Êtes-vous abondantiste ?

Serons-nous 50 milliards de Terriens à vivre dans l'opulence ?

Publié le 7 février 2018, par dans « transhumanisme »

Être abondantiste (rien à voir avec les caries) peut signifier deux choses : croire que le XXIème siècle verra une diminution très forte du coût de la vie pour tous, et souhaiter que ce soit le cas. Ces deux positions peuvent s’additionner, mais pas forcément. On peut penser que le déluge de biens de consommation va nous gâter ; ou au contraire, que l’abondance est au coin de la rue mais que nos institutions ou comportements collectifs nous empêchent d’y accéder.

L’économie de l’abondance (post-scarcity economy en anglais, littéralement l’économie post-pénurie) est un concept encore assez peu étudié. Il apparaît dans diverses utopies (Moving the Mountain, Charlotte Gilman, 1911), dans la science-fiction (l’Âge de Diamant, Neal Stephenson, 1995), et depuis peu dans les cercles transhumanistes et technoprogressistes (Abundance: The Future Is Better Than You Think, Diamandis & Kotler, 2012). Du côté des économistes, citons David McMullen (Bright Future: Abundance and Progress in the 21st Century, 2007) qui est clairement socialiste et pose l’abondance économique comme condition de base du progrès social.

Un système économique “abondant” est en théorie un système où les biens de consommation (y compris les services) sont devenus si peu coûteux en travail humain qu’ils sont presque gratuits ou distribués sans contrepartie. L’automatisation, la sélection économique (offre et demande), mais aussi des décisions politiques peuvent en être responsables ; on peut penser que certains pans de l’économie sont déjà en situation de post-pénurie relative (les logiciels, l’alimentation de base). Toutefois, l’organisation de l’économie fait que des biens peuvent être potentiellement disponibles mais “interdits” à ceux et celles qui ne sont pas insérés dans le système de production / distribution. La baisse du prix (relatif) de l’habillement dans les pays industrialisés ne doit pas non plus faire oublier qu’elle est en partie due à l’exploitation d’une main-d’oeuvre sous-payée ailleurs. Cependant, la tendance globale et observable est celle d’une diminution de l’effort / souffrance nécessaires à la production de biens de consommation. On touche là à un tout autre sujet (comment le travail est-il vécu ?) qui relève plutôt de l’anthropologie.

Si l’on s’en tient au constat d’une plus grande disponibilité, pour de plus en plus de monde, de biens matériels voire vitaux, pourquoi l’abondantisme est-il si important dans la réflexion transhumaniste ?

Empreinte écologique

Souvent, les propositions transhumanistes (pour l’augmentation de l’espérance de vie, l’ectogenèse, la cyborgisation) se heurtent à divers modèles de pensée prédisant la raréfaction des ressources et soulignant le caractère limité de notre environnement planétaire.

Le thème de l’empreinte écologique, pour ne citer que celui-ci, est symptomatique de ces modèles. Outil créé par l’ONG Global Footprint Network en 1970 pour mesurer l’impact des humains sur la nature, il compare la demande humaine en ressources naturelles et la capacité de la nature à reconstituer ces ressources et à absorber les déchets produits, dont les émissions de gaz carbonique. Selon GFN, le Français moyen consommerait actuellement “3 planètes Terre” et l’Humain moyen 1,6. Nous serions donc dans une situation intenable dans la durée.

Pour les abondantistes, la “capacité de la nature à reconstituer les ressources et absorber les déchets” est une notion détachée de la réalité. L’être humain, en effet, et ce depuis longtemps, ne laisse pas la nature gérer seule la remise en disponibilité des ressources. Nous plantons des arbres, rassemblons et recyclons les métaux et plastiques, “engraissons” nos terres arables activement. Tout un courant de l’écologie technoprogressiste radicale, comme par exemple les technogaïanistes, s’attèle d’ailleurs à promouvoir l’amélioration des cycles de vie des matériaux que nous utilisons et à retrouver, grâce aux technologies de pointe, des “conditions naturelles” d’avant l’industrialisation.

