Transhumain : homme augmenté, amélioré ou… prolongé ?

Considérer que la science et la technologie peuvent être l’occasion d’une amélioration morale et de nos de conditions de vie, amène à s’interroger sur la façon dont ces progrès seront utilisés.

Publié le 23 avril 2013, par dans « Homme augmenté »

Loin de souhaiter la “mécanisation morale de l’homme”, le transhumanisme francophone considère que c’est avant tout la volonté qui fait l’homme. La médecine, la technique, ne sont que des moyens. Un transhumanisme responsable et porteur de valeurs humaines ne saurait se penser que depuis des valeurs éthiques fondamentales

Le débat fait rage concernant la question du transhumain. Plusieurs conceptions s’affrontent afin de déterminer quel sera l’homme de demain. Quel avenir préparons-nous à l’aube des prochaines avancées techniques et scientifiques, ou dit autrement, grâce aux avancées des NBIC ?

La crainte majeure réside dans la possibilité inédite de parvenir à un être humain qui n’aurait plus rien à voir avec ce que nous avons connu. La peur de la scission radicale avec l’homme, et par là avec l’humanité, alimente le questionnement médiatique. D’aucuns diront que cette peur est injustifiée, il y a de nombreux précédents venant nous interpeller sur les retombées possibles de progrès technologiques.

Mais avant toute chose, rappelons que depuis l’origine, depuis la sortie progressive de notre état animal et notre évolution versune forme de conscience du monde plus élaborée, l’homme a toujours pu, avec une simple pierre, tuer son voisin ou faire du feu pour protéger, réchauffer et nourrir ses congénères. Si l’on considère l’outil premier qu’est la main, la même conclusion s’impose. Ce qui fait sens est donc la volonté qui guide l’homme à faire une action bonne ou nuisible. Cette dimension existe et existera probablement toujours. Est-ce un motif suffisant pour arrêter et condamner toute forme de progrès ? Pour autant, on ne peut ignorer les avertissements et craintes de certains, dans le sens où les nouveaux moyens qui se profilent pourraient être des armes d’avilissement de l’humanité. L’envie de destruction, de pouvoir, de manipulation sont des caractéristiques bien humaines. N’est-ce pas plutôt de cela dont certains ont peur, plus que de l’arrivée de progrès propres à « prolonger » notre vie et notre condition ?

Il s’agit d’envisager les possibilités qu’offrent les NBIC en examinant la terminologie employée pour définir l’homme de demain. Nous choisissons aujourd’hui de parler de l’Homme augmenté et de l’Homme amélioré. Ces deux assertions tout en décrivant une éventuelle réalité future sont aussi sources de débat, nous verrons pourquoi. Y aurait-il d’autres façons de nommer l’homme de demain, tout en restant dans une continuité identitaire ?

L’Homme augmenté ou l’Homme machine ?

Par Homme augmenté on entend généralement l’Homme en tant qu’il accède à une forme « plus » de ses possibilités physiques et cognitives. Un Homme augmenté serait donc un être dont les capacités ont évolué quantitativement. Cette vision du transhumain n’est pas fausse, mais on en aperçoit vite les  limites si on l’interroge du point de vue éthique. Que serait un Homme qui pourrait à loisir se modifier tel une voiture de tunning dont on tente de booster, toujours plus, les performances ? Se joue donc la question de la course à la performance. Si comme le disait Ricoeur, « le désir est toujours le désir d’autre chose », il est à parier que la course à l’augmentation pourrait aboutir à une mécanisation de l’Homme.

De même, on parle de « réalité augmentée » dans laquelle l’homme évoluerait grâce à toutes ses augmentations. Il est intéressant de noter que cette terminologie est déjà employée dans les jeux vidéos, afin de décrire la réalité dans laquelle le personnage évolue quand il se sert de ses augmentations physiques et ou cognitives. On pensera par exemple au jeu vidéo Deus Ex dans lequel le héros Néthan peut, grâce à des artifices technologiques, accéder à une réalité dite « augmentée ». Le personnage est dans ce jeu défini comme « augmenté », car il a de nouvelles capacités motrices grâce à ses implants. Il accède donc à une perception plus fine de certains éléments de la réalité et a des capacités physiques plus importantes. Mais peut-on parler de réalité augmentée ? Qu’ y a-t-il de plus dans le monde l’entourant qui ne s’y trouvait pas avant ? Rien. Néthan reste dans le même monde, il a juste une perception différente de son environnement ainsi qu’un potentiel physique plus grand.

Pour revenir à notre réalité, on peut dire quid des lunettes Google, quid des implants nanos, quid des extensions physiques diverses et variées. Si on veut parler de réalité augmentée, il s’agirait de dire pour un myope que dès lors qu’il met ses lunettes, il a accès à une réalité augmentée. Mais alors si on peut se servir de ce concept pour tout, on ne s’en sert pour rien de neuf.

