Vivre plus longtemps, ce n'est pas vieillir plus longtemps – La mort de la mort # 60

Depuis plusieurs années, Didier Coeurnelle, porte-parole de Technoprog mais aussi co-fondateur de l'organisation internationale HEALES, publie une lettre mensuelle intitulée "La mort de la mort". Voici le #60 : "Vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé, ce n'est pas vieillir plus longtemps".

Publié le 27 avril 2014, par dans « transhumanisme »

A long terme, nous serons tous vivants. (…)
Les innombrables découvertes, inventions et innovations technologiques qui sont « dans le pipeline » à venir, si elles sont utilisées judicieusement, peuvent changer le
monde spectaculairement et pour le bien. Il suffit de penser aux conséquences positives qui pourraient résulter de l’application de la génétique, la transgénèse, les organismes génétiquement modifiés, la médecine sur les cellules souches, la découverte de nouveaux médicaments, l’augmentation de l’espérance de vie, les fabuleuses – dans le sens originel du légendaire – possibilités découlant de la recherche.
Mark Eyskens, ancien premier ministre belge,
2013 (traduit de l’anglais).

Thème du mois: Vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé, ce n’est pas vieillir plus longtemps 

Peu importe la longueur de l’explication, peu importe que la bonne santé soit explicitement ou implicitement citée, peu importe que des spécialistes expliquent bien ou mal combien l’état de santé des personnes âgées s’améliore avec le temps, à chaque exposé en faveur de progrès pour une vie plus longue, quelqu’un demandera toujours « Pourquoi vivre plus longtemps, si c’est pour se dégrader? ».

La croyance qu’une vie plus longue doit être accompagnée de dégradation est ancienne. Tithon était un prince troyen mythique à qui Zeus avait donné la vie éternelle mais en omettant de lui donner la jeunesse éternelle. Les anglophones qui défendent les progrès médicaux permettant de vivre plus longtemps parlent parfois de « Tithonius error », pour désigner la croyance selon laquelle la médecine et les progrès techniques ne permettent de gagner que des années de vie en mauvaise santé. Cette idée est également souvent présente dans la science – fiction et la littérature fantastique. Enfin, elle se retrouve fréquemment implicitement en filigrane de déclarations de responsables politiques ou économiques parlant du « problème de la société vieillissante » plutôt que des perspectives positives d’une population avançant en âge.

Ainsi, la question « Pourquoi vivre plus longtemps » est trop souvent perçue comme « Pourquoi se dégrader plus longtemps ». Les citoyens sont convaincus qu’une vie plus longue ne signifie qu’une souffrance plus longue, un peu comme si une justice divine devait compenser les progrès de la longévité par des régressions de bien-être.
Bien sûr, une des raisons de ces croyances est que les gens extrêmement âgés que nous voyons sont toujours des personnes à l’état de sénescence, de dégradation avancée. Jusqu’ici, avancée en âge et dégradation progressive ont toujours été associés chez l’être humain. Lorsqu’une personne atteint le siècle, c’est donc actuellement malheureusement toujours dans un état de santé fragile. Il nous est très difficile d’imaginer que cela change.

Fréquemment, le concept de la vieillesse courte et naturelle s’oppose à celui d’une vie plus artificielle et moins agréable. Il est vrai qu’il arrive trop souvent que les acteurs médicaux visent la guérison voire le maintien en vie en se préoccupant peu de la qualité de vie des patients. Cela peut être parce que le praticien ne s’estime compétent que pour les actes médicaux ou pire par indifférence.

Mais la médecine – et la majorité des praticiens de « l’art de guérir » – a de tout temps eu parmi ses objectifs essentiels, le désir de prolonger une vie aussi longue que possible et également en aussi bonne santé que possible.

Et ceci s’est réalisé avec succès sur le long terme. L’allongement de la durée de vie pour les personnes âgées ces dernières décennies, ce n’est pas seulement ajouter des années à la vie, c’est aussi ajouter de la vie aux années.
Citons quelques exemples :

Dans un passé relativement récent, il y a moins de 50 ans, la vieillesse était symbolisée par la canne du vieillard et le corps courbé des hommes et des femmes âgées. C’était la suite de maladies et dégradations fortement invalidantes de moins en moins présentes. Aujourd’hui, l’utilisation d’une canne est beaucoup plus rare et concerne des personnes plus âgées et il devient rare de croiser des personnes âgées sévèrement bossues, courbées par le poids des ans.

Le concept de bonne santé est un concept évolutif. Aujourd’hui, les citoyens et les personnels de santé soigneront plus rapidement et mieux que par le passé. La « vieille tante qui radote » du milieu du siècle passé serait aujourd’hui considérée comme une dame âgée atteinte d’un Alzheimer relativement avancé. Hier, elle aurait eu droit, au pire au mépris et au mieux à l’aide de sa famille, aujourd’hui, des soins sont prodigués par la société.

