Le transhumanisme est-il vieux comme le monde ?
Vouloir transgresser les limites de la biologie humaine, pour vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé par exemple, n’est pas quelque chose de nouveau. En fait, ce désir est aussi ancien que l’humanité - un désir presque primordial, enfantin (sans connotation négative), viscéral, comme celui de voler.
Publié le 28 mars 2018, par dans « Immortalité ? • transhumanisme »
S’élever dans les cieux comme Icare, vivre plusieurs siècles comme Mathusalem : les exemples de fiction ne manquent pas pour donner à penser ces transgressions. Pas plus que les tentatives bien réelles pour les faire advenir.
L’élixir de longue vie, une obsession plurimillénaire
L’Amrita de différentes religions indiennes (ambroisie dans le monde grec) est la boisson des Dieux, qui leur confère force, immortalité et sagesse. Elle est réputée couler de statues célèbres donnant lieu à des pèlerinages ou cures.
Les Zoroastriens (VIIème siècle avant J-C) croyaient en l’existence de jus de plantes (Soma et Haoma) censés rendre immortel. On peut tout à fait imaginer qu’une petite industrie existait autour de ce genre de recettes (en général liées à des institutions religieuses, d’ailleurs).
Des métaux rares et précieux sont parfois prescrits pour prolonger la vie en bonne santé : on trouve de telles recommandations chez les disciples de Hermès Trismégiste (Egypte et Grèce antique) et jusque dans le Coran (sourate 18).
Dans l’épopée de Gilgamesh, la clé de l’immortalité est détenue par une plante épineuse vivant au fond des océans.
Les empereurs chinois furent particulièrement actifs sur le front du transhumanisme. L’histoire officielle compte de nombreux cas d’empoisonnement à l’or liquide, mixture supposément rajeunissante, généralement composée d’éléments rares et toxiques : or, plomb, mercure, arsenic, champignons exotiques… Qin Shi Huang, fondateur de la dynastie Qin (221-206 av. J-C), passa une grande partie de sa vie à financer des recherches sur la longévité. Les alchimistes chinois étaient respectés et introduits chez les puissants ; le premier cas de test clinique sur des animaux remonte à Wei Boyang, qui expérimentait sur des chiens ses potions de longue vie (IIème siècle après J-C). L’empereur Ai de Jin (361-365), décidé à ne pas vieillir, mourut à 25 ans des suites de l’ingestion d’un tel élixir.
Certains mélanges chinois de cette époque sont également conçus pour échapper à la réalité ou “flotter dans les rêves”, voire tuer un ennemi : en fait, les alchimistes sont les chimistes d’aujourd’hui.
Le recours aux condamnés à mort pour tester des élixirs d’immortalité était un procédé populaire, rapporté chez l’empereur chinois Daowu ou chez le fameux Mithridate, qui autoexpérimenta également lui-même des antipoisons.
Les élixirs chinois se confondent parfois avec des méthode de suicide – puisque l’immortalité désirée pouvait parfois se situer dans un au-delà ou monde parallèle (certains élixirs étant ainsi censés faire se volatiliser le corps).
Au moins cinq empereurs de la dynastie Tang furent tués par les promesses d’éternité de charlatans. Comme le rapporte un scribe officiel en 819 ap. J-C : “Ces dernières années, cependant, la capitale a été envahie par les pharmaciens et alchimistes… se recommandant mutuellement à grands coups d’annonces plus folles et extravagantes les unes ques les autres. Mais s’il y avait vraiment des immortels et des savants en possession du Tao, ne tairaient-ils pas leur nom et ne se cacheraient-ils pas loin des hommes, dans des montagnes isolées ? (…) Je demande humblement à ce que ces personnes qui ont des des élixirs à base de métaux et minéraux, et ceux qui les prescrivent, soient contraints d’en consommer eux-mêmes pendant un an. Une telle mesure permettrait de distinguer le vrai du faux, et mettrait automatiquement tout au clair.”
