La liberté dans l’usage des biotechnologies
Lorsque le premier homme utilisa un bâton pointu pour tuer un animal afin de se nourrir, il commença à se libérer des contraintes biologiques et naturelles.
Publié le 27 février 2009, par dans « Homme augmenté • Question sociale • Risques • transhumanisme »
Cette libération progressive se poursuivit avec d’autres inventions comme le feu, la roue, la domestication des animaux, l’agriculture, la métallurgie, la construction des villes, le textile, l’écriture, le moteur à explosion, l’énergie électrique, les antibiotiques, les vaccins, les transplantations d’organes et la contraception. Cette énumération qui balaye très rapidement les inventions utilisées par l’homme depuis son origine se trouve dans l’introduction de Liberation Biology de Ronald Bailey.
Ce que l’auteur souhaite ici montrer, c’est que depuis sa naissance l’homme a eu pour but de se libérer de tout ce qui le contraignait en étendant ses capacités naturelles par le biais de la technologie.
En effet, grâce à certaines découvertes comme le feu, les outils et l’agriculture, les premiers hommes sont passés d’un état où leurs conditions de vie étaient précaires à une situation où leur longévité se rallongeait et où ils pouvaient commencer à se préoccuper d’autre chose que leur simple survie. Dès lors, de nombreux autres progrès firent leur apparition et permirent à l’humanité d’évoluer jusqu’à la forme qu’elle a aujourd’hui. Cette notion d’évolution implique ici une idée de progrès, car en effet, les conditions de vie de l’homme depuis ses origines se sont nettement améliorées.
Cependant, l’histoire nous a montré que l’avancée des technologies n’était pas nécessairement synonyme de progrès dans la mesure où son usage a pu être destructeur. Des exemples tels que les armes à feux, les gaz de combat et d’extermination ou encore l’arme nucléaire nous montrent que certaines inventions ont été créées intentionnellement dans le but de détruire la vie humaine.
D’autre part, certaines technologies se sont révélées être d’une immense utilité pour les hommes, comme par exemple les industries lourdes, la chimie et le moteur à explosion mais leur usage sur le long terme nous a montré qu’il y avait certaines contreparties aux bénéfices qu’elles produisaient.
En effet, la pollution de la planète par les déchets industriels, les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique ont illustré jusqu’à aujourd’hui les dangers que représentent un usage excessif et non-encadré de ces technologies. Et il en va de même pour certaines avancées médicales récentes. En effet, l’usage de certaines technologies dans le domaine de la santé et du corps posent problème dans la mesure où certains les jugent contraires à l’éthique, à leurs convictions religieuses ou tout simplement dangereuses.
Mais le cas de ces technologies est plus complexe que celui des autres avancées car la plupart n’en sont qu’au stade expérimental. En effet, alors qu’il est assez aisé d’étudier l’impact des automobiles ou des déchets nucléaires sur la nature ou la santé, les données concernant l’effet que peuvent avoir la modification génétique d’un fœtus sur son développement physique et psychologique ou la modification cérébrale par l’absorption de certaines substances sur le reste du corps humains sont peu nombreuses. Cette absence d’informations et d’études rend donc la décision d’utiliser ces nouvelles technologies très difficile à prendre.
Dès lors, il apparaît naturel qu’il devrait y avoir davantage d’études menées sur ces potentielles technologies afin que l’on puisse décider de les utiliser ou non. Mais cela n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. En effet, certaines recherches dans le domaine des biotechnologies ont été interdites car jugées trop dangereuses ou contraires à l’éthique.
Par biotechnologies, nous entendons toutes les techniques qui visent à modifier des êtres vivants par le biais de certaines sciences comme la microbiologie (l’étude des micro-organismes), la biochimie (l’étude des réactions chimiques ayant lieu au sein des cellules), la génétique (qui étudie les fonctions chimiques inhérentes aux gènes), la biologie moléculaire (qui étudie les mécanismes de fonctionnement de la cellule au niveau moléculaire) et l’informatique.
