Faire son coming out transhumaniste

Ce n’est qu’en mettant des visages et des préoccupations somme toute normales sur le mouvement qu’il quittera les marges et pourra remonter, petit à petit, dans l’agenda politique de nos sociétés.

Publié le 12 juillet 2017, par dans « transhumanisme »

J’ai découvert que j’étais transhumaniste en 2011. “Découvert” parce que je ne le suis pas “devenu” : j’ai eu l’impression de l’avoir toujours été. La voix traînante de Ray Kurzweil, et les innombrables liens de la sphère transhumaniste, venaient mettre un mot sur mes diverses préoccupations. Abattre les barrières mentales concernant la forme et la durée de nos existences, considérer la recherche scientifique comme un outil d’émancipation, réclamer plus de droits sur nos corps, réhabiliter la notion de progrès contre le relativisme technologique… mais oui mais c’est bien sûr ! – j’avais toujours été “attiré par le futur”.    

Infecté par internet, si l’on peut dire, il s’agit ensuite d’articuler cette nouvelle identité politique dans la vie réelle. Mais ce n’est pas simple.

Si j’emploie le terme de coming out, et fais volontiers des parallèles avec l’identité homosexuelle, bi ou trans, ce n’est pas gratuit. Je ne mets évidemment pas sur le même plan les discriminations et violences faites aux LGBT, et les brouilles amicales et démonstrations d’hostilité vécues par les transhumanistes. Le coming out gay se joue avant tout sur le plan de l’intimité, alors que le transhumanisme a à voir avec la politique. Ceci étant posé, il s’avère que les deux mouvements partagent plusieurs choses : ils ont notamment les mêmes ennemis, les conservateurs et réactionnaires, qui les accusent d’être pareillement “contre-nature”.

L’image du transhumanisme dans le grand public est responsable de la difficulté de s’en réclamer dans la vie de tous les jours. On peut distinguer trois grandes familles de critiques désagréables que chaque transhumaniste est amené(e) à essuyer :

– C’est impossible – La critique dominante était auparavant le caractère scientifiquement irréaliste, rattachant les transhumanistes aux conspirationnistes observateurs d’OVNI. Cette critique est en perte de vitesse, tout d’abord parce que les progrès technologiques ont été visibles et bluffants au cours des dernières années : intelligence artificielle, robots militaires, clonage… Des personnalités respectables comme Bill Gates ou Stephen Hawking sont venues apporter leur caution non pas à l’idéologie, mais à la réalité du progrès technologique radical.

– C’est dangereux – Est-on certain que ces nouvelles technologies ne nuiront pas à terme à la santé ? Au coeur de la critique technosceptique il y a souvent des contre-vérités, par exemple la croyance que l’incidence du cancer ou d’Alzheimer augmente, que les vaccins sont mauvais pour la santé, bref que la civilisation décline et que le progrès scientifique est un leurre…

– C’est déshumanisant – Le transhumanisme aurait un lien direct avec l’eugénisme, le fascisme et tout ce qui est englobé par la notion de “déshumanisation”. Se déclarer transhumaniste revient à sous-entendre qu’on préfère l’ordre, les hygiaphones, les robots et internet, et qu’on déteste la nature, les relations humaines, les imperfections et l’artisanat. Or rien n’est plus faux… mais on entre ici dans les goûts et les couleurs : la musique électronique subit toujours ce genre de critiques !

 

Transhumanistes qui s’ignorent

Un bon moyen de reconnaître ses “pairs” est de faire une allusion aux robots ou à la longévité. “Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?” – “Oh, l’un des rares boulots épargnés par l’intelligence artificielle…”. Si la personne rebondit, il y a 50% de chances pour qu’elle soit également transhumaniste ; car s’intéresser aux sujets technologiques est un prérequis. De la même manière, un “de toutes façons, dans trente ans on aura supprimé la vieillesse !” peut se placer à peu près dans n’importe quelle conversation de comptoir. L’activité professionnelle n’est pas déterminante : j’ai rencontré une fois une roboticienne qui n’avait aucun intérêt pour le transhumanisme, des biologistes férocement pour et férocement contre, des informaticiens dubitatifs ou convaincus…

