Entretien avec Liz Parrish, "patiente zéro" d'une thérapie de rajeunissement

Liz Parrish, PDG de BioViva, a testé sur elle-même une thérapie de rajeunissement, qu'elle compte à terme diffuser à grande échelle. Voici son interview traduite en français (traduction par Emmanuel EMG).

Publié le 23 octobre 2016, par dans « Immortalité ? »

Liz Parrish est PDG de BioViva, une entreprise américaine visant à développer des thérapies de rajeunissement à bas coût.

En début d’année, Liz Parrish a testé sur elle-même une thérapie de rajeunissement par injection. Cela comportait une grosse prise de risque, et nous saluons le courage de ce genre d’initiatives (voir notre article sur l’importance des patients volontaires).

Son objectif est maintenant de conduire des tests à plus grande échelle et de faire baisser les coûts, afin de développer un produit accessible au grand public d’ici quelques années.

Elle a réalisé une interview à ce sujet disponible sur YouTube. Ci-dessous, une transcription complète de cette interview en français (traduction par Emmanuel EMG).

Quelques extraits :

« Nous avons hâte d’apporter ces thérapies au grand public, parce que pour la première fois nous aurons accès à l’intérieur de la cellule, au cœur du problème qui est la cause de toutes les maladies qui nous tuent. Et peut-être que nous pourrons éradiquer plusieurs maladies en même temps. »

« Nous interpellons le monde entier et demandons à mettre à bas les frontières et les barricades, pour travailler ensemble à la résolution de ce problème majeur. »

« Les antibiotiques et la vaccination ont créé une humanité qui connaît la suffisance alimentaire, a réfléchi aux droits des animaux, à l’environnement… Ces sujets sont apparus parce que nous avons le temps d’y penser, nous avons le loisir de nous projeter. Imaginons donc un monde où nous avons plus de temps… »

 

Interview complète

 

Quel est le principe de cette technologie, et ce qui la rend unique ?

La différence de notre démarche tient au fait que nous essayons de nous attaquer au vieillissement biologique, qui est à l’origine de tout ce dont nous mourons à un âge avancé : des maladies cardiovasculaires au cancer, en passant par l’insuffisance rénale, la démence sénile, Alzheimer… Tout cela est dû à nos cellules, qui s’altèrent, qui se comportent comme de vieilles cellules, ne se réparent plus seules. Nous avons donc ciblé deux thérapies géniques, qui vont aider les cellules à continuer à se comporter comme de jeunes cellules. Et cela marche : cela marche in vitro, chez les animaux… L’une des thérapies sur lesquelles nous travaillons est déjà testée chez des humains en essais cliniques avec plusieurs groupes. Nous avons hâte d’apporter ces thérapies au grand public, parce que pour la première fois nous aurons accès à l’intérieur de la cellule, au cœur du problème qui est la cause de toutes les maladies qui nous tuent. Et peut-être que nous pourrons éradiquer plusieurs maladies en même temps. C’est un changement de paradigme qui concerne la façon dont nous mourons, et donc dont nous vivons.

 

Quel est le prix de cette technologie aujourd’hui ?

Aujourd’hui, si on regarde les entreprises qui effectuent les thérapies en suivant les réglementations américaines et européennes, le prix est de plus d’1,5 million de dollars par thérapie. Notre entreprise se focalise sur la création d’une pipeline capable de réduire ce coût de manière significative. A l’heure actuelle, ces thérapies sont très chères, surtout à cause de la mise au point du produit lui-même. Mais une fois que cette étape sera maîtrisée, nous serons capables de sortir un produit à un coût tellement bas que, espérons-le, tout le monde pourra y avoir accès.

 

Il s’agirait donc d’une technologie accessible, mais vous ne pouvez pas donner de prix ?

Non, nous n’avons pas les chiffres aujourd’hui, il faudra plusieurs années pour faire baisser les prix. C’est un peu comme construire un superordinateur : le premier superordinateur a coûté des millions de dollars, et maintenant votre téléphone portable est capable de faire encore plus de choses… et c’est prévisible : nous voulons apporter au monde un produit prévisible. Nous ne pourrons pas le faire dans cinq ans si nous ne commençons pas maintenant. C’est ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui : nous interpellons le monde entier et demandons à mettre à bas les frontières et les barricades, pour travailler ensemble à la résolution de ce problème majeur.

 

Pensez-vous que les gens seront prêts à accepter de rajeunir de cette manière ?