En Europe, cette quête ne cesse pas depuis le Moyen-Âge ; nombre d’alchimistes ont réellement travaillé à mettre au point la Pierre Philosophale – capable, en plus de transformer le plomb en or, de redonner la jeunesse. On l’appelle “magnum opus” cette recherche – littéralement, “le Grand Oeuvre”. Parmi ces transhumanistes européens, citons Paracelse, Cagliostro, le comte de Saint-Germain… Évidemment, nombre de ces pharmaciens sont des escrocs patentés, mais des recettes, des mixtures, des expériences très sérieuses (pour l’époque !) sont menées, parfois à grand renfort de fonds “publics” : ainsi un dénommé Dubois arrive-t-il à convaincre Richelieu et Louis XIII, avant d’être embastillé et pendu. Précisons également qu’avant l’avènement des registres d’état civil, un flou réel existait concernant la longévité humaine : des légendes circulaient, attribuant des existences extraordinairement longues à diverses célébrités.
Dissipation des mystères
L’histoire de l’Elixir Végétal de la Grande Chartreuse est assez représentative du sort des potions de jouvence au tournant du XIXème siècle : d’abord vendu sur les marchés par les moines sous le nom d’“Elixir de longue vie”, sa recette – composée de quasiment toutes les herbes médicinales de l’époque – fait l’objet d’une enquête sous Napoléon Ier, puis rejoint le bataillon des “toniques”, “fortifiants” et autres liqueurs à haute teneur en alcool. Aux Etats-Unis, l’un des premiers rôles de la FDA (Food and Drug Administration) fut ainsi d’interdire les publicités mensongères de la plupart des remèdes miracles qui garnissaient les étagères des bars sous des noms farfelus.
L’Eglise catholique actuelle semble-t-elle méfiante face à l’extension de la vie terrestre en bonne santé ? Ce n’était pas le cas de l’Abbé Soury, inventeur de sa fameuse “Jouvence”, commercialisée avec succès depuis deux siècles (toujours pas remboursée, n’ayant pas prouvé son efficacité). Sur les étiquettes, on pouvait lire “Retour d’Âge”…
Les découvertes en biochimie du XIXème et XXème siècles ne mettent aucunement un coup d’arrêt aux recherches contre la vieillesse. Chaque nouvelle avancée dans la compréhension des mécanismes de la vie apportant son lot de théories et de grands projets (sérum de Bogomoletz, tentatives de Carrel et Lindberg, transfusions de Bodganov en URSS…).
Le longévitisme n’est pas né de la dernière pluie
Aujourd’hui, la startup de San Francisco Ambrosia, qui propose des cures de sang jeune à ses patients âgés, ne fait que moderniser des pratiques qui existaient déjà au Moyen-Âge (le pape Innocent VIII reçut ainsi le sang de cinq jeunes gens) voire à l’Antiquité (où les vieux sénateurs buvaient à l’occasion le sang de jeunes gladiateurs).
Les crèmes anti-âge de 2018 et les légendaires bains au lait d’ânesse de Cléopâtre, en passant par la mixture anti-calvitie de la mère du roi Séti (4ème millénaire av. J-C) et les massages Kobido anti-rides des geishas, sont les témoins de l’une des plus vieilles préoccupations de l’humanité.
La compréhension toujours plus fine des rouages du vieillissement biologique, et de la vie en général, laisse penser que nous parviendrons un jour à nous affranchir du tribut payé au temps par notre organisme – comme nous avons déjà précédemment trompé la gravité ou la plupart des virus et bactéries.
Quoi qu’il en soit, le transhumanisme n’est pas, comme certains le prétendent, une “idéologie apparue aux Etats-Unis dans les années 1950” (François Berger) aux “valeurs ultralibérales” (Mathieu Térence), ni un “néodarwinisme dangereux” voire “la prolétarisation de tous au service d’une oligarchie” (Bernard Stiegler). C’est simplement une très ancienne et respectable aspiration humaine.
Paradoxalement, ce sont peut-être les progrès de la science et la “dissipation des mystères” qui ont fait passer cette sympathique aspiration dans le camp des “idéologies démiurgiques” (Laurent Alexandre). En effet, si au XVIème siècle personne ne pouvait réfuter qu’il existait quelque part sur Terre une fontaine de jouvence (on raconte que l’explorateur Juan Ponce de Leon la chercha activement en Floride) ou qu’untel avait vécu 800 ans (après tout, c’était dans la Bible !), aujourd’hui nous sommes bien certains que les mammifères ne dépassent pas 200 ans (la baleine boréale) et les humains 125 ans, malgré toutes les pharmacopées connues. L’ignorance nous maintenait, d’une certaine manière, dans un foisonnement des possibles baroque et multiforme. Saurons-nous retrouver l’imagination de nos Anciens ?
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