La mort de la mort. Lettre de décembre 2013. Numéro 57

Depuis plusieurs années, Didier Coeurnelle, vice-président de Technoprog mais aussi co-fondateur de l'organisation internationale HEALES, publie une lettre mensuelle intitulée "La mort de la mort". Voici le #57 dédié à la question de l'expérimentation animale.

Publié le 29 janvier 2014, par dans « transhumanisme »

Methuselah Mouse PrizeSenectus ipsa est morbus. La vieillesse elle-même est une maladie. Publius Terentius Afer, auteur latin dans une comédie intitulée « Phormion ». Deuxième siècle avant Jésus-Christ.

Thème du mois: Longévité et expérimentation animale

L’immense majorité des espèces animales subissent la sénescence. Ceci signifie que, même placés dans un environnement parfaitement adapté, les dommages physiologiques qui se produisent du simple fait de l’écoulement du temps s’accumulent et finissent par provoquer le décès, même en l’absence de prédateur, de parasites ou de maladies infectieuses.

Pour la plupart des espèces animales y inclus l’homme, non seulement l’écoulement du temps provoque le décès, mais l’évolution des dégradations est exponentielle plutôt que linéaire. Donc, le pourcentage de mortalité durant une période de temps déterminée croit avec l’âge.

Pour l’être humain, il est généralement admis que la mortalité suite au vieillissement double à partir de l’âge adulte environ tous les huit ans (modèle dit de Gompertz). Pour les autres espèces, le rythme de croissance de la mortalité diffère. Les durées de vie en captivité, moyennes et extrêmes sont en effet très différentes d’une espèce animale à l’autre. En général, plus une espèce est petite, plus elle a des prédateurs dans le cadre naturel, plus sa vie en captivité (donc même en l’absence de prédateurs) sera courte. Par ailleurs, à l’intérieur d’une même espèce, les durées de vie moyennes et maximales des individus varient selon les groupes. Par exemple, les races de chiens et de souris de petite taille vivent généralement plus longtemps.

Le vieillissement étant un processus lent, l’expérimentation est difficile. Plus la durée de vie d’un animal est longue, plus l’expérimentation est complexe et coûteuse. Par contre, étant donné que nous, êtres humains avons la chance de pouvoir vivre près d’un siècle, plus la durée de vie des animaux d’expérimentation est longue, plus la comparaison avec la situation humaine sera pertinente. Pour ces raisons, les expérimentateurs et les observateurs se sont intéressés tant à des animaux à durée de vie courte qu’à des animaux à durée de vie longue.

Il faut savoir que certains chercheurs estiment que la croissance de la mortalité avec l’âge (l’aspect exponentiel) n’est pas une règle absolue. Certaines espèces de poissons, notamment les sébastes, certaines espèces de reptiles, notamment des tortues et même certaines espèces d’oiseaux pourraient avoir un taux de mortalité qui ne croît plus au-delà d’un certain âge. Il en va de même pour d’assez nombreux invertébrés (homards, oursins, anémones de mer, quahogs,…). Certains parlent même de « sénescence négative », d’une mortalité

annuelle décroissant pour les individus âgés. En ce qui concerne les vertébrés, actuellement, il n’y a pas d’expérimentation animale pour vérifier ces hypothèses. Puisque ces animaux vivent très longtemps, si des tests peuvent être réalisés pour des animaux en captivité, les résultats se feront probablement attendre pendant des décennies.

Par ailleurs, l’expérimentation animale pose des questions éthiques. Les tests sur des animaux de laboratoire, parmi lesquels les rats et les souris, font l’objet d’intenses et passionnés débats publics. Il est à remarquer que l’élimination de leurs lointains cousins qui se trouvent dans les caves, greniers et égouts souvent à quelques mètres des laboratoires ne fait l’objet de presque aucune interrogation alors même que la mise à mort se fait généralement par l’usage d’anticoagulants (mort aux rats) provoquant un décès lent et douloureux. Ceci étant écrit, en ce qui concerne les expérimentations relatives à la longévité, l’objectif étant de permettre une vie plus longue en bonne santé, le strict respect des règles légales et des principes de respect des animaux élevés est une garantie éthique, mais aussi une garantie d’efficacité. Il faut donc y être extrêmement attentif.

Parmi les mammifères, les animaux les plus testés pour la longévité, comme d’ailleurs pour toutes les expérimentations dans le domaine de la santé, sont les rats et les souris. Ceux-ci ont une espérance de vie de moins de trois années. Les autres animaux souvent sujets d’expérimentation, notamment les cobayes et les lapins ne sont presque jamais sujets d’expériences relatives à la longévité. Il en va de même pour les porcs. Ce qui est regrettable. En effet, les cochons présentent une très grande ressemblance physiologique avec les êtres humains, mais avec une durée de vie maximale nettement plus courte (environ 25 ans maximum).

