La mort de la mort. Mai 2014. Numéro 62.

Depuis plusieurs années, Didier Coeurnelle, porte-parole de Technoprog mais aussi co-fondateur de l'organisation internationale Heales, publie une lettre mensuelle intitulée "La mort de la mort". Voici le #62 : "Longévité: l'âge de ses artères?".

Publié le 31 mai 2014, par dans « transhumanisme »

flagwhoJe fais partie de ceux qui ne regrettent pas leur jeunesse (je l’ai vécue avec bonheur, mais je ne voudrais pas recommencer depuis le début), car je me sens plus riche aujourd’hui qu’autrefois. Or, songer que, à ma mort, toute cette expérience sera perdue est pour moi une source de souffrance et de crainte. Même si je me dis que mes descendants en sauront un jour autant que moi, si ce n’est plus, cela ne me console pas. Quel gâchis, des dizaines d’années à construire une expérience et puis tout perdre! C’est comme brûler la bibliothèque d’Alexandrie, détruire le Louvre, laisser s’enfoncer dans la mer, la très belle, très riche et très savante Atlantide. Umberto Eco. La mort et l’immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances. 2004.


Longévité: l’âge de ses artères?


Le sang qui coule dans nos artères constitue moins d’un dixième de la masse corporelle. C’est un liquide constitué principalement de globules rouges, de globules blancs, de plaquettes sanguines et de plasma qui circule pratiquement partout dans notre organisme. Détient-il des secrets en matière de rajeunissement?

Brève histoire des usages culturels et thérapeutiques du sang 

Dans la plupart des cultures, le sang a une signification spécifique. Il peut représenter la vie elle-même, être un symbole de la jeunesse ou au contraire faire l’objet d’interdits. Parfois dans les civilisations qui pratiquent la mise à mort d’animaux, il sera conservé à part après le sacrifice pour être consommé ou pour servir à des divinations. Pour la religion catholique, le vin de messe se transforme en sang (ceci est appelé « transsubstantiation »). Pour les religions musulmane et hébraïque par contre, l’animal doit être vidé de son sang avant d’être consommé.

Enfin, le sang a été perçu comme un symbole inaliénable de la proximité héréditaire se transmettant sans disparaitre de génération en génération. Ainsi l’expression « frères de sang » sera utilisé pour des frères biologiques et le terme « sang bleu » désignera les nobles. Le « mélange des sangs » notamment chez certains peuples amérindiens se fera en faisant entrer en contact le sang de deux individus.

A côté des usages symboliques ou en complément de ceux-ci, le sang, a été perçu depuis fort longtemps par certains comme un liquide permettant la régénération.

Les vampires, créatures mythiques, se nourrissant du sang d’autres personnes, se retrouvent dans de nombreuses cultures, même si le terme de « vampire » pour désigner ces êtres, ne date que du 18ème siècle.

Etant donné que les battements du cœur et la circulation du sang sont, après la respiration, les signes les plus tangibles de la survie d’un être humain inconscient, il est logique que les premières tentatives de transfert de sang vers une personne malade aient été très anciennes. Une des premières tentatives eut probablement lieu en 1492. Le pape Innocent VIII aurait bu le sang de trois jeunes enfants de 10 ans. Ni les enfants, ni le pape ne survécurent. Les premières transfusions avec un taux de réussite raisonnable n’auront lieu qu’au cours de la première guerre mondiale, lorsque les groupes sanguins seront connus.

Mais le suc de la vie a aussi été perçu depuis des temps très lointains comme pouvant être trop abondant. Pendant deux millénaires, l’extraction du sang a été considérée comme une pratique thérapeutique majeure. Les mésopotamiens, les égyptiens, les grecs anciens, les romains, les médecins du moyen-âge et même les médecins de la Renaissance étaient convaincus que l’équilibre du métabolisme humain pouvait être amélioré en retirant une partie du fluide indispensable à la vie. La saignée, et également au 19ème siècle les sangsues absorbant du sang, ont été utilisés pour soigner d’innombrables maladies et même dans un but prophylactique. La pratique ne sera progressivement abandonnée qu’au cours du 19ème siècle et même aujourd’hui certains praticiens de médecines dites « traditionnelles » ou « naturelles » l’utilisent encore.

Il est fascinant de constater que cette branche majeure de la médecine a traversé autant de cultures différentes. Ceci alors que, sauf cas très particuliers de certaines maladies du sang et d’hypertension, la santé des patients ne s’en trouvait aucunement améliorée et alors que, bien sûr, les risques d’affaiblissement et d’infection étaient considérables. Il a fallu attendre la vérification statistique de l’inefficacité pour que la thérapie faiblisse enfin. Ceci rappelle, s’il en est besoin, combien les thérapies perçues à un moment donné de toute bonne foi comme naturelles, immémoriales et établie par des praticiens reconnus, peuvent être dangereuses, en l’absence de vérification expérimentale.

