Les neurosciences pour booster l’intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle est un domaine qui intéresse beaucoup les transhumanistes, d’une part dans l’optique d’un affranchissement des tâches ingrates pour une transition laborale profitant à tous, d’autre part pour peut-être un jour envisager la création d'êtres conscients "humains" non biologiques.

Publié le 18 août 2018, par dans « Intelligence artificielle »

Cependant, les progrès sont parfois lents. On peut observer que les grandes avancées des 40 dernières années en IA dérivent toutes de modèles inspirés du cerveau humain.

L’inventeur du PalmPilot, Jeff Hawkins, s’intéresse depuis 20 ans à l’intelligence artificielle. Des recherches très poussées sont menées par son entreprise Numenta, orientée sur l’étude du cerveau des mammifères.

Cet article est une traduction originale pour Technoprog de l’article intitulé Numenta Publishes a New Theory That Could Solve the Mystery of How the Brain Transforms Sensations Into Mental Objects  

 

Numenta publie une nouvelle théorie qui pourrait résoudre le mystère de la façon dont le cerveau transforme les sensations en objets mentaux

REDWOOD CITY, CALIFORNIE. Les inputs des yeux, des oreilles ou de la peau vers le cerveau changent en permanence pendant que nous nous déplaçons. Pourtant, notre cerveau perçoit les objets qui nous entourent comme stables. Comment le cerveau détermine la structure du monde à partir d’inputs instables et changeants demeure un mystère.

Dans un nouveau papier intitulé “Une théorie sur la façon dont les colonnes du néocortex permettent l’apprentissage de la structure du monde” et publié dans le journal Frontiers in Neural Circuits, les chercheurs de Numenta proposent une nouvelle hypothèse. “L’idée de base est simple” selon Jeff Hawkins, cofondateur de Numenta. “Les théories existantes à propos du traitement des inputs sensoriels par le cerveau sont toujours valides. Nous avançons qu’un ingrédient important était manquant, et qu’avec cet ingrédient, un grand nombre de mystères concernant le cerveau peuvent être résolus.” L’article propose un couplage entre l’input sensoriel et un signal de localisation. La localisation est relative à l’objet ressenti. Par exemple, un rebord devient un rebord à un endroit particulier d’une tasse de café. Tandis que nous bougeons nos yeux et nos doigts, le cerveau définit la structure des objets en tant qu’ensemble de traits à différents endroits de l’objet.

“Les scientifiques soupçonnaient que quelque chose de similaire devait avoir lieu quelque part dans le cerveau” explique le responsable de la recherche Subutai Ahmad. “Nous avons déduit que cela se passe à travers le néocortex, dans chaque colonne corticale. La théorie prédit que même les premiers niveaux de traitement du signal, dans le cerveau, apprennent et reconnaissent des objets entiers. Cela est surprenant ; personne ne l’imaginait. Mais une fois qu’on a compris quoi chercher, on trouve des preuves étayant cette prédiction.”

Une autre conséquence inattendue de cette théorie est que le cerveau n’apprend pas simplement un modèle d’un objet, mais plusieurs modèles parallèles, puisque chaque colonne du cortex apprend des modèles entiers. La théorie montre que le mouvement des yeux et de la peau sont nécessaires pour apprendre, mais qu’après apprentissage, les objets peuvent être reconnus d’un coup d’oeil et d’un simple effleurement du doigt. Bien que chaque colonne ne puisse sentir qu’une partie de l’objet, elles peuvent aboutir à un consensus ensemble.

L’article inclut des simulations détaillées, la justification anatomique et physiologique de la théorie, et des prédictions vérifiables.

Parmi les découvertes clés de l’article :

  • Le cerveau calcule une localisation “allocentrique” des traits caractéristiques de n’importe quel objet. C’est une localisation « allocentrique » parce qu’elle est relative à l’objet, et non à l’observateur.
  • Des couches spécifiques dans chaque région corticale reçoivent en input des données sensorielles et des localisations allocentriques, et calculent des paires traits-localisation. Ces paires sont transmises à une couche de sortie, qui forment des représentations stables des objets.
  • Les connexions latérales entre colonnes corticales permettent l’échange d’informations partielles afin de reconnaître les objets plus rapidement.