Absolument, il suffit de regarder les chiffres. Si vous demandez à quelqu’un s’il serait prêt à vivre jeune jusqu’à cent ans, il est vrai que vous pouvez heurter ses convictions. Mais si vous regardez les dépenses réelles de santé, 80% de ce que les gens dépensent pour leur santé est dépensé au cours de leurs deux dernières années de vie, pour rester vivant ne serait-ce qu’un mois de plus. Nous pensons que si nous pouvons apporter ces technologies au public, si celui-ci les voit marcher, les gens les accepteront facilement, du moment qu’ils peuvent se les offrir. Pour répondre à ceux qui craignent que ces technologies ne soient accessibles qu’aux plus riches : notre entreprise est très transparente là-dessus, nous sommes là pour assurer que ces thérapies soient disponibles pour tous.

 

Comment vous sentez-vous après le traitement, y a-t-il des symptômes évidents de rajeunissement ?

Eh bien, je me sens en pleine forme. L’induction de télomérase, même si la dose était réduite, a été liée à un allongement des télomères, ce qui est fantastique. Ce n’était qu’un petit pas, mais un pas important tout de même, et c’est cela qui compte. En ce qui concerne les muscles, je n’ai pas arrêté d’être en déplacement ces derniers mois et je n’ai pas pu faire d’exercice, mais vous pouvez sentir mes muscles (rires), partout, mes jambes, bras, mon ventre… je me sens en pleine forme et ça fait du bien. Il s’agit en fin de compte de gènes naturels, ce sont des gènes que nous avons déjà dans le corps, que nous remettons simplement en ordre. Il n’y a pas d’effets secondaires indésirables. Et je me réjouis de pouvoir faire toutes ces choses comme avant, sans avoir à faire d’exercice cette fois-ci.

 

Quelles sont les recherches à venir dans cette direction ?

Nous recherchons actuellement des États pouvant nous offrir le cadre réglementaire qui nous permettra de prouver l’efficacité et la sécurité de nos traitements au monde entier. Nous sommes également à la recherche d’investissements pour réaliser ces essais cliniques. Même si nous sommes une entreprise technologique, et pas une entreprise de recherche, nous devons quand même nous focaliser sur l’application à l’être humain, améliorer celle-ci, pour atteindre notre but. J’aimerais avoir les résultats d’autres testeurs de la thérapie que j’ai expérimentée, pas d’un seul, mais de centaines d’autres, afin d’avoir une vision plus claire de l’avenir pour tout le monde. Nous devons faire ce travail très important, nous devons organiser ces essais cliniques.

 

Avez-vous beaucoup de volontaires ?

(rires) Oui, beaucoup. En fait 90% des e-mails que nous recevons proviennent de volontaires… Mais ces essais devront être menés comme pour beaucoup d’autres maladies : en isolant les thérapies, en suivant un protocole, en ciblant un âge et une maladie spécifiques, sans quoi nous n’aurons pas de résultats fiables. Peut-être certains seulement de ces gens seront effectivement partie prenante…

 

Cela veut-il dire que vous ne pouvez pas mener d’essais sur des personnes en bonne santé ?

Exactement. Nous ne ferons pas d’essais sur des personnes en bonne santé. Nous choisirons une certaine catégorie d’âge, souffrant de la même maladie, avec des marqueurs biologiques de cette maladie assez similaires, pour voir comment nous pouvons agir sur celle-ci. Avoir été la patiente zéro a été fantastique, mais cela n’a pas produit beaucoup de données utilisables pour la recherche. A cause des circonstances, nous avons fait ma thérapie davantage comme une étude de cas que comme un essai clinique. Maintenant nous devons confirmer, avec de nombreux autres corps humains, et regarder ce qu’il se passe avec tous ces corps différents.

 

Quels sont les perspectives concernant l’espérance de vie, 10, 30 ou 50 ans de plus, selon vous ?

J’adorerais être une très bonne commerciale et vous vendre que nous allons doubler notre espérance de vie, mais la vérité est que nous ne savons pas. Il est probable que le véritable remède capable de rajeunir parfaitement le corps soit plus qu’une unique thérapie génique. Ce sera une combinaison de cellules souches, d’anticorps monoclonaux, de thérapies géniques… nous devons d’abord attendre les résultats. Mais si nous voyons des gens en bonne santé, que nous avons créé une homéostasie, que les corps fonctionnent comme des corps jeunes, évacuant les déchets cellulaires, que le métabolisme fonctionne, que les organes, la peau, le cœur, le cerveau ont l’air en bonne santé, bref si votre corps entier est en bonne santé, de quoi allez-vous mourir ? Si nous pouvons maintenir cette homéostasie longtemps, sachant que nous avons de bons indicateurs biologiques sous la main, nous pourrons faire une estimation de l’espérance de vie restante. Changer la façon dont on meurt change la façon dont on vit. Dans la nature, l’être humain meurt généralement avant 35 ans, de maladies infectieuses. C’était la façon commune de mourir avant les antibiotiques et la vaccination. On peut donc dire que les antibiotiques et la vaccination ont créé une humanité qui connaît la suffisance alimentaire, a réfléchi aux droits des animaux, à l’environnement… Ces sujets sont apparus parce que nous avons le temps d’y penser, nous avons le loisir de nous projeter. Imaginons donc un monde où nous avons plus de temps…

 

Quel est votre rêve ?