Contrairement à ce que l’on pense souvent, l’athérosclérose tend à diminuer progressivement pour des populations d’âge égal.

De manière globale, selon une étude publiée en 2012 par le plus prestigieux journal médical « The Lancet », durant les deux décennies écoulées de 1990 à 2010, l’espérance de vie a cru de 4,7 années pour les hommes et de 5,1 années pour les femmes. Les 3/4 environ de ces années, soit 3,9 années pour les hommes et 4,1 années pour les femmes sont des années de vie en bonne santé. Une autre étude effectuée à Harvard est encore plus optimiste car elle estime que, à l’exception de l’année ou des deux années précédant le décès, les citoyens sont en meilleure santé qu’auparavant.

Bref, en 2014, nous vivons beaucoup plus longtemps que jamais dans l’histoire de l’humanité et la durée de notre vie en bonne santé est également plus longue que jamais dans l’histoire de l’humanité.

Mais la question la plus cruciale posée concerne le futur. Les progrès envisagés visent-ils une vie uniquement plus longue ou aussi une de meilleure qualité ? Il s’agit de cellules (cellules souches) qui pourraient un jour régénérer des tissus ou des organes humains, de produits assurant une fluidité accrue du sang et diminuant les risques de maladies cardio-vasculaires, de capteurs chargés d’avertir de la naissance possible de maladies et ainsi de prévenir ces affections, de thérapies géniques empêchant le développement de maladies héréditaires, de nanotechnologies médicales visant à prévenir et guérir des maladies invalidantes, … Est-ce que toutes ces méthodes auront pour but et pour effet une dégradation plus longue ou bien une vie de meilleure qualité et plus longue ? La réponse ne fait aucun doute dans l’esprit des chercheurs.

Il est cependant un domaine dans lequel réellement, durant ces dernières décennies et pour la perspective à court terme, l’allongement de la durée de vie ne s’accompagne que peu d’amélioration de la qualité de la vie. Il s’agit des maladies neuro-dégénératives et particulièrement de la maladie d’Alzheimer. Aujourd’hui par rapport à hier, ces maladies font l’objet de meilleurs accompagnements, surviennent probablement un peu plus tard, sont de mieux en mieux connues des médecins, des psychologues, des membres de la famille et de tous ceux qui soignent et accompagnent.

Mais les véritables percées dans le domaine de la lutte contre ces maladies restent encore à accomplir. C’est donc dans ce domaine que les recherches sont le plus nécessaires. Ces recherches seront coûteuses mais elles sont potentiellement utiles, non pas seulement à « nos vieux à nous », mais à tous. Cette utilité potentielle va de la très vieille femme kényane sénile et sans famille qui n’aura jamais les moyens de se payer un aide-soignant à l’octogénaire milliardaire new-yorkais bien entouré mais qui risque néanmoins fort de mourir dans une forme de déchéance que nous ne souhaiterions pas à notre pire ennemi.

Bonne nouvelle du mois: Craig Venter crée la société Human Longevity Incorporated

Craig Venter, qui fut l’acteur principal du premier séquençage humain en l’an 2000, vient d’annoncer la création de la société Human Longevity,Inc. Cette société au capital de départ de 70 millions de dollars a pour objectif ambitieux de comprendre les mécanismes de longévité.
Des recherches systématiques portant sur l’ADN humain seront entreprises en vue de détecter les gènes utiles à la longévité. La société séquencera le génome de centenaires et examinera l’ADN du « microbiome » humain, c’est-à-dire l’ADN des êtres vivants qui se trouvent dans notre corps (bactéries et autres micro-organismes).
Après la création par les dirigeants de Google de la société Calico, c’est un second pas important dans les recherches pour une longévité humaine fondamentalement augmentée.

Pour en savoir plus

De manière générale, voir notamment:
http://heales.org, http://sens.org et http://longecity.org

Citation de Mark Eyskens:
http://www.eyskens.com/page103/page132/page134/page136/page136.html

Site de Human Longevity Inc.:
http://www.humanlongevity.com

Enquête du Lancet « Global Burden of disease » :
http://www.thelancet.com/themed/global-burden-of-disease

Enquête de Harvard à propos de l’amélioration de l’état de santé:
http://www.natureworldnews.com/articles/3227/20130730/people-living-longer-healthier-harvard-researcher.html

Source de l’illustration:
logo de la société Human Longevity Inc.

Restons en contact

Vice-président de l’AFT-Technoprog Je me définis comme un activiste du social essayant de promouvoir l’égalité et la solidarité à tous les niveaux notamment grâce aux progrès technologiques utiles qui nous permettent de vivre mieux, plus longtemps et d’échanger de plus en plus de connaissances. En savoir plus