La mort de la mort. Lettre de janvier 2014. Numéro 58
Depuis plusieurs années, Didier Coeurnelle, vice-président de Technoprog mais aussi co-fondateur de l'organisation internationale HEALES, publie une lettre mensuelle intitulée "La mort de la mort". Voici le #58 dédié à la réjuvénation.
Publié le 26 février 2014, par dans « transhumanisme »
Toute personne a le droit (…) de participer aux progrès scientifiques et aux bienfaits qui en découlent.
Article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Thème du mois: Réjuvénations
Le souhait de rajeunir est parfois cité comme un des plus vieux souhaits de l’humanité, mais c’est faux. Quand nos lointains ancêtres faisaient leurs premiers rêves au coin des premiers feux, ils pouvaient imaginer une vie sans limitation, sans prédateurs, sans parasites, sans maladies avec du miel coulant dans les rivières et la douce chaleur du printemps toute l’année. Mais le vieillissement rendant incapable de se déplacer et finissant par provoquer la mort, ils ne l’avaient jamais connu.
Les hommes et les femmes mouraient bien avant ce stade. Le souhait de rajeunir n’a pu naître qu’avec les premières civilisations lorsque certains, parmi les plus chanceux, ont pu être protégés par la collectivité et avoir la chance de vieillir.
Le souhait d’une vie beaucoup plus longue sans vieillissement et le souhait de rajeunissement se confondent souvent dans l’imaginaire collectif, mais ce sont des phénomènes dissociables. Stopper le vieillissement, ce serait stopper la dégénération due à l’âge. Rajeunir, ce serait un mécanisme biologique qui transforme un être vivant ayant les caractéristiques physiologiques d’un être âgé en un être vivant ayant les caractéristiques physiologiques d’un être plus jeune.
Le rajeunissement et les êtres vivants: approche descriptive
Ainsi qu’il a été décrit dans une précédente lettre, la plupart des êtres vivants vieillissent, c’est-à-dire subissent un phénomène de dégradation physiologique, du fait du simple écoulement du temps. Cependant, certaines espèces végétales et animales soit ne vieillissent pas, soit vieillissent extrêmement lentement. Il en va ainsi de certains arbres, de certains mollusques et peut-être même de certains poissons et reptiles, voire de certains oiseaux. Par contre, dans le règne du vivant, le phénomène de la réjuvénation, du rajeunissement, est quasiment absent. Pour les êtres vivants à reproduction sexuée, il n’existe qu’un seul mécanisme de réjuvénation, celui que nous connaissons tous, c’est la reproduction, la création d’une génération suivante. De manière imagée, la reproduction est parfois définie comme la méthode utilisée par l’ADN pour remplacer une enveloppe usée par une nouvelle. A chaque reproduction, deux organismes rassemblent leurs ADN, issus de cellules dites germinales, dans une cellule nouvelle qui se développe ensuite.
En dehors de la reproduction, il n’y a donc, en règle générale, pas de réjuvénation dans la nature. Une espèce animale, largement médiatisée semble faire exception à la règle. Il s’agit de la méduse Turritopsis Dohrnii (auparavant souvent appelée Turritopsis nutricula). C’est un animal de moins de 5 millimètres à l’âge adulte qui a un cycle de vie qui peut former une boucle. Le cycle normal d’une méduse de ce type est la naissance d’une larve à partir d’un œuf, la transformation de la larve en « polype », c’est-à-dire en un groupe de cellules fixé au sol marin, ensuite la transformation en adulte, à savoir la méduse « classique » que nous connaissons, et enfin la sénescence puis la mort. Dans certaines circonstances, la méduse Turritopsis adulte peut se retransformer en polype qui pourra ensuite devenir à nouveau adulte. Il semble qu‘en l’absence de cause de mortalité, telle la prédation ou les maladies, ce cycle est sans limite.
Il faut cependant remarquer que:
– le cycle n’est observé que depuis quelques années, par un nombre très réduit de scientifiques ;
– le cycle ne se produit que dans des circonstances fort spécifiques, non observées dans la nature et difficiles à établir en laboratoire ;
– et, bien sûr, une méduse et un être humain sont des animaux extrêmement différents.
Des cas intermédiaires sont ceux de la régénération permanente. Ainsi il semble que l’hydre se régénère constamment : les parties régénérées se déplacent progressivement vers les extrémités du corps et les cellules âgées de ces extrémités disparaissent.
De manière similaire, les arbres se régénèrent une fois par an: la partie vivante, sous l’écorce mais en périphérie du tronc, donne naissance à une nouvelle couche, plus jeune, tandis que l’ancienne partie se meurt. C’est ainsi qu’il est possible de mesurer l’âge d’un arbre abattu en comptant les anneaux de croissance du tronc.
Certains coquillages qui vivent plusieurs centaines d’années pourraient avoir un fonctionnement similaire.
Nous-mêmes, humains, nous régénérons en permanence, mais de plus en plus lentement avec l’âge. Des chercheurs explorent diverses pistes pour aider le corps âgé de mammifères à se renouveler plus rapidement, notamment en introduisant des cellules souches jeunes et leurs facteurs associés, ou encore en débarrassant le corps de cellules « sénescentes » qui font obstacle à la régénération permanente de tissus.
