Essais cliniques : quel niveau de risque est-il acceptable ?
La France vise un objectif à zéro mort dans ses essais cliniques. Pourtant, dans d'autres domaines, on accepte que des gens risquent leur vie pour sauver les autres …
Publié le 30 juin 2023, par dans « Risques »
À la suite de l’annonce par la startup Neuralink, le mois dernier, de l’autorisation que lui a finalement donné la FDA (Food & Drugs Administration) de procéder à des essais cliniques, diverses voix se sont fait entendre pour protester contre des pratiques expérimentales qui pourraient conduire à des accidents, voire à la mort de personnes [1]. Il est notamment rappelé que de tels essais ne pourraient pas avoir lieu en France.
Beaucoup de monde, peut-être la majorité des gens, en lisant ce rappel, se sentiront rassurés. Au moins chez nous, on évite les pires dérives…
Pourtant, les transhumanistes posent la question : dans des circonstances bien déterminées, le niveau de risque acceptable par une personne, et la société, ne peut-il pas être bien plus élevé ?
Dans l’idéal des institutions françaises, il ne doit pas y avoir d’accidents mortels suite à des essais cliniques, voire même pas d’accidents graves. Cet objectif semble presque atteint si on se fie au fait que le seul accident mortel relativement récent remonte à 2016 [2]. Néanmoins, cette pratique découle du fait que, en France, les institutions se refusent catégoriquement à assumer l’éventualité qu’une personne saine soit blessée ou tuée du fait d’un acte médical.
Or, cette position officielle comporte des contradictions qu’évitent d’autres pays. Principalement, elle balaie la volonté de personnes qui, tout en étant très bien informées des risques éventuels, souhaitent contribuer à la recherche. C’est notamment vrai lorsqu’il s’agit de lutter contre des affections très mortelles et pour lesquelles nous ne disposons pas encore de traitements efficaces. Il a été ainsi caractéristique que, durant la pandémie de Covid-19, la France s’est opposée aux “challenges vaccinaux”, quand d’autres pays les mettaient en place. Pour rappel, les challenges vaccinaux consistent à infecter des volontaires sains pour démontrer l’efficacité de ces vaccins [3].
Il est également surprenant de constater que ces institutions trouvent insupportable de mettre en danger la vie de volontaires quand il s’agit de sauver potentiellement la vie de milliers d’autres personnes grâce à la médecine, alors que les mêmes autorités portent au pinacle, et c’est très justifié, les personnes qui s’engagent volontairement dans des carrières où elles vont mettre leur vie en danger pour la protection des autres. On pense par exemple aux militaires, aux pompiers, aux policiers, dont les fonctions comprennent d’emblée l’éventualité d’être gravement blessé, voire de perdre la vie.
Assumer davantage de risques ?
Ne pourrions-nous pas imaginer que les institutions qui encadrent l’engagement des personnes volontaires lors des tests cliniques prévoient la possibilité de prise de risques sur une échelle élargie ?
De plus, une des conséquences du refus de prendre tout risque est que ce sont principalement des volontaires en bonne santé qui sont acceptés. Ceci signifie que ceux qui auraient le plus besoin de tester des traitements n’y sont généralement pas admis.
Par ailleurs, l’angle mort des pratiques fondées sur une indemnisation des risques concerne l’exploitation des fragilités économiques. Il faut ici protéger les volontaires, notamment tenter de supprimer ces fragilités (par exemple via un revenu universel) en parallèle d’une meilleure information des participants. En effet, pour beaucoup de personnes, ce qui est problématique dans la pratique étatsunienne, ce n’est pas les précautions qui ne seraient pas prises pour garantir la sécurité des personnes. La divergence porte surtout sur ce qui peut être perçu comme une marchandisation du vivant.
Enfin, idéalement, les progrès de l’IA et des “humains sur puce” pourraient nous épargner de tels tests et accélérer la recherche, notamment contre le vieillissement.
Si l’Etat tient tant à prévenir les risques sanitaires, pourquoi ne s’attaque-t-il pas frontalement au vieillissement biologique, premier facteur de risque de 95% des pathologies connues ? S’il était permis à des volontaires âgés, bien informés, mais pas toujours en bonne santé, de participer en nombre à des essais cliniques de longévité, cela augmenterait leurs chances de survie et permettrait d’améliorer plus rapidement la santé des citoyens les plus fragiles. À terme, ceci pourrait permettre une vie en meilleure santé à des millions de personnes en France et ailleurs.
À l’inverse, considérer par défaut que tous les candidats à de telles expérimentations sont incapables d’évaluer par eux-mêmes la mesure de leur prise de risque et leur refuser par principe de participer à l’effort de recherche collectif, c’est faire preuve d’un paternalisme que la France est un des rares pays d’Europe à nourrir encore à ce niveau.
NOTES
[1] Voir par exemple : Marcus Dupont-Besnard, Numerama ,“Neuralink : Elon Musk a-t-il le droit de tuer des gens lors des essais cliniques ?”, 07/O6/2023 ; Antoine d’Abbundo, La Croix, “Neuralink : Elon Musk bientôt dans nos cerveaux ?”, 26/05/2023.
[2] Paul Benkimoun, Le Monde, “Essai clinique de Rennes : un drame en cinq questions”, 11/10/2016.
[3] voir par exemple : Liem Binh Luong Nguyen, Odile Launay, “Quelles seraient les conditions pour la réalisation d’essais de challenges vaccinaux humains en France ?”, Revue française d’éthique appliquée 2021/1 (N° 11), pages 14 à 18.
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