L’âgisme en 10 questions

Au fur et à mesure que nos sociétés vieillissent, l’âgisme apparaît au grand jour et s’avère un adversaire de la lutte transhumaniste pour l’extension de l’espérance de vie en bonne santé.

Publié le 22 avril 2020, par dans « transhumanisme »

Qu’est-ce que l’âgisme ?

L’âgisme est, selon l’OMS, “le fait d’avoir des préjugés ou un comportement discriminatoire envers des personnes ou des groupes en raison de leur âge”.  Il fabrique des stéréotypes : il “découle du principe que tous les membres d’un groupe donné (par exemple les personnes âgées) sont identiques. À l’instar du racisme et du sexisme, l’âgisme a une finalité sociale et économique: légitimer et maintenir les inégalités entre les groupes”.

Les discrimination envers les jeunes et les enfants sont-ils de l’âgisme ?

Techniquement oui. La peur des adolescents a même un nom : l’éphébophobie. Le cas des personnes mineures mis à part (interdiction d’accès à certains lieux, de certains achats etc.), on peut noter des discriminations, dans la vie courante, liées au manque supposé d’expérience de personnes majeures jeunes : par exemple, un homme d’âge mûr pourra couper la parole à un jeune homme dans une réunion publique, ou un jeune couple se verra refuser un logement au bénéfice d’un couple plus âgé, à revenus égaux (on suppose, ce faisant, que ces derniers mèneront une vie plus calme et qu’ils n’accueilleront pas d’enfants, par exemple). En ce sens, l’âgisme simplifie et réduit les individus à leur appartenance à un groupe.

Néanmoins, dans l’écrasante majorité des cas, l’âgisme concerne l’attitude négative envers les personnes âgées (gérontophobie) et la survalorisation des caractéristiques prêtées aux jeunes. 

Il serait intéressant de voir si l’âgisme suit une “courbe en U” avec des catégories d’âge moins touchées que les autres (30-50 ans), le taux de personnes impactées étant alors inversement proportionnel aux revenus moyens de chaque catégorie, ou à l’”utilité” perçue.

Qu’est-ce que le jeunisme ?

Le jeunisme est un âgisme. On parle souvent de jeunisme dans le cadre professionnel : on préférera embaucher un jeune à un vieux. Péjoratif, ce terme désigne les organisations ou entreprises qui placent la jeunesse au-dessus de toute autre considération (compétence, etc.) – et étendu à la société entière, il sous-entend une hiérarchie entre les catégories d’âge. On parle ainsi de jeunisme dans la publicité ou le cinéma.

L’âgisme est-il puni par la loi ?

Oui, dans de nombreux pays. En France, les articles 225-1 à 225-4 du Code Pénal ouvrent la voie à la pénalisation de l’âgisme (marché du travail, consommation, etc.). 

D’où vient l’âgisme ?

Il est difficile de dire d’où est issue la gérontophobie. Cette discrimination a ceci de particulier qu’elle touche potentiellement toutes les personnes et toutes les catégories sociales. Vraisemblablement liée aux maladies incapacitantes qui touchent les personnes âgées, elle ressemble alors aux discriminations relatives au handicap (validisme, nosophobie). Elle pourrait être également une expression de la peur inspirée par la mort.

Selon certaines interprétations, l’âgisme est issu de deux “coutumes” anciennes : 

  1. la préférence accordée aux personnes en âge de se reproduire, pour permettre à un groupe de survivre en cas de danger ;
  2. le sentiment d’injustice liée aux différences de durée de vie déjà écoulée. 

On a assisté, dans certains hôpitaux lors de la crise actuelle du Covid-19, à des choix effectués au détriment de personnes très âgées (90 ans et plus) ou très malades, et en faveur de malades plus jeunes. Quelqu’un qui a vingt ans de plus qu’un autre sera jugé “chanceux” d’avoir vécu ces vingt années de plus et passera donc après en cas de ressources limitées.

On entend très souvent cet argument quand il s’agit des craintes liées à la surpopulation – craintes que nous pensons infondées.

Dans le cas de ressources non limitantes, ce comportement préférentiel peut donc être qualifié d’irrationnel.

La société est-elle plus âgiste qu’avant ?

Cela est difficile à dire. Ce n’est que relativement récemment que la proportion de personnes âgées est devenue si importante ; tout au long de l’histoire de l’humanité, les personnes âgées représentaient une fraction très restreinte de la population totale. L’âge-seuil de la “vieillesse” a aussi varié. Vivre longtemps signifiait posséder de bons gènes ou bénéficier de pouvoir et de richesses, et avoir de la chance ; la vieillesse, source de sagesse et d’expériences utiles au groupe, était considérablement plus valorisée qu’aujourd’hui. Certes, le verset de la Bible “Ne réprimande pas rudement le vieillard, mais exhorte-le comme un père; exhorte les jeunes gens comme des frères”  (Timothée 5:1) plaide en faveur de l’existence d’une gérontophobie à des époques reculées. Néanmoins, la majorité des sociétés humaines, depuis l’antiquité, ont donné une place souvent privilégiée aux anciens, confinant parfois à la gérontocratie (voir par exemple: Moses I. Finley, “Les personnes âgées dans l’Antiquité classique”, in Le continent gris. Vieillesse et vieillissement, 1983). 

