Publié le 25 mai 2014, par Didier Coeurnelle dans « transhumanisme »
Car elles [les lois de la physique] m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie (…). Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l’esprit dépend si fort du tempérament, et de la disposition des organes du corps que, s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher. Descartes. Discours de la méthode. 1637.
Thème du mois: Douze idées fausses à propos de la longévité humaine.
Cette lettre est consacrée aux erreurs les plus fréquentes relatives à la longévité et au vieillissement que l’on rencontre dans l’opinion publique en Europe francophone.
1. Certains êtres humains dans des pays lointains vivent 130 ans et plus
La personne qui a vécu le plus longtemps, de manière certaine, est Jeanne Calment, décédée en France en 1997 à l’âge de 122 ans. Aujourd’hui, la personne la plus âgée au monde n’a « que » 116 ans. Très souvent, les familles de personnes âgées notamment dans des pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine affirment que leur aïeul dépasse largement cet âge, mais il n’existe pas de preuve car les registres de l’état civil n’existaient pas lors de la naissance alléguée. Etant donné que, pour les personnes âgées de 110 ans et plus, la mortalité par année approche les 50 %, étant donné que les centenaires sont proportionnellement beaucoup plus nombreux dans les pays riches que dans les pays pauvres, la prochaine fois que vous lirez une information dans un média à propos d’une personne ayant dépassé l’âge de 130 ans, vous aurez appris quelque chose, non pas à propos de l’âge d’une personne, mais à propos de la non fiabilité de votre source d’information.
2. Aux Etats-Unis, l’espérance de vie diminue
Si vous faites une recherche en ligne avec les mots « espérance de vie » et « Etats-Unis », vous trouverez de nombreux articles relatifs à une diminution de l’espérance de vie dans ce pays. Mais il s’agit uniquement d’une diminution de l’espérance de vie en 2010: un accident statistique comme il en arrive de temps à autre. Il est par contre exact que l’espérance de vie aux Etats-Unis est plus courte de quelques années par rapport à celle des pays d’Europe occidentale – alors que les dépenses en soins de santé aux Etats-Unis sont bien plus importantes qu’en Europe.
3. La vie humaine est de plus en plus longue, mais la vie en bonne santé est de plus en plus courte
En Europe occidentale, nous gagnons chaque année entre 2 et 3 mois d’espérance de vie. C’est établi par des statistiques précises et montrant une évolution régulière depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les statistiques relatives à l’espérance de vie en bonne santé sont moins précises, plus subjectives et montrent de plus fortes variations. La presse a tendance à se faire l’écho surtout des diminutions constatées. En fait, il est peu contesté que l’espérance de vie en bonne santé croit globalement. Il semble que pour 4 années de vie gagnées, 3 de ces années sont des années de vie en bonne santé, mais il se pourrait que ce soit un peu plus ou un peu moins. Il est exact que, suite aux maladies neuro-dégénératives (principalement la maladie d’Alzheimer), beaucoup d’années de fin de vie sont des années en mauvaise santé. Par contre, de nombreuses maladies liées au vieillissement sont en moyenne moins invalidantes aujourd’hui qu’autrefois (rhumatismes, arthrose, maladies cardio-vasculaires,…).
4. Nous mourons de plus en plus souvent du cancer et de maladies cardio-vasculaires
C’est totalement faux pour les maladies cardio-vasculaires. Le nombre de décès suite à ces maladies décroit rapidement grâce aux progrès médicaux. C’est aussi globalement inexact pour les décès suite aux cancers pour des personnes d’âge égal. En ce qui concerne cette maladie, il apparait que certains types de maladies sont plutôt en croissance tandis que d’autres sont probablement en déclin. Mais il apparait surtout qu’une fois un cancer constaté, la durée moyenne de vie est de plus en plus longue pour la plupart des personnes atteintes (leurs chances de survie ont donc augmenté). Une personne ayant, par exemple, 50 ans a donc moins de chance de mourir d’un cancer aujourd’hui qu’hier. Mais étant donné que nous vivons de plus en plus longtemps et que le nombre de cancers et la mortalité due au cancer augmentent avec l’âge, la mortalité globale relative au cancer reste relativement stable.
