Vie très longue en bonne santé : effets en termes de démographie
Pourquoi une durée de vie considérablement augmentée pourrait signifier une amélioration de l’humanité, au sens physique comme au sens moral ?
Publié le 10 février 2014, par dans « Immortalité ? »
Poursuite de la réflexion sur « Le choix d’une vie très longue en bonne santé : pourquoi? »
Plus de vie
– Le fait de conserver un corps et un cerveau en bonne santé pourrait nous permettre également de continuer à bénéficier des progressions médicales et technologiques ultérieures. Ceci ne serait d’ailleurs que la prolongation d’un phénomène déjà à l’œuvre. Mais c’est un avantage supplémentaire d’une vie plus longue en bonne santé que nous pouvons souligner. À terme, il est possible d’espérer atteindre ce qu’Aubrey de Grey nomme une « vitesse d’échappement au vieillissement » (« live enough to live forever »), mais même au-delà, nous pouvons imaginer qu’une fois le vieillissement vaincu, la techno-médecine continuerait ses progrès pour diminuer encore les risques de mortalité liée à d’autres causes (maladies, accidents, etc.).
– D’autre part, la perspective de conserver un corps indéfiniment jeune et en bonne santé, entre autres conséquences, aurait celle de nous libérer de toute contrainte liée à une période de capacité à la procréation. Indépendamment des hypothèses sur l’utérus artificiel, qui pourrait permettre une totale exogenèse, indépendante donc de la santé des parents, le maintien de corps jeunes pourrait permettre à ceux et celles qui le choisiraient d’avoir un enfant à tout âge. Néanmoins, sur une planète à l’espace et aux ressources nécessairement finies, j’y viens ci-après, cela ne serait sans doute possible que dans la mesure où serait respecté l’équilibre démographique général.
Un nouvel équilibre démographique plus favorable au dynamisme de la société ?
L’allongement considérable de la durée de vie en bonne santé, d’abord d’une partie, puis progressivement de l’ensemble de la population humaine aurait probablement pour effet que nos sociétés seraient à terme constituées d’une proportion bien moindre de personnes peu âgées (enfants, adolescents, jeunes adultes). La première réaction à cette perspective, peut-être la plus fréquente aujourd’hui, est de considérer que ce serait une mauvaise chose, catastrophique même. Nous réagissons spontanément en pensant à ce que la jeunesse représente en terme de renouvellement, de remise en question des trop vieilles certitudes des générations précédentes ou de créativité. Par ailleurs, l’enfance, dans quasiment toute les cultures du monde, est aujourd’hui associée à une image hyper-positive. Pour la grande majorité, elle est celle de l’innocence, de la fragilité qui doit impérativement être protégée, celle surtout de notre devenir, sur lequel nous projetons une très grande partie de nos espoirs et qui est ainsi chargée de nous permettre de supporter notre plus grande souffrance : notre angoisse existentielle. Toute atteinte à la part que représente l’enfance touche donc beaucoup d’entre nous au cœur. Le coût serait d’abord symbolique.
Néanmoins, je pense que cette vive appréhension face au recul de l’enfance relève surtout d’une incapacité à imaginer ce que pourraient être, ou ce qu’ont été d’autres équilibres entre générations. Nous avons déjà oublié ce que représentait l’enfance dans les sociétés pré industrielles (En général, en tant que population, les enfants n’étaient tout simplement pas pris en compte dans les préoccupations politiques ou économiques. En tant qu’individus, ils étaient souvent ignorés, maltraités voire exploités brutalement) et il nous est à peu près impossible de concevoir ce qu’il en serait des mentalités de populations à la durée de vie très longue.
Pourtant, j’invite à considérer qu’un recul encore très important de la proportion d’enfants dans la population ne serait pas forcément une source de difficultés globales.
– En effet, dans un passé relativement récent, de la fin du XVIIIes à nos jours, les sociétés humaines des pays les plus industrialisés et développés ont vu la part des plus jeunes dans leur population diminuer de manière régulière (le mouvement n’est d’ailleurs pas terminé). Voyez par exemple ci-dessous la suite des pyramides des âges de la population de la France de 50 ans en 50 ans de 1800 à 1950. Puis observez la pyramide contemporaine (2000).
(Source : http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1259/publi_pdf1_articlespe_11.pdf)
(Source : http://ww3.ac-poitiers.fr/hist_geo/lp/bac1/sommdocs/pagedoc/popsoc/pyra2000.htm)
La part des moins de 20 ans n’a cessé de diminuer depuis plus de deux siècles, passant progressivement de près de 50% à près de 25% :
– 1750 : ≈ 50 %[1]
– 1800 : 41 %[2]
– 1850 : 38,4 %[3]
– 1900 : 34 %[4]
– 1950 : 30,1 %[5]
– 2012 : 24,5 %
– 2060 : 22 % ?[6]
La France, longtemps première puissance d’Europe par sa population, a été particulièrement précoce à entamer sa transition démographique mais ceci vaut pour tous les pays industrialisés et a commencé à se réaliser quasiment partout dans le monde.
Or, nulle part ceci ne s’est traduit par des effondrements de civilisation. Cette évolution n’a pas même entraîné ces sociétés vers davantage de conservatisme. Au contraire, sous l’effet des progrès du savoir et de l’instruction, les sociétés modernes se sont grandement libérées des pesanteurs anciennes. Au sens général et positif du terme, elles se sont libéralisées et sont devenues bien plus dynamiques. La jeunesse en âge d’une population n’est donc pas un gage de son dynamisme culturel ou économique.
– Pareillement, contrairement à une autre idée reçue et fermement ancrée, l’âge de la plus grande créativité n’est pas forcément celui du jeune âge (Coeurnelle, p. 194). Si dans certains domaines, comme l’expression artistique par exemple, les mouvements novateurs ont souvent été le fait de jeunes adultes, dans le domaine des sciences par contre, et génies exceptionnels mis à part, la pleine maîtrise de connaissances complexes semble plus souvent nécessaire. La moindre part de jeunes gens ne devrait donc pas affecter la capacité de nos sociétés à développer les solutions qui pourront nous permettre d’affronter les défis que nous réserve l’avenir.
Par ailleurs, dans la perspective d’une bien meilleure compréhension, puis d’une maîtrise technique et donc d’une éventuelle amélioration de nos facultés cognitives, nous ne pouvons pas savoir ce dont sera capable la créativité des individus dans les générations à venir, indépendamment de leur âge.
[1] http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/France_population/185980
[2] http://cudep.u-bordeaux4.fr/sites/cudep/IMG/pdf/La_population_de_la_France-2.pdf
[3] http://cudep.u-bordeaux4.fr/sites/cudep/IMG/pdf/La_population_de_la_France-2.pdf
[4] http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/France_population/185980
[5] http://portail.documentation.developpement-durable.gouv.fr/documents/CETTEXST005344/02Vieillissement.pdf
[6] INSEE : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=T12F032
Marc Roux
1ère partie : Le choix d’une vie très longue en bonne santé : pourquoi ?
2ème partie : Effets possibles sur notre psychologie d’une vie très longue
3ème partie : Effets possibles en terme de démographie d’une vie très longue
4ème partie : Effets économiques possibles d’une vie très longue
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