Ces modifications tendent à améliorer les êtres vivants et plus particulièrement les êtres humains dans le but de les libérer de leurs contraintes naturelles et physiques, par exemple en intervenant sur leurs gènes en vue de supprimer une maladie congénitale ou de leur donner de nouvelles capacités comme la résistance aux virus.
Mais comme nous l’avons dit, ces nouvelles technologies sont un sujet de controverse. En effet, comme pour beaucoup de technologies qui ont vu le jour jusqu’à présent, certaines personnes estiment qu’elles sont nuisibles à la société et aux individus et qu’ils ne faudrait donc pas autoriser leur utilisation ni même poursuivre des recherches dans ces domaines.
Cependant, ces techniques n’en sont encore qu’au stade expérimental pour un bon nombre et lorsque l’on parle d’en interdire l’usage il s’agit donc de proscrire des technologies qui n’existent pas encore et dont, par conséquent, nous n’avons pas une connaissance complète. La question de restreindre l’usage des biotechnologies porte donc nécessairement davantage sur le plan théorique et concerne principalement le domaine moral, éthique et législatif.
Néanmoins, certaines objections semblent porter au contraire sur des principes bien différents. En effet, lorsque l’on évoque la possibilité de modifier génétiquement un fœtus, un adulte ou même un animal, de transformer un être humain pour le rendre plus intelligent, plus fort et plus résistant ou de modifier notre corps en vue d’acquérir de nouvelles facultés qui pourraient nous rendre plus heureux, la réaction de certaines personnes est similaire. Elles trouvent ces pratiques dérangeantes, dégoutantes, inutiles ou malsaines et plus particulièrement contre-nature ou même allant contre la volonté de Dieu.
Mais ce qui est problématique ici c’est que l’on ne peut nullement prendre des décisions politiques qui concernent la santé, le bien-être et la liberté des citoyens en se fondant sur de tels principes. Au contraire, il paraît être de bon sens de prendre des décisions législatrices et d’une aussi grande importance en ayant pour fondement une réflexion rationnelle et réfléchie sur la question, sans prendre en compte des arguments religieux ou provenant de l’opinion personnelle.
Ainsi, il semble que dans le cas des biotechnologies il est plus que nécessaire de se demander selon quels principes il serait possible d’interdire ou d’autoriser leur usage. C’est pourquoi le travail que nous allons effectuer consiste en une série de notes de synthèse concernant l’usage de ces biotechnologies. Nous nous baserons principalement sur trois ouvrages récents d’auteurs qui sont en faveur du libre usage de ces nouvelles techniques. Il s’agit de Enhancing Evolution de John Harris, Citizen Cyborg de James Hughes et Liberation Biology de Ronald Bailey.
Nous verrons donc dans un premier temps comment ces auteurs traitent la question de la liberté reproductive dans l’usage des biotechnologies. Puis, cette question nous conduira à examiner quel rôle joue le droit d’user de son propre corps librement dans l’usage de ces nouvelles technologies. Et enfin, après avoir étudié ces questions de façon rationnelle, il faudra déterminer si l’on peut établir des limites à cet usage.
Quoi qu’il en soit, l’enjeu de ces interrogations est d’une grande importance puisqu’il permettra de jeter un regard différent sur les biotechnologies mais aussi d’aborder les différents problèmes éthiques et politiques qu’elles posent sans se fonder sur des conceptions qui ne relèvent que de l’opinion personnelle ou de la croyance. De plus, les réponses que nous tenterons de donner à ces questions déterminerons notre façon de concevoir l’être humain, l’homme, le monde dans lequel nous vivons et le rôle que nous jouons dans celui-ci.
La liberté de reproduction et l’usage des biotechnologies
Afin de déterminer quelle est la liberté que nous pouvons avoir dans l’usage des biotechnologies, nous pouvons commencer par étudier le cas de la liberté de reproduction. En effet, c’est par cela que commence John Harris dans le chapitre V de Enhancing Evolution.