J’aimerais vraiment voir à l’avenir notre entreprise s’avérer une réussite, voir les effets sur la vie des gens, faire en sorte que la vieillesse devienne une curiosité des livres d’histoire, un processus de déclin physique appartenant définitivement au passé, que nous soyons soulagés d’avoir surmonté cela. J’aimerais que tous les gouvernements du monde soutiennent le déploiement de ces technologies. J’entrevois un monde très agréable à vivre… bien sûr, nous aurons encore des problèmes, mais c’est pour ça qu’il existe d’autres activités. Peut-être qu’une industrie spatiale se mettra en place pour envoyer les gens sur Mars, pour ne pas être tous uniquement sur Terre… c’est bien d’avoir ce genre de problèmes ! Beaucoup de gens posent la question d’ailleurs : mais on observe que partout dans le monde, quelle que soit la religion, plus l’espérance de vie augmente, plus le taux de natalité baisse. Partout. Toutes les projections démographiques pointent vers une inversion de la courbe de la population d’ici quelques siècles. Au Japon, la population décline, et ils ont l’espérance de vie la plus longue sur Terre. Nous avons donc toutes les raisons de croire qu’il existe des équilibres humains naturels qui se mettent en place petit à petit. Bien sûr, des enfants continueront à naître, mais peut-être recevront-ils plus d’attention et de meilleurs soins qu’aujourd’hui.

 

Avez-vous l’ambition d’introduire ces technologies dans des politiques gouvernementales ?

Absolument. Si les gens accordent leur confiance aux États de la même manière que pour la vaccination, si le produit est fiable et que ses effets sont connus, j’espère vivement que les gouvernements seront impliqués, qu’ils fabriqueront des traitements gratuits. Ils auront beaucoup à économiser en gardant les gens en bonne santé. Cela est lié à la confiance, nous devons susciter la confiance. Actuellement aux États-Unis, de moins en moins de gens veulent se faire vacciner, il y a un scepticisme à l’égard des vaccins ; pourtant historiquement, les bénéfices de la vaccination pour l’humanité sont criants, en donnant un coup de fouet à notre espérance de vie, nous avons gagné plus de vingt ans. Aucun traitement n’a donné de tels résultats depuis. Nous devons générer de la confiance et des valeurs, donner de la valeur à la santé. Il y a des multitudes de problèmes liés à l’augmentation de notre espérance de vie, mais le problème principal est de rester en bonne santé. La question est comment créer des gens en bonne santé, comment éradiquer les maladies.

 

Pensez-vous que ces recherches en cours vont mener l’humanité à l’immortalité ?

Il y a plusieurs manières de voir les choses. Je ne pense pas que l’immortalité telle qu’on l’entend souvent soit possible : si vous vous faites renverser par un bus, vous mourez. Je pense que vous voulez plutôt parler d’amortalité, une vie sans mort par maladie. Je crois que c’est possible, que nous pouvons créer un être humain qui vit jeune longtemps. Les maladies infectieuses continueront à être un problème, car elles mutent rapidement. Mais d’un point de vue scientifique, nous avons déjà créé ce qui peut être considéré comme des lignées de cellules immortelles, des cellules qui continuent à se répliquer plus longtemps que des cellules humaines classiques, et ce grâce à la télomérase humaine, utilisée dans ces thérapies géniques. Mais si on parle de définition stricte de l’immortalité, comme celle des vampires, c’est non.

 

L’humanité est-elle prête à accepter l’immortalité ?

Je pense que c’est la pilule la plus dure à avaler. Je crois que l’humanité est prête à accepter une vie sans maladies, et c’est l’unique chose à faire. L’immortalité au sens strict est inatteignable. Quelque chose finira bien par nous tuer. Mais si nous faisons attention aux mots que nous utilisons, nous pouvons nous approcher de ce genre d’idéal plus tôt.

 

Pour conclure, comment vivez-vous le fait d’être patiente zéro ? Est-ce un poids, ou une bénédiction ?

Les deux. Quand nous avons procédé, je ne voulais initialement pas dire que c’était moi qui l’avait fait, car cela exposait une part importante de ma vie privée. Mais on nous a forcé la main d’une certaine façon, et j’ai pris les devants en annonçant l’avoir fait. Au final, la plupart de mes journées sont très banales, je reste en pyjama et ne me coiffe pas, comme tout le monde. Les autres jours en revanche, c’est plutôt intense, je suis sous le feu des projecteurs et des questions, mais j’aime ça, j’imagine qu’il faut être plutôt forte et courageuse pour faire ça, la vie choisit ceux qui sont capables de tenir le coup.