5. Nous mourons de plus en plus souvent de nouvelles maladies
Les progrès technologiques ne présentent pas que des avantages. Les nouveaux produits, les nouveaux environnements de travail,… peuvent provoquer de nouvelles affections. Il arrive également que des questions de santé qui étaient auparavant non traitées soient aujourd’hui plus étudiées. Certaines affections nouvelles peuvent être mortelles, mais le nombre de décès nouveaux est très inférieur au nombre de vies épargnées grâce aux progrès de la médecine et des conditions de vie. D’ailleurs, pour ce qui concerne les maladies avant 50 ans, c’est-à-dire avant que l’organisme ne commence à être touché par le vieillissement, les décès sont aujourd’hui exceptionnels. La majorité des personnes qui meurent avant cet âge succombent suite à d’autres causes: accidents de la route, suicides, violences,…
6. Le plus important pour vivre longtemps en bonne santé, c’est de manger sainement et de faire de l’exercice suffisamment
C’est bien sûr utile et important de bien se nourrir et de faire de l’exercice. Mais la durée moyenne de vie est d’abord influencée par le lieu où vous vivez (votre pays de résidence), vos parents (choisissez les bien!) et enfin par le moment de votre naissance puisque plus vous êtes nés récemment, plus votre espérance de vie est longue grâce aux progrès de la médecine.
7. Une bonne alimentation et une bonne hygiène de vie permettent d’écarter le risque de maladies dégénératives, notamment la maladie d’Alzheimer
C’est malheureusement faux. Une bonne alimentation et une bonne hygiène de vie sont des facteurs de nature à permettre une augmentation raisonnable de la durée de vie en bonne santé. Ils ont peut-être une certaine influence sur la maladie d’Alzheimer, mais si c’est le cas, uniquement en la retardant quelque peu. Pour diminuer réellement l’impact des maladies neurodégénératives, rien n’est actuellement réellement envisageable en dehors des mesures palliatives et, surtout, des recherches médicales.
8. Si nous vivons plus longtemps, la terre sera surpeuplée
Cela semble logique. En réalité, s’il y a bien une très forte corrélation entre espérance de vie et surpopulation, c’est dans le sens inverse de celui intuitivement escompté. C’est dans les pays où l’espérance de vie est la plus faible, c’est-à-dire principalement l’Afrique subsaharienne que la croissance démographique est galopante. Là où l’espérance de vie est élevée, comme en Europe occidentale ou au Japon, il n’y a pas de problème de croissance trop rapide de la population. Au contraire, beaucoup de citoyens s’inquiètent d’une population déclinant en nombre. En fait donc, pour l’écrire de manière qui apparait un peu provocatrice, jusqu’ici, le meilleur moyen de lutter contre la surpopulation est d’augmenter l’espérance de vie.
La diminution de la natalité liée à l’augmentation de l’espérance de vie n’est absolument pas limitée aux pays riches. Ainsi au Bangladesh, un des Etats les plus pauvres du monde, l’espérance de vie a cru de 14 ans les 30 dernières années et, durant la même période, le nombre d’enfants par femme est passé de 6,2 à 2,2.
9. Le vieillissement est une problématique réservée aux habitants des pays riches, ailleurs les citoyens doivent simplement survivre
Cette situation était encore exacte il y a une trentaine d’années mais plus à l’heure actuelle: dans le monde, parmi les 150.000 personnes qui mourront aujourd’hui, plus de 100.000 mourront de maladies liées au vieillissement. Les décès par malnutrition sont encore beaucoup trop nombreux mais presque partout dans le monde à l’exception de l’Afrique subsaharienne, tous les décès rassemblés suite aux malnutritions, aux maladies infectieuses, aux violences,… sont beaucoup moins nombreux que les décès suite à la vieillesse.