Il s’agit sans doute là d’un apport majeur de la culture aux comportements de nos ancêtres non-humains. Chez de nombreuses espèces animales où la hiérarchie occupe une place centrale, et où le harcèlement (bullying) est utilisé pour répandre ses gènes, les individus âgés ont toujours un statut moins élevé.

Le grand âge fait donc l’objet d’un traitement contrasté, résultat d’un équilibre fragile entre pouvoir conféré par l’expérience et discriminations validistes dès que la santé vacille. La gérontophobie n’est-elle d’ailleurs autre chose qu’une composante du validisme, qui consiste à discriminer les personnes atteintes de handicap ?


Comment combattre l’âgisme ?

Selon l’OMS, l’âgisme, comme le racisme ou le sexisme, peut être combattu en faisant reculer l’ignorance relative à ses victimes. Pour le cas de la gérontophobie, l’organisation cite deux idées reçues : les personnes âgées coûteraient cher à la collectivité, et elles nécessiteraient des soins constants. Or, au Royaume-Uni et en Irlande par exemple, les apports financiers des personnes dites âgées (via les taxes, la consommation etc) sont supérieures de 40 Mds de livres à ce qu’elles reçoivent ; et seul un faible pourcentage des personnes âgées sont réellement dépendantes dans leur vie quotidienne. Cela sans évoquer l’apport culturel, et économiquement difficilement quantifiable, de l’expérience apportée par les années.

Les transhumanistes proposent, quant à eux, une stratégie complémentaire : engager une lutte réelle contre le vieillissement biologique.

Les transhumanistes longévitistes sont-ils âgistes ?

On pourrait arguer que le transhumanisme, en souhaitant supprimer le vieillissement biologique, entretient le climat discriminatoire et la hiérarchie entre catégories d’âge.

En réalité, la stratégie transhumaniste se rapproche de celle qui est adoptée contre le handicap en général : reconnaître un état jugé non souhaitable et proposer une solution médicale ou technologique pour y remédier, tout en insistant sur l’importance de ne pas générer de discriminations dans la vie quotidienne. C’est une position d’équilibriste qui est souvent mal comprise. 

L’accusation d’âgisme envers les transhumanistes est fréquente, et confond en fait le malade et sa pathologie. Les transhumanistes pensent que l’on peut être contre l’existence d’une pathologie, ou en tout cas proposer un remède à celle-ci, sans pour autant se positionner contre l’existence des malades eux-mêmes. De nombreux transhumanistes longévitistes voient d’ailleurs le vieillissement comme une maladie, ou un syndrome, et demandent l’application pure et simple du serment d’Hippocrate.

Sous cet angle, nous autres transhumanistes serions les seul(e)s à ne pas être âgistes, puisque nous voyons l’absence de mesures anti-vieillissement (dans la recherche biomédicale) comme une preuve de l’âgisme global de la société. Combattre l’âgisme sans s’engager dans la lutte radicale contre les maladies liées à l’âge serait une position hypocrite. On pourrait ici ajouter que le vieillissement est un processus qui ne touche pas que les « seniors » : par exemple, les femmes sont concernées par la ménopause autour de 40 ans déjà.

Quelles sont les conséquences négatives de l’âgisme ?

Nous pensons que l’âgisme entretient un cercle vicieux poussant notamment à négliger le grand âge et ses pathologies. La gérontophobie, en attribuant une valeur excessivement faible aux individus âgés, constitue très certainement un frein pour la recherche de thérapies anti-vieillissement. 

La gérontophobie a ceci de très particulier qu’elle peut se manifester chez un individu jeune et faire souffrir, bien plus tard, le même individu devenu âgé. En ce sens, elle est comparable au racisme, dont on peut être à la fois victime et propagateur, selon qu’on se trouve d’un côté ou de l’autre d’une frontière.

Hélas, la gérontophobie se manifeste aussi chez les personnes âgées elles-mêmes ; selon l’OMS, c’est même l’une des principales causes de mal-être et de dégradation de l’état de santé de ces personnes. “Des études scientifiques montrent que les personnes âgées ayant des attitudes négatives vis-à-vis du vieillissement pourraient vivre 7,5 années de moins que ceux ayant des attitudes positives. Il a été démontré que l’âgisme peut provoquer un stress cardiovasculaire, réduire le sentiment d’auto-efficacité et réduire la productivité. On note également beaucoup d’attitudes négatives, y compris au sein des établissements de santé et d’aide sociale où les personnes âgées sont le plus vulnérables.”

Ces raisons purement sanitaires font que les longévitistes pensent que l’âgisme est un fléau et doit être combattu, sans aveuglement et avec lucidité, y compris aux plus hauts niveaux des instances décisionnelles de nos pays dits développés.

Que puis-je faire pour combattre l’âgisme ?

Vous pouvez adhérer à l’Association Française Transhumaniste – Technoprog 🙂

Il existe évidemment de nombreuses autres organisations attentives au respect des droits des personnes âgées : APA aux Etats-Unis ou la FIAPA, ÂgeVillage et l’Observatoire de l’Âgisme en France.

Porte-parole de l'AFT