Si l’on y songe, l’écosystème Terre lui-même est une vaste usine de recyclage améliorée par l’être humain. Les images canoniques de la nature (le fameux bocage normand, par exemple) ont peu de chose à voir avec la véritable nature sauvage. Et nous vivons aujourd’hui dans un environnement moins pollué qu’avant, si on réfléchit en termes de pollution pure (et pas seulement anthropique) : les amibes et autres bactéries dont regorgent les rivières depuis des millions d’années sont aussi une pollution pour la vie humaine.

La fameuse diagonale du vide, qui n’attend que nous

Il est vrai, ceci étant posé, que nous avons récemment eu tendance à taper dans les réserves. La Terre a mis des millions d’années à former des stocks de combustibles fossiles très énergétiques, comme le pétrole, que nous avons brûlés en quelques décennies. Les terres agricoles usées par des années d’exploitation intensive ne produisent plus que sous perfusion constante.

On observe toutefois que l’empreinte écologique varie énormément selon le calcul choisi. Sans même évoquer le casse-tête de l’import/export, on peut considérer l’empreinte classique, en hectares par habitant, ou affiner ressource par ressource (capacité biologique d’un territoire, énergie, émissions, terres rares…). Le Sahara a une capacité biologique très faible (pour le moment en tout cas), ce qui n’est pas le cas des Etats-Unis (12% de la capacité biologique mondiale). Le plus frappant est l’écart d’efficacité entre différents pays industrialisés : un Américain consomme 2 à 3 fois plus de “Terre” qu’un Européen. Quand on évoque donc le fait que l’Inde ou la Chine se dirigent vers une consommation “à l’occidentale”, parle-t-on de l’American Way of Life ou de nos modes de vie européens ? Attention, cela n’est pas sans conséquence : la “capacité d’accueil de la Terre” varierait selon le modèle de plusieurs milliards d’habitants !

Contre le malthusianisme

Selon l’économiste David McMullen, nous aurions en fait largement de quoi offrir un train de vie de riche à tout le monde : il table sur une population mondiale de 9 à 10 milliards de personnes au niveau de vie comparable à celui d’un Américain des classes moyennes d’aujourd’hui. Une meilleure efficacité (énergie, manufacture) liée aux progrès scientifiques et techniques permettrait de surmonter les éventuels goulots d’étranglement à venir (pétrole, eau…). Il est vrai que cela a souvent été le cas par le passé : l’Europe a été dépendante du bois et du charbon dans des proportions que nous avons du mal à imaginer aujourd’hui. Alors que Malthus supposait au début du XIXème siècle que la Terre aurait du mal à supporter plus de 800 millions d’habitants (et préconisait par conséquent une limitation des naissances), nous sommes aujourd’hui dix fois plus et vivons en moyenne deux fois plus longtemps.

L’hydroponie massive, couplée à une mise en disponibilité d’une petite partie de l’eau salée planétaire, libérerait énormément de place. Israël (qui recycle 85% de ses eaux usées) ou le Maroc recourent à l’osmose inverse, une technique de désalinisation de l’eau de mer qui est encore marginale mais pourrait se développer dans les années qui viennent. Evidemment, le désert de Gobi ne sera pas un jardin sans une infrastructure conséquente. Mais n’est-ce pas là la condition humaine depuis des millénaires ? Nous vivons aussi bien et aussi nombreux grâce à notre ingéniosité et nos outils.

La Terre ne peut accueillir que quelques millions de chasseurs-cueilleurs ; mais combien d’êtres humains de 2050, de 2100 ? Il est présomptueux de le prédire (Charles de Gaulle souhaitait une France de 100 millions d’habitants en l’An 2000). Peut-être que nous serons 50 milliards (grâce à l’ectogenèse et aux arcologies) à nous prélasser dans des piscines chauffées, à nous promener en jet privé entre nos dix palais secondaires, et à dormir dans des draps en soie jetables (le tout dans l’air le plus pur qui soit). Peut-être aussi – et très probablement – que cela ne nous fera pas envie. Mais affirmer que c’est impossible n’est pas intellectuellement honnête.

Porte-parole de l'AFT