Difficile à avaler ? La pilule contraceptive est transhumaniste !

Les pratiques transhumanistes sont davantage présentes qu’on le pense. C’est notamment le cas des méthodes de contraception orale.

Publié le 27 avril 2023, par dans « Homme augmenté »

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Nous pratiquons déjà le transhumanisme … sans le savoir

Dans le débat d’idées mené par le mouvement transhumaniste, ce qui est en jeu n’est pas seulement l’ouverture des esprits et l’évolution des mentalités afin que davantage de choix technologiques soient possibles. Il est également nécessaire de contribuer à ce que chacun se rende compte à quel point la dynamique transhumaniste est déjà présente dans nos sociétés. Autrement dit, il faut réaliser que diverses pratiques transhumanistes font déjà notre quotidien, parfois depuis longtemps.

L’exemple le plus souvent mis en avant par les porte-parole du mouvement est celui des vaccins. Une pratique invasive qui modifie durablement, voire dans certains cas, de manière définitive la biologie du receveur, qui lui confère une capacité qu’il n’avait pas à l’état « naturel » (c’est-à-dire, à strictement parler, selon les données de sa naissance) et que lui-même considère comme une amélioration de sa condition.

Mais si l’on s’accorde sur une telle définition pour dire en quoi une technique, une substance ou un appareillage relève du transhumanisme, il devient possible d’en identifier d’autres. En effet, une dimension importante de la tendance à l’amélioration humaine consiste à prendre conscience de ce que nous pouvons choisir délibérément d’utiliser une technique, non pas seulement pour en obtenir un effet thérapeutique ou à court terme mais en espérant en tirer une transformation à moyen ou long terme, voire de façon définitive. Ainsi, la pratique de la vaccination, tant qu’elle n’était conçue que comme une prévention dans un cadre médical, ne pouvait pas être qualifiée de « transhumaniste ». Par contre, ce n’est plus le cas à partir du moment où elle est poursuivie, généralisée et même systématisée par des réglementations contraignantes, en toute connaissance de cause sur les possibles effets à long terme de notre biologie. À partir du moment où l’on modifie délibérément la condition physiologique d’un humain dans un but ouvertement mélioratif, l’acception transhumaniste s’impose.

La pilule remplit tous les critères du transhumanisme

Nous pourrions prendre divers exemples, mais il sera ici question d’une autre pratique mondialement répandue de nos jours : la contraception, notamment la contraception orale ou médicamenteuse, c’est-à-dire de la pilule.

Les contraceptifs oraux, tout comme les médicaments, sont des objets de technologie. C’est notamment vrai de la pilule classique dont les propriétés sont basées sur l’action d’hormones de synthèse. Celles-ci imitent les hormones naturelles (progestérone et œstrogènes) impliquées, par exemple dans l’ovulation, mais elles n’en restent pas moins des substances chimiques non naturelles.

Surtout, il est clair ici que, la plupart du temps, l’objectif visé n’est pas thérapeutique. Il ne s’agit ni de prévenir une détérioration de la santé, ni de chercher à réparer, encore moins à retrouver une fonction perdue. Tout au contraire, il s’agit d’empêcher une fonction naturelle qui réalise même l’un des principes essentiels du vivant : la reproduction. Ce n’est pas pour rien si, depuis des siècles, des Églises de toutes sortes sont vent debout contre toute forme de contraception.

Par ailleurs, l’usage de la pilule est susceptible de transformer de manière importante l’équilibre physiologique des personnes qui les utilisent. Chez la femme, nausées, maux de tête, seins douloureux, voire baisse de la libido semblent être des conséquences assez fréquentes [1]. Parfois, des effets secondaires pénibles contraignent à l’abandon de l’usage de ce contraceptif.

À l’inverse, on s’est rendu compte que la prise de la pilule pouvait être bénéfique pour d’autres raisons que la contraception. Elle peut en effet aider à modérer l’acné, et surtout à atténuer des règles douloureuses.

En échange, jusqu’à présent l’approche hormonale n’est attestée comme efficace, généralement bénigne et pratique que chez la femme. Chez l’homme, l’utilisation d’hormones oblige à un traitement de long terme, la production de spermatozoïdes étant continue. Il faut attendre plusieurs mois pour que la stérilité soit constatée ou la production retrouvée, avec pour conséquence que cette solution n’est pas mise sur le marché. Diverses pistes alternatives sont suivies, dont tout récemment celle de l’adénylate cyclase soluble (sAC) qui aurait la faculté d’inhiber rapidement la mobilité des gamètes mâles. Mais les tests de cette solution n’ont été réalisés que sur des souris et aucune autre méthode n’a encore passé de manière satisfaisante les tests cliniques [2].

L’argument de l’irréversibilité

Par ailleurs, les effets secondaires dont il vient d’être question précédemment sont des effets constatés à court ou moyen terme. Mais on peut se demander ce qu’il en est des effets à long terme. Il paraît probable qu’après des années d’utilisation chez une même personne, ce qui peut correspondre jusqu’à deux ou trois décennies, les effets soient difficilement réversibles. Selon diverses études, la pilule pourrait être impliquée dans l’aggravation des risques de cancer, de problèmes cardiaques ou circulatoires, de dysfonctionnements biliaires ou encore de troubles dépressifs [3].

Enfin, théoriquement, il n’est pas impossible qu’une partie de ses effets, positifs ou négatifs, se transmettent par voie épigénétique au moins sur quelques générations [4]. Simplement, à ce jour, faute de recul et d’études longitudinales à ce sujet, ces conséquences éventuelles demeurent inconnues.

