision marxiste, en ce que les préoccupations du social-futurisme sont également partagées par les marxistes. Cette logique s’applique tout autant aux mouvements dont les buts et les méthodes sur le long terme sont plus proches des nôtres, tel que le Mouvement Zeitgeist. J’ai choisi de mettre cette note à part, parce que je ne souhaite pas donner la fausse impression que le social-futurisme ait un pendant marxiste. Le SF s’adresse simplement à des problèmes qui ont déjà été appréhendés et analysés par les marxistes et c’est pourquoi il vaut la peine de relever ici la pertinence de leur point de vue par rapport au notre.

Pour Marx, la source au problème du capitalisme est la plus-value. C’est-à-dire, le fait que les capitalistes (les investisseurs) paient les travailleurs avec une portion seule de la valeur de ce qui a été produit par leur travail, et que la valeur restante (la  « plus » value) est gardée en tant que profit par la classe des propriétaires capitalistes, ainsi que les rentes et intérêts sur les dettes. Les marxistes affirment que les travailleurs doivent s’approprier collectivement les moyens de production (c.à.d. les usines, les machines, les ressources et tout le capital), et mettre ainsi fin à la plus-value et aux phénomènes qui lui sont associés, tels que les pratiques problématiques des banques. Selon ce point de vue, l’on peut raisonnablement avancer que « s’occuper des symptômes » au lieu de s’attaquer au cœur du problème se révélera inefficace (ou pire, dangereux), et que les revenus des citoyens devront dès lors être payés par une distribution égalitaire de tout le profit tiré des moyens de production, collectivement possédés.
Sans vouloir entrer dans un débat qui viserait à déterminer si l’idéal marxiste est possible ou voué à faire le lit du communisme autoritaire historique, je dirais que même une révolution marxiste bienveillante pourrait complètement déstabiliser la société si elle devait se réaliser trop rapidement. Le social-futurisme ne renie pas l’analyse marxiste du problème, mais il cherche à échelonner une transition vers une société post-capitaliste qui ne risquerait pas de miner d’un seul coup les fondements de notre société actuelle. Bien qu’un débouché social-futuriste optimal, et au long terme, ne soit pas forcément au goût de certains marxistes (et encore moins aux stalinistes et au maoïstes historiques), il entraînerait sans aucun doute une transition vers une société de l’abondance, démocratique et distribuée, et révoquerait la plus-value capitaliste de sa position de principe organisateur central de notre civilisation.