Pour ce qui concerne les primates, tant pour des raisons éthiques qu’économiques et techniques, les expérimentations sont actuellement rares. Ce sont principalement des singes rhésus qui ont été sujets d’expérimentation pour ce qui concerne l’impact de l’alimentation sur la longévité.

Un autre mammifère qui est parfois étudié est le rat-taupe nu car ce rongeur bénéficie d’une longévité exceptionnellement grande.

Les tests ne s’arrêtent pas aux mammifères. Ils concernent également des animaux de plus petite taille, principalement deux espèces célèbres dans les laboratoires: les drosophiles et le ver nématode Caenorhabditis elegans. Ces espèces ont une espérance de vie courte et elles ont bien sûr beaucoup moins en commun avec l’être humain qu’une souris, même si plus de 50 % du patrimoine génétique de la drosophile est commun avec celui de l’être humain.

Quels sont les tests qui sont effectués?
Deux catégories d’expérimentations peuvent être distinguées: L’observation dans des circonstances « naturelles » modifiées

L’objectif de ces tests est de comprendre les mécanismes du vieillissement dans des situations qui ne supposent pas une modification des animaux eux-mêmes. Il

s’agira de savoir quels sont les facteurs qui influencent l’animal de manière positive ou négative. Parmi les nombreux facteurs d’influence qui ont déjà été testés figurent:

– l’apport calorique, – la luminosité,
– la température,
– le sommeil,

– le taux d’activité,
– le niveau de bien-être, – l’activité sexuelle,
– l’apport en oxygène.

Les tests de nouvelles substances et les thérapies géniques

Il s’agit de trouver des nouvelles substances chimiques ou pharmaceutiques ou des modifications génétiques qui permettent aux animaux une durée de vie plus longue et en bonne santé. Parmi les innombrables tests qui ont déjà été effectués, il y a ceux qui concernent

– des produits fluidifiant le sang,
– des médicaments couramment utilisés chez l’homme,
– des additifs alimentaires,
– des produits toxiques à forte dose, mais qui pourraient avoir un effet positif à faible dose (hormèse),
– des hormones et des vitamines,
– des thérapies géniques supposant une modification de l’animal à la naissance
– des thérapies géniques supposant une modification thérapeutique sur des animaux adultes,
– l’introduction de cellules-souches.

Pour toutes les expérimentations, idéalement, le travail des chercheurs devrait comparer plusieurs groupes d’animaux vivant dans des conditions similaires, avec la garantie d’absence de toute influence possible de l’expérimentateur de manière consciente ou inconsciente (études randomisées en double aveugle). Malheureusement, beaucoup d’études, même parmi celles largement médiatisées, ne respectent pas encore ce principe.

Une des raisons principales de la lenteur des expérimentations est la lenteur du processus de vieillissement. Une méthode relativement simple pour détecter plus rapidement des effets serait de débuter les tests sur des animaux déjà âgées, par exemple sur des souris de 18 mois (âge du début de la « vieillesse » pour cet animal) et non pas sur des jeunes adultes de 6 mois.

Nous ne savons pas si la première personne qui atteindra l’âge de deux cents ans est déjà née et, par définition, nous ne le saurons pas avec certitude avant la fin de ce siècle. En effet, le citoyen du monde le plus âgé aujourd’hui a 116 ans, il ne pourrait atteindre 200 ans qu’en 2098. Par contre, nous avons une chance de connaître la première souris vivant deux fois plus longtemps qu’une souris ordinaire dans moins d’une décennie.

 

Bonne nouvelle du mois: financement collectif pour prolonger la vie en bonne santé de souris ukrainiennes

Des chercheurs ukrainiens, alliés à des partenaires notamment français, britanniques et belges ont lancé un « crowdfunding » pour effectuer des expérimentations sur des souris âgées (20 mois). L’objectif était de récolter un financement de 15.000 dollars. Il a été largement et rapidement dépassé et ce sont plus de 22.000 dollars qui permettent déjà des tests dans le domaine de longévité. Par-delà ce montant encore de petite taille, nombre d’autres projets sont en développement dans de nombreux lieux de recherche.

 

Pour en savoir plus :

De manière générale, voir notamment: http://heales.org, http://sens.org et http://longecity.org

A propos du prix de la souris Mathusalem:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_de_la_Souris_Mathusalem

Pour en savoir plus à propos du crowdfunding cité:

http://www.indiegogo.com/projects/i-am-a-little-mouse-and-i-want-to-live-longer

Source de l’illustration: Logo du prix de la Methuselah Foundation

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