Mes parents étant déjà modérément technophiles, du genre à dire publiquement qu’ils sont furieux de vieillir, je n’ai eu aucun problème à leur faire découvrir le mouvement (même si ma mère a pensé pendant quelques temps que j’étais en train de me faire embrigader par une secte). Concernant ma compagne et certains de mes amis de longue date, c’était plus compliqué. Il m’a fallu aborder le sujet petit à petit, point par point, thème par thème, en évitant le plus souvent le “t word”. Oui, je pense que l’espérance de vie humaine n’est pas fixée, que les robots pourraient avoir accès à la conscience, et alors ?

Comme l’écologie, le transhumanisme a cela de pratique qu’il est en décalage politique. De la même manière qu’un écologiste peut légitimement trancher toute discussion animée en lançant “de toutes façons, gauche ou droite, le sujet le plus important c’est le changement climatique !”, un transhumaniste peut couper court aux traditionnelles empoignades du déjeuner dominical en renvoyant dos à dos libéraux, conservateurs, socialistes ou même écologistes avec un définitif “vous n’avez rien compris, c’est le progrès technique qui est le plus déterminant pour le bien-être !”. Pratique.  

 

C’est cette société que tu veux ?

Comme pour le mariage pour tous, l’argument massue reste toutefois la devise de San Francisco “live and let live”. Si tu n’as pas envie de vivre 200 ans, eh bien, libre à toi de refuser. En quoi le fait que d’autres prennent des thérapies anti-âge, aient un implant sur le crâne ou une crête d’iroquois, et vivent avec une personne du même sexe, t’empêche-t-il de vivre ta vie ?

La crainte alors formulée est celle du “dumping physique”. Les transhumanistes accepteraient, en fait, des choses dont ils n’auraient pas vraiment envie, pour prendre l’avantage sur les autres et se faire une place au soleil. Quelqu’un qui accepterait de travailler 50 heures par semaines payées à un tiers du smic entraîne ainsi tous les autres dans une spirale de moins-disant social ; les transhumanistes “boostés” par la technique obligeraient indirectement les autres à les imiter. Un détour historique permet de remettre cette critique en perspective. Les homosexuels (et d’ailleurs surtout les homosexuelles) étaient traditionnellement accusés de faire peser sur tous les autres le poids de l’impératif de procréation !

De facto, rien n’empêche un commerçant ou un indépendant de travailler 50 heures et de se payer au tiers du smic. Ce qui est interdit par la loi, c’est de contraindre un employé à travailler autant pour si peu, dans le cadre d’un rapport hiérarchique. Pour le transhumanisme, des questions similaires se posent. On préfère déjà un candidat ayant une automobile, pour certains emplois, à un réfractaire à ce mode de transport. La discrimination technologique n’est pas un fait nouveau. Il faut simplement continuer à se battre pour que chacun ait la liberté de vivre sa vie de manière alternative et respectueuse, sans entraîner de désagrément réel et sensible pour autrui.

 

S’engager et militer

Au début, j’intervenais surtout sur la partie commentaires du site KurzweilAI, très animée : un article pouvait générer des centaines de commentaires en quelques jours. J’étais dans le camp des “étatistes”, minoritaire par rapport aux “libéraux”. C’étaient souvent des internautes européens qui croisaient le fer avec des internautes américains de la tendance libertarienne. Aux libertariens qui maudissaient régulièrement Washington, nous répondions qu’internet, la NASA et la majorité des découvertes scientifiques sérieuses étaient des produits d’investissements publics. Les conversations qui devenaient trop politiques étaient carrément supprimées par les modérateurs du site.

Même si je suis aujourd’hui membre de l’Association Française Transhumaniste et milite pour le financement de la recherche publique et privée pour la réjuvénation, notamment par le biais d’Encore Debouts, je considère que la façon la plus efficace de s’engager est de ne pas cacher ses idées dans la vie de tous les jours.

Ce n’est qu’en mettant des visages et des préoccupations somme toute normales sur le mouvement qu’il quittera les marges et pourra remonter, petit à petit, dans l’agenda politique de nos sociétés.

Porte-parole de l'AFT