L’argument de ce dernier part de l’affirmation que dans une démocratie libérale, une décision qui empêcherait les individus d’agir d’une certaine façon ne devrait être prise que dans la mesure où les actions et les choix de ces individus entraîneraient de façon suffisamment certaine un réel danger pour la société ou autrui.
En effet, Harris considère à la page 72 que « les citoyens devraient être libres de faire leurs propres choix à la lumière de leurs valeurs personnelles, que ces choix et ces valeurs soient ou non acceptables par la majorité » et que « seul un danger réel et immédiat pour les autres citoyens ou la société sont suffisants pour empêcher cette présomption ». Selon l’auteur, si l’on accepte autre chose que ce critère, « la liberté est morte ».
Ici, il est clair que la conception libérale de la liberté individuelle implique que l’on ne devrait pas refuser à un individu la possibilité de faire certaines choses à moins qu’elles ne soient clairement nuisibles à autrui ou à la société. Dès lors, il semble que la liberté d’utiliser les biotechnologies ne devrait pas être empêchée uniquement du fait que certains les considèrent comme repoussantes ou contraires à leur opinion personnelle. En effet, cela constituerait dans ce cas ce que John Stuart Mill appelle la « tyrannie de la majorité ».
Cette conception libérale implique donc que si l’on souhaite retreindre la liberté des individus, on ne peut pas se fonder sur des arguments qui ne prouvent pas un certain risque et des dommages réels. Cependant, cela signifie également que le « fardeau de la preuve » selon l’expression de Harris, doit être porté par ceux qui souhaitent restreindre cette liberté et non par ceux qui la défendent. Ce point est essentiel car dans de nombreux cas c’est la situation inverse qui se produit. Des décisions sont alors prises par la majorité en vertu de certains principes et c’est à la minorité que revient la lourde tâche de fournir des arguments montrant que ces décisions ne sont pas justifiées.
Dans le cas des technologies reproductrices et selon Harris, c’est ce principe qui devrait être appliqué afin de permettre à ceux qui le souhaitent d’utiliser librement ces techniques pour avoir des enfants. Dès lors, c’est uniquement après avoir prouvé que ces techniques présentent un réel danger pour les enfants nés grâce à leur usage qu’il serait possible de les interdire.
Mais l’argument développé par Harris à la page 78 consiste également à dire que la liberté de se reproduire est un droit fondamental qui doit impérativement être respecté. En effet, le droit d’avoir des enfants librement est une liberté qui ne saurait de nos jours être niée. Or, cette liberté de reproduction est du même type que celle qui consiste à vivre en accord avec nos convictions profondes et selon nos propres choix. Dès lors, la liberté de se reproduire contient en elle-même ces libertés et ne peut pleinement s’exercer qu’à condition de respecter les convictions et les choix personnels des individus.
Il semble donc qu’à fin de respecter la liberté de se reproduire, il faut également respecter ces libertés. Et c’est ici que l’on rejoint la liberté d’utiliser les biotechnologies dans la procréation puisqu’il s’agit alors de se reproduire selon des convictions profondes, comme par exemple le fait d’estimer qu’il est un devoir pour les parents, dans la mesure où des techniques médicales sont à leur portée, de garantir à leur enfant une existence préservée de la maladie et ce, même s’il est nécessaire pour cela de modifier génétiquement leur progéniture.
L’usage des biotechnologies constitue-t-il une atteinte à la liberté des futurs enfants?
Il existe une objection à la liberté d’user des biotechnologies qui consiste à dire que leur utilisation dans la reproduction, comme par exemple les modifications génétiques sur les fœtus ou les embryons constitue une atteinte à la liberté de ces derniers. Cette idée provient en partie du fait que nous avons certaines obligations envers les futures générations. C’est ce qu’exprime Harris à la page 79 lorsqu’il affirme que nous avons l’obligation de ne pas léguer à nos descendants un environnement dégradé et que nous avons également certains devoirs concernant leur héritage génétique.
Quoi qu’il en soit, tout ce que nous faisons dans le présent aura une influence sur le futur et en ce sens il convient, afin de pouvoir user des biotechnologies et des technologies reproductrices de façon libre