Si par réalité augmentée on entend une perception plus fine de notre environnement, on ne dit rien de plus qui n’existait déjà. La question semble aussi qualitative : Ne se passe(rait)-il pourtant pas quelque chose grâce à ces implants issus des NBIC ? S’il n’y a pas de saut quantitatif, n’y a-t-il pas  un saut qualitatif ?

L’Homme amélioré ou le sur-Homme ?

Si l’Homme est capable de « plus » grâce aux NBIC, si cela ne doit pas pour autant en faire une machine, est-il capable de mieux ? C’est ce que sous entend l’assertion « d’Homme amélioré ». L’Homme amélioré serait incontestablement un homme mieux adapté et en mesure d’agir mieux pour lui, pour autrui, pour son environnement. Pourtant, si on ne peut affirmer que l’homme se dirige vers une mécanisation existentielle (sans réduire les NBIC à des augmentations quantitatives), on ne peut non plus verser dans le pendant inverse consistant à promettre un homme meilleur.

Le transhumain ne serait pas uniquement un  « Homme plus », mais pas encore un « Homme mieux »… En effet, on peut à juste titre se demander comment les NBIC permettraient, nécessairement, d’accéder à une forme améliorée de l’être humain ? En quoi l’Homme deviendrait-il plus vertueux, plus aimable, aimant, compatissant, responsable ? Les NBIC ne sont pas le soma annoncé par Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Ce n’est pas, uniquement,  à coup de technologie que l’on va enterrer notre propension à être nuisible pour soi, autrui et tout ce qui fait monde.

En parlant d’Homme augmenté on craint de plonger dans une mécanisation existentielle, ce qui induirait un vide qualitatif. Seulement l’évolution quantitative de l’Homme ne le conduira pas non plus, nécessairement, à une meilleure éthique. Certes, du point de vue factuel, nous pourrions être en mesure de faire plus et peut-être mieux, mais cette perspective n’annule toujours pas l’acteur de l’action. Acteur qui pourra toujours tuer ou être bon avec sa main, peu importe si elle est bionique, peu importe si des nano-puces sont implantées dans son cerveau.

Entendons bien, que les progrès techniques et scientifiques, pourraient nous permettre de vivre “mieux” (pour l’individu et pour le groupe). Cependant, il est important de rétablir une hiérarchie des valeurs. C’est bien l’homme qui doit décider, depuis des valeurs bonnes, de la façon dont il veut disposer de ses outils. Les outils que sont les NBIC ne sauraient devenir but et fin.

Afin de ne pas perdre de vue qu’il s’agit toujours de l’Homme, peut-être pouvons-nous envisager une autre assertion pour parler de l’Homme de demain. Envisageons le transuhmain portant notre héritage “gène-éthique”. Un transhumain ayant une apparence qui soit, sinon idem, dans la continuité de la nôtre. Un transhumain porteur de nos valeurs, qui sont elles pour le coup, toujours à améliorer. En somme ne souhaitons nous pas voir advenir « l’Homme prolongé » ?

L’Homme prolongé ou l’Homme de la continuité ?

D’une part, les NBIC ne sauraient à elles seules « produire » un homme augmenté ou « créer » un homme amélioré. D’autre part nous ne le souhaitons pas. Que souhaitons-nous ? La majorité des personnes ayant peur du transhumanisme ne condamnent pas le progrès scientifique, ils craignent les conséquences qu’il pourrait avoir. Cela est bien légitime, car nous avons tous conscience que nous sommes capables du pire et du meilleur. Pour autant, nous devons en l’occurrence avoir conscience que nous sommes le mobile de l’action et qu’il nous appartient en propre d’en penser le cadre théorique. Pourquoi le transhumanisme serait-il uniquement l’occasion de tous les phantasmes et peurs ? Pourquoi ne pourrions-nous pas envisager de poursuivre notre évolution tout en transmettant ce qui nous semble essentiel ? Pourquoi le transhumain ne serait-il pas une occasion bien concrète de transmettre l’Homme tout en le transformant ?

Le but n’est pas d’accéder à un post-humain qui n’aurait plus rien à voir tant physiquement que spirituellement avec un humain. Il s’agit de garder notre identité, tout en intégrant et choisissant les possibilités de prolonger ce que nous sommes déjà. Prolonger notre corps grâce aux nouvelles technologies. Prolonger notre évolution vers un mieux être soi-même et ensemble dans notre monde grâce à ces mêmes technologies. En somme, on part de ce qui existe déjà et on lui donne plus de latitude, on le prolonge.

L’Homme prolongé ne serait ni un être augmenté dans une réalité soi-disant augmentée, ni un être amélioré miraculeusement par le progrès scientifique. Le transhumain serait donc la prolongation de l’humain à tous les niveaux, mais surtout il prend sens à partir de notre propension naturelle à évoluer. L’Homme prolongé s’inscrit dans une continuité identitaire favorable à l’évolution maîtrisée et raisonnée.

Porte-parole de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog, chercheur affilié à l’Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET). En savoir plus