Il est intéressant que ces deux particularités – quasi irréversibilité et transmission possible à une partie de la descendance, ne sont pas des éléments généralement retenus pour condamner la pilule. Il en va de même de diverses pratiques médicales qui imposent à ce jour une irréversibilité, ou quasi irréversibilité, sans  que cela ne pose de problème à la plupart des gens et aux autorités publiques. On l’a vu, c’est notamment le cas de beaucoup des vaccins inoculés dès l’enfance. Pourtant, bon nombre des critiques du transhumanisme utilisent l’argument de l’irréversibilité pour dire à quel point, selon eux, ces techniques sont dangereuses. Cela montre qu’en réalité, l’argument de l’irréversibilité est hypocrite. Il fait l’objet d’un usage selon deux poids et deux mesures. Quand une technique est nouvelle ou en cours d’adoption, certains vont la critiquer au motif de ses effets irréversibles. Mais quand il s’agit d’une technique installée depuis assez longtemps, ces effets sont acceptés. Il en découle que l’irréversibilité n’est pas une condition pour qu’une technique soit considérée comme relevant du transhumanisme. Ce qui est important, c’est seulement de s’assurer que les effets obtenus sont globalement positifs, et donc apportent une amélioration.

Les autres moyens de contraception pourraient entrer dans cette définition

Disons également un mot sur les autres modes de contraception. Quid des contraceptifs mécaniques (préservatifs, stérilets, diaphragme …) ou de la « pilule du lendemain » [5] ? A priori, ils semblent ne pas pouvoir impacter beaucoup la physiologie de leurs usagers à long terme. Leur emploi est généralement de durée momentanée ou leur pose réversible. Surtout, ils ne produisent pas d’échanges chimiques directs ou durables avec notre métabolisme. Néanmoins, ils continuent à répondre à cette définition élémentaire : améliorer la condition biologique des personnes qui en font usage grâce à une technique. On pourrait considérer qu’il s’agit d’un transhumanisme de faible degré.

Mais que dire alors des opérations radicales comme la ligature des trompes, ou la vasectomie ? Dans ces situations, l’impact sur les corps est bien plus important. On notera que, dans ces cas-là, il n’est pas question « d’augmenter » quelque chose mais de supprimer un fonctionnement. Mais ceci ne contredit nullement la définition précédente. Une amélioration humaine peut passer par une diminution.

La pilule est transhumaniste et technoprogressiste !

Au final, que les moyens de contraception utilisés soient peu ou très invasifs, qu’ils soient d’un effet ou d’une présence courte ou durable, que cet effet soit réversible ou non, le plus important paraît être que les personnes qui les utilisent, malgré d’éventuels effets négatifs – et c’est particulièrement le cas de la pilule, le font parce que, tout bien considéré, ils et surtout elles considèrent que cela améliore leur condition biologique. Ils ou elles peuvent mieux contrôler leur fertilité ou leur fécondité.

Cet élargissement de la palette des choix me paraît très bien correspondre à l’idée que je me fais du transhumanisme. D’autant plus qu’il a contribué à la transformation des rapports de pouvoir autour du contrôle de la fécondité. Cette dimension des rapports sociaux qui a profondément marqué toutes les communautés humaines depuis la nuit des temps s’en est trouvée bouleversée. Les femmes, d’abord, dont le corps était un enjeu, ont pu commencer à se ré-approprier elles-mêmes. Cette libération, encore difficilement à l’œuvre un peu partout sur la planète, est la marque d’un très grand progrès de société, un progrès humain permis grâce à la technique : une avancée d’un transhumanisme technoprogressiste.

NOTES / SOURCES

[1] Marie-Céline Ray, Futura Science, « Pilule contraceptive : 7 effets secondaires avérés », < https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/femme-pilule-contraceptive-7-effets-secondaires-averes-68578/ > 18 septembre 2017.

[2] Gaël Lombart, Le Parisien, « Contraception masculine : enfin une pilule efficace pour les hommes ? », < https://www.leparisien.fr/sciences/contraception-masculine-enfin-une-pilule-efficace-pour-les-hommes-14-02-2023-R2QFL7RBABBJHD5Z3RQAQLYIBI.php > 14 février 2023. ;

Bridget Kuehn, Weill Cornell Medicine, « On-demand male contraceptive shows promise in preclinical study », < https://news.cornell.edu/stories/2023/02/demand-male-contraceptive-shows-promise-preclinical-study > February 15, 2023. ;

INSERM, « Vers la pilule masculine, vraiment ? », < https://presse.inserm.fr/canal-detox/vers-la-pilule-masculine-vraiment/ >,  29 Août 2022.

[3] Courtney Johnson, Carenity, « Santé de la femme : quels sont les effets secondaires « inconnus » des pilules contraceptives ? », < https://www.carenity.com/infos-maladie/magazine/actualites/sante-de-la-femme-quels-sont-les-effets-secondaires-inconnus-des-pilules-contraceptives-1828 > 4 juin 2021.

[4] Pauline Monhonval, Françoise Lotstra, in Cahiers de psychologie clinique, “Transmission transgénérationnelle des traits acquis par l’épigénétique”, 2014/2 (n° 43), pages 29 à 42. < https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2014-2-page-29.htm >

[5] Vidal, « La pilule du lendemain », 19/01/2023 < https://www.vidal.fr/maladies/sexualite-contraception/contraception-feminine/pilule-lendemain.html >

Porte-parole de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog, chercheur affilié à l’Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET). En savoir plus