Thérapies et réjuvénations envisageables aujourd’hui

Depuis environ un siècle, la transfusion sanguine est maîtrisée. Il est utile de constater que, à l’exception de témoins de Jéhovah, très peu de citoyens sont réticents aux transfusions pour des raisons éthiques, alors même qu’il s’agit d’une approche thérapeutique profondément invasive, puisque presque chaque cellule de notre corps finira par être irriguée par ce corps étranger.

Actuellement, les transfusions sanguines entre personnes (ou la transfusion dite « autologue », c’est-à-dire la transfusion par une personne de son propre sang qui a été « stocké » en un lieu) ne sont en principe effectuées que pour pallier à des manques physiologiques dans le cadre d’affections. La seule exception non anecdotique est l’utilisation de sang pour améliorer des performances sportives, mais cette pratique est illégale en compétition.

Le sang pourrait-il un jour être utilisé spécifiquement dans le but d’allonger la durée de vie des femmes et des hommes n’ayant pas une affection déterminée? Etant donné son ubiquité, c’est une évolution imaginable en modifiant les cellules et substances qui le composent.

Durant ces derniers mois, deux découvertes scientifiques intéressantes liées au système sanguin et à la longévité ont été décrits.

Hendrikje van Andel-Schipper, une citoyenne néerlandaise décédée en 2005 à l’âge de 115 ans a été la personne la plus âgée au monde à avoir donné son corps à la science. Les recherches permises grâce à l’examen de son organisme se sont achevées récemment. A son décès, il semble que toutes les cellules de son sang ne provenaient plus que de deux cellules-souches alors qu’un organisme normal en possède beaucoup plus. La presse a relaté que cette personne était encore en bonne santé mais est décédée principalement parce que les cellules de son sang ne pouvaient plus se régénérer. En voyant des photos de la personne, on s’aperçoit cependant tout de suite que l’expression « bonne santé » est à prendre de manière très relative, par comparaison avec d’autres personnes très âgées.

Des chercheurs de Harvard considèrent que le sang de jeunes souris pourrait améliorer l’état de santé ou en tout cas les indicateurs métaboliques de souris âgées. Dans une expérience menée en Grande-Bretagne, des souris âgées se sont vues transférer le sang de souris jeunes en établissant une circulation commune par paire (une souris jeune, une souris âgée). Après quelque temps, il a été constaté que le métabolisme des souris âgées s’était amélioré. Selon les chercheurs, des thérapies similaires pourraient être un jour envisagées chez des êtres humains, par le biais de transfusions. Cela ouvrirait notamment des pistes en ce qui concerne la cognition des personnes atteintes d’Alzheimer. Il faut cependant remarquer:
– que cela supposerait de nombreux progrès médicaux pour la production de sang humain
– que les tests sur les souris n’ont pas porté sur l’espérance de vie proprement dite des souris, mais uniquement sur les indicateurs métaboliques peu après la transfusion.

Il serait cependant assez logique, notamment compte tenu des éléments cités, de penser que des thérapies basées sur des transfusions aient un avenir, non seulement pour lutter contre des maladies ou des manques, mais également pour allonger la durée de vie. Dans une vue plus prospective et à plus long terme, il est aussi possible d’imaginer qu’un jour le sang transfusé soit un liquide dans lequel des nanorobots seront introduits et se répandront dans la quasi-totalité de l’organisme pour agir là où ils sont nécessaires. En ce qui concerne les maladies neuro-dégénératives, ces minuscules appareils seraient amenés par le sang jusqu’à la barrière hémato-encéphalique qu’ils pourraient franchir ensuite, grâce à leur petite taille, comme les nutriments et substances amenés par le sang le font déjà.


Bonne nouvelle du mois: Les statistiques de l’OMS démontrent que l’espérance de vie continue à progresser presque partout dans le monde.


N’en déplaise aux pessimistes, malgré les pollutions, l’obésité et le développement de certaines affections, au Nord comme au Sud, à l’est comme à l’ouest, l’espérance de vie continue à progresser. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de publier des statistiques mondiales portant sur la période 1990 – 2012.

Du citoyen du Libéria qui a gagné 20 ans d’espérance de vie, mais pour espérer vivre seulement 62 ans, à la femme japonaise dont la durée de vie moyenne est désormais de 87 ans, environ 4 ans de plus qu’en 1990, les progrès sont bien plus rapides que ce que la majorité des citoyens pensent, même s’ils sont bien inférieurs à ce qui serait possible si la recherche pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue devenait une priorité majeure.


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Vice-président de l’AFT-Technoprog Je me définis comme un activiste du social essayant de promouvoir l’égalité et la solidarité à tous les niveaux notamment grâce aux progrès technologiques utiles qui nous permettent de vivre mieux, plus longtemps et d’échanger de plus en plus de connaissances. En savoir plus