10. Les progrès de l’espérance de vie concernent d’abord les pays riches, dans les pays pauvres, les progrès sont plus lents, si même il y en a
Cette affirmation est assez proche de la précédente, Elle est totalement fausse. Dans presque tous les pays du monde, l’espérance de vie progresse globalement sur le moyen et sur le long terme. Elle progresse en fait beaucoup plus vite dans la plupart des pays du Sud que dans la plupart des pays du Nord, notamment parce que dans les pays du Sud, la mortalité infantile diminue rapidement alors que dans les pays du Nord, la mortalité infantile est déjà très rare depuis plusieurs décennies. Dans les pays riches, l’espérance de vie progresse généralement de 2 à 3 mois par année. Dans les pays du Sud, c’est plus souvent 4 ou 5 mois. Ainsi au Brésil, la durée de vie moyenne a progressé de 11 années durant les 30 dernières années et en Inde de 10 années Les seules exceptions à cette évolution positive sont les Etats issus de l’ex Union soviétique et certains pays de l’Afrique subsaharienne. Mais même dans ces pays, l’évolution de ce début de 21ème siècle est redevenue généralement positive.
11. Une petite fille qui nait aujourd’hui a une chance sur deux de devenir centenaire
Un humoriste disait: c’est difficile de faire de la prospective lorsqu’il s’agit du futur. Une petite fille qui nait aujourd’hui a une chance sur deux de devenir centenaire si les progrès médicaux, sociaux et économiques se poursuivent au rythme actuel. Il est vrai que l’espérance de vie suit une courbe fort régulière depuis plus d’un siècle, avec une augmentation de la durée de vie de près de 3 mois par année. Mais le nombre de personnes atteignant l’âge de 100 ans reste aujourd’hui cependant assez limité (environ 20.000 personnes en France). Sans progrès médicaux importants, il se peut que la durée de vie moyenne plafonne, par exemple à environ 90 ans pour les femmes.
12. Nos enfants seront la première génération à vivre moins longtemps que celle de leurs parents
Cette affirmation, lorsqu’elle est présentée comme une certitude, est, comme la précédente totalement inexacte. Elle est aussi totalement inexacte, lorsqu’elle est présentée comme une conséquence de la situation contemporaine. En effet, certains parlent de maladies en croissance pour les nouvelles générations qui provoqueraient de nouvelles mortalités. Il se peut que certaines maladies nouvelles ne soient pas encore analysées, mais il est certain qu’actuellement, dans les pays d’Europe occidentale, la mortalité continue à diminuer dans toutes les tranches d’âge.
Autrement dit, ceux qui pensent que leurs enfants vivront moins longtemps qu’eux doivent savoir qu’en tout cas, les enfants ont actuellement moins de risque de mourir en bas âge que leurs parents. Ceci ne s’explique d’ailleurs pas que par les progrès de la médecine, mais aussi par les progrès globaux de la société qui lutte de plus en plus efficacement contre toutes les causes de mortalité (accidents de voiture, accidents domestiques, manque d’hygiène…)
En conclusion.
Les croyances incorrectes ne sont pas nées spontanément. Elles ont des causes sociales, scientifiques, psychologiques,…. Il est souvent difficile de mettre fin à des idées fausse répandues. Le nombre de ces croyances inexactes, certaines partagées par des personnes extrêmement instruites, montre combien il reste de chemin à parcourir pour observer et comprendre les mécanismes de vieillissement et plus encore pour lutter pour prévenir et pour guérir des maladies qui concernent ou concerneront l’immense majorité de la population du globe.
Bonne nouvelle du mois: Débat « Bientôt tous immortels? » sur la chaine télévisée belge RTL
Un débat télévisé relatif aux progrès médicaux en matière de longévité a eu lieu le dimanche 20 avril 2014, lors de l’émission « Controverse » de la chaîne belge francophone RTL. Laurent Alexandre, auteur du livre « La mort de la mort » et Didier Coeurnelle auteur du livre « Et si on arrêtait de vieillir » et coprésident de Heales y ont expliqué les perspectives des progrès de la longévité.
C’est peut-être la première fois qu’une chaine de télévision belge francophone organise à une heure de grande écoute un débat ouvert relatif aux frontières de la longévité.
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Didier Coeurnelle
Vice-président de l’AFT-Technoprog
Je me définis comme un activiste du social essayant de promouvoir l’égalité et la solidarité à tous les niveaux notamment grâce aux progrès technologiques utiles qui nous permettent de vivre mieux, plus longtemps et d’échanger de plus en plus de connaissances.
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