Même si la théorie a été déduite de l’étude du toucher, les structures neuronales qui déterminent le signal de localisation existent dans chaque partie du néocortex, même dans les régions corticales qui traitent le langage et les pensées abstraites. Cela suggère – de manière provocante – que toutes les idées sont associées à des lieux, même si ces lieux ne correspondent pas à des lieux physiques dans le monde. Cela voudrait dire que nos cerveaux manipulent des concepts abstraits en utilisant les mêmes mécanismes que ceux que nous utilisons pour manipuler des objets physiques.[1]

“La théorie présentée dans l’article est rafraîchissante et influencera la manière dont les neuroscientifiques pensent le néocortex. L’étude offre une approche élégante pour intégrer les modalités motrices et sensorielles, et ouvre de nouvelles possibilités” selon le professeur Mehmet Fatih Yanik, de la chaire du laboratoire de neurotechnologie de l’ETH Zürich.

La nouvelle théorie est une étape importante du but global que s’est fixé Numenta, à savoir la rétro-ingénierie du néocortex. Les articles précédents de Numenta proposaient des explications concernant la manière dont les neurones font des prédictions et détectent des anomalies, sur les séquences de motifs apprises par les neurones, ou encore sur la raison pour laquelle l’activité du cerveau est clairsemée. Une part de la mission de Numenta est de faire le pont entre les mondes des neurosciences et de l’intelligence artificielle. Selon Hawkins “Nous croyons que les principes utilisés par le cerveau, y compris la théorie sensorimotrice de ce nouvel article, seront essentiels pour créer une intelligence artificielle générale et de la robotique sophistiquée.”

Le secret de l’IA forte

Dans un éditorial publiés dans Medium, Hawkins décrit l’importance de la nouvelle théorie dans les progrès de l’IA générale. Il évoque également les impasses et insuffisances des techniques d’IA actuelles comme le deep learning ou les réseaux de neurones artificiels – comme l’ont noté de nombreux autres leaders de l’industrie et de la tech.

Reproduction des résultats scientifiques

Pour permettre à d’autres chercheurs de reproduire ces résultats, Numenta a créé un GitHub où figurent le code source, les données, et les scripts utilisés dans l’article. Plus d’informations et une vidéo peuvent être trouvées ici.

Cette vidéo démontre comment les colonnes corticales peuvent utiliser l’information de localisation pour former des modèles prédictifs robustes d’objets. Bien que la vidéo parle du toucher, le même mécanisme peut être appliqué à tous les récepteurs sensoriels.

A propos de Numenta

Les scientifiques et les ingénieurs de Numenta travaillent sur l’un des grands défis de la science : comment le cerveau fonctionne et comment les principes du cerveau seront utilisés dans l’intelligence artificielle. Fondée en 2005, Numenta développe une théorie du fonctionnement du néocortex. Nous créons des technologies logicielles basées sur cette théorie et les appliquons à des applications d’apprentissage machine avec transmission de données en continu. Numenta publie ses progrès dans des revues scientifiques et rend public l’ensemble de son code dans un projet open source.

Citation:

* Hawkins, J., Ahmad, S., and Cui, Y. (2017). A Theory of How Columns in the Neocortex Enable Learning the Structure of the World. Front. Neural Circuits 11, 81. doi:10.3389/FNCIR.2017.00081.

Contacts
Krause Taylor Associates
Betty Taylor, 408-981-7551
bettyt@krause-taylor.com


[1] Remarque du traducteur – Henri Laborit, dans Biologie et Structure, rappelle à quel point notre langage est contaminé par le spatial, la localisation. Ainsi nous pouvons dire “en général” (“dans” le général), “les essais sur la démocratie” (comme “sur” une table ou un trottoir !)

 

 

 

Porte-parole de l'AFT