Vie très longue en bonne santé : effets sur notre psychologie
Pourquoi une durée de vie considérablement augmentée pourrait signifier une amélioration de l’humanité, au sens physique comme au sens moral ? Quelques effets possibles en terme de psychologie
Publié le 5 janvier 2014, par dans « Immortalité ? »
On ne peut rester indéfiniment « damné de la Terre »
Quel effet pourrait avoir la perspective d’une vie indéfiniment longue sur les populations les moins avantagées socialement – dans la mesure où un système d’État providence leur permettrait d’y avoir accès ?
Est-il concevable que les gens continuent à accepter de se résigner à une vie de frustration et de misère morale ou matérielle si la perspective de cette vie devenait vraiment très longue ?
Ne peut-on imaginer au contraire que le fait de savoir que nous avons devant nous l’équivalent de deux, trois, quatre ou davantage de vies actuelles pousse des millions de gens à se dire qu’il ne sera jamais trop tard pour refaire leur vie ?
Un tel contexte et de telles exigences devraient amener à reconcevoir complètement nos modes de formation. Non seulement la formation initiale, c’est-à-dire l’école et l’université, devrait durer bien plus longtemps mais encore les formations tout le long de la vie devraient être multipliées.
Ainsi, les possibilités de mobilité sociale sur le long terme seraient considérablement accrues.
Altruisme ou égoïsme ? Ouverture ou fermeture ?
Dans le monde actuel, avec la biologie dont nous dépendons, l’avancée en âge se traduit, très tôt – dès la trentaine atteinte, par la dégradation du corps. Cette expérience universelle détermine en très grande partie notre psychologie commune et il est bien difficile d’imaginer d’une part la manière dont évolueraient ceux qui se libéreraient de cette déchéance, d’autre part la psychologie de ceux qui ne la connaîtraient jamais.
Or, l’expérience de la déchéance physique, qui est aussi celle de la fragilité et de la dépendance, a diverses conséquences lesquelles, du point de vue du vivre ensemble, peuvent selon les individus se traduire par des attitudes positives ou négatives.
– Une attitude fréquente chez les personnes qui vieillissent dans les conditions actuelles est la perte de confiance d’abord en soi même puis dans le monde. Cela peut aller jusqu’à la peur et se traduit par des attitudes que l’on peut qualifier de conservatrices (Didier Coeurnelle le rappelle, p. 171 en signalant la « terror management theory »). Dans ces conditions, un monde de personnes vivant beaucoup plus longtemps serait un monde de vieux, un monde sclérosé et sans doute rapidement promis au déclin.
Certes, il existe toujours des personnes âgées qui malgré le poids des ans, la maladie ou la dépendance font toujours preuve d’une étonnante joie de vivre, dont on dit qu’elles sont restées jeunes dans leur tête et qui font l’admiration de tous, mais il me semble que cette catégorie de personne est minoritaire. La vieillesse, tant qu’elle est une marche vers une mort assurée à relativement brève échéance, peut-elle être autre chose qu’un lent repli sur soi ?
A l’inverse, la perspective d’une vie indéfiniment longue porterait, il me semble, les individus à se projeter sans cesse vers l’avenir, donc vers le monde et donc vers les autres. Non pas que cela les rendent nécessairement altruistes, mais cette perspective impose au moins l’autre comme incontournable.
(Sauf, si l’on veut, à retenir des hypothèses comme celle des Solariens de Isaac Asimov dans la saga des Robots et des Fondations, où ce célèbre auteur de SF imagine un groupe d’humains dotés d’une très haute technologie, vivant très longtemps, s’étant établis sur une planète, Solaria, où presque toutes les tâches productives sont réalisées par des robots et où les habitants, très peu nombreux, sont devenus phobiques à tout contact avec les autres personnes.
Il est frappant de constater que, dans la littérature fantastiques, les personnages humains auxquels il est prêté une très longue durée de vie sont en même temps très souvent affublés d’un tempérament plus ou moins misanthrope, depuis les vampires jusqu’aux Elfes de Tolkien. Il serait intéressant d’étudier les ressorts psychologiques de ce penchant des auteurs de toute époque à associer la longue vie à un désamour de l’humanité.)
– À propos de sa conséquence sur la préoccupation écologiste, Didier Coeurnelle s’amuse du devenir du dicton « Après moi, le déluge » (dans sa version belge : « Après moi, les mouches ! » ). Le fait d’envisager une vie très, voire indéfiniment longue devrait nous rendre plus sensible à la question environnementale, mais n’en irait-il pas de même de la question sociale ? Par exemple des responsables économiques ou politiques agiraient-ils avec la même désinvolture envers les populations dont ils sont plus ou moins responsables s’ils avaient présent à leur esprit que les conséquences de leurs actes pourraient les poursuivre indéfiniment longtemps ? Et ceci pourrait être valable pour n’importe quel habitant de la planète.
(Au passage, cela impliquerait des réformes en terme de justice, une condamnation à la prison à vie, par exemple, n’ayant plus du tout le même sens).
Plus de savoirs ; plus d’expériences ; plus de sagesse ; plus de paix …
– Imaginons un monde où tout un chacun aurait le temps de découvrir presque toutes les cultures de la Terre, d’apprendre des dizaines de langues (même si demain des traducteurs automatiques instantanés semblent rendre inutile l’apprentissage des langues, ils ne remplaceront pas à l’identique, l’expérience neurologique de l’apprentissage d’une langue), d’apprendre des centaines ou des milliers de savoir-faire, etc. Dans ce monde où l’intérêt pour le savoir individuel et collectif pourrait être érigé encore plus haut qu’aujourd’hui au rang de vertu cardinale, la possibilité d’un temps indéfini pour rassasier cet appétit de connaissance serait un bien des plus précieux, une véritable source de bonheur.
L’espoir humaniste a toujours été de se rapprocher de la sagesse par l’éducation. Même si cela n’est pas toujours vérifié, cet idéal est sous tendu par la conviction que le fait de mieux connaître le monde et les autres est un facteur d’empathie, donc un facteur de paix.
Le monde, à travers la sagesse populaire, s’est toujours plaint de la condition humaine en s’exclamant : « Si jeunesse savait ! Si vieillesse pouvait ! ». L’espoir d’une durée de vie considérablement augmentée est de faire mentir l’adage : jeunesse saura, vieillesse pourra !
1ère partie : Le choix d’une vie très longue en bonne santé : pourquoi ?
3ème partie : Effets possibles en terme de démographie d’une vie très longue
4ème partie : Effets économiques possibles d’une vie très longue
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