Le rajeunissement et les êtres humains: approche descriptive
Actuellement, pour les êtres humains, aucun phénomène de rajeunissement de long terme n’a jamais été établi. Cela ne signifie pas que l’état de santé d’une femme ou d’un homme âgé ne peut pas s’améliorer, moyennant des interventions adéquates, par l’ingestion de produits, des exercices, des traitements spécifiques,… Mais cela signifie qu’à ce jour, malgré toutes les annonces parfois irréalistes de certains scientifiques et malgré les promesses, souvent démesurées de fournisseurs de produits esthétiques, toutes les transformations possibles ne font, dans le meilleur des cas, que rétablir le fonctionnement physiologique idéal et retarder de quelques mois ou de quelques années, la poursuite des processus physiologiques.
Sur le court terme, des traitements et des modifications du mode de vie peuvent déclencher une amélioration de l’état de santé, y inclus les signes relatifs à la sénescence (tonicité de la peau, capacité respiratoire, agilité, capacités intellectuelles,…). Il s’agira en fait d’un passage d’une situation dégradée à un état se rapprochant de l’état idéal, compte tenu de l’âge et non d’un rajeunissement, malgré les apparences. Il convient d’ailleurs d’être prudent, lorsque les capacités physiologiques deviennent nettement plus importantes que la moyenne à l’âge concerné, car il est possible que les activités provoquent au contraire une accélération de la sénescence. En effet, des activités physiques trop intenses peuvent provoquer des dommages à l’image d’une chandelle « brûlant par les deux bouts ».
Il faut de plus tenir compte des remarquables conséquences des effets placebo. Pour des raisons qui restent en fait largement inconnues, une personne pensant recevoir un meilleur traitement, bénéficiera souvent d’une réelle amélioration de son état physiologique, même en l’absence de tout élément extérieur nouveau autre que psychologique. Malgré tous les traitements expérimentés depuis des milliers d’années, malgré tous les progrès de la médecine, toutes les découvertes extraordinaires relatives au vieillissement de ces dernières décennies, malgré le fait que les mortalités suite aux cancers et aux maladies cardio-vasculaires sont en diminution rapide, en cette année 2014, la durée extrême de vie des êtres humains reste limitée à 122 ans, à peine 20 ans de plus que la durée extrême de vie des premières civilisations et pas une année de plus qu’il y a 20 ans. Et le rajeunissement reste plus encore un rêve inaccessible.
Quelques perspectives relatives à la réjuvénation
Même si l’intitulé de certaines recherches porte le mot « réjuvénation » ou citent ce contexte, l’objectif poursuivi par les chercheurs contemporains est surtout d’interrompre les processus de dégénérescence et non de les inverser. Pour mesurer l’efficacité de la lutte contre le vieillissement, de nombreuses mesures sont effectuées (tonicité, capacité respiratoire, rapidité des réflexes, rythme cardiaque au repos et après un exercice,…).
Lorsque des marqueurs biologiques indiquent des taux correspondant généralement à un âge moins élevé, le terme réjuvénation sera employé, mais il ne s’agit en fait que d’un meilleur état de santé qu’auparavant pour un âge déterminé.
C’est principalement dans l’art et la littérature religieuse ou de science-fiction qu’il est question d’un rajeunissement au sens courant du terme. Et c’est malheureusement également souvent le cas dans des publicités trompeuses pour des produits pharmaceutiques ou cosmétiques.
Dans un corps humain, tout au long de la vie, les processus de régénération et les processus de dégénération s’affrontent, avec la victoire finale des processus entraînant des détériorations. Nous pouvons imaginer que les processus soient un jour réellement inversés, mais c’est peu probable avant que les processus de vieillissement puissent être interrompus.
Par ailleurs, prolonger ce processus au-delà du retour au stade de jeune adulte n’aurait, évidemment, guère de sens.
Que la possibilité de rajeunissement soit plus lointaine que la limitation ou l’arrêt du vieillissement est en un certain sens rassurant. Une société où les citoyens pourraient choisir leur âge biologique serait très différente de la nôtre. Par contre, une société dans laquelle les citoyens pourraient vivre beaucoup plus longtemps avec un vieillissement négligeable serait peu différente.
Le nombre de personnes âgées croîtrait plus rapidement qu’aujourd’hui mais ces personnes auraient de moins en moins besoin de soins pour des pathologies lourdes.
Bonne nouvelle du mois: Une analyse fouillée de la longévité dans un hebdomadaire français de référence
Le journal « Le Nouvel Observateur » du 2 janvier 2014 consacre sa couverture et plus de 20 pages à un dossier « Vivre mieux et plus longtemps. Les incroyables découvertes de la science. » Les lecteurs ont pu prendre connaissance des dernières avancées en matière de longévité et dans des domaines proches, en France, aux Etats-Unis, en Chine et ailleurs. Le neurobiologiste Hervé Chneiweiss, qui est notamment à la tête du Comité éthique de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) y explique notamment les enjeux dans ces domaines en France et ailleurs. Il déclare également qu’il milite pour que le service public permette au plus grand nombre de bénéficier des percées médicales.
Pour en savoir plus
- · De manière générale, voir notamment:
http://heales.org, http://sens.org et http://longecity.org
- · Le seul animal qui « rajeunit » (en anglais):
http://en.wikipedia.org/wiki/Turritopsis_dohrnii
- · Source de l’illustration: Couverture du Nouvel Observateur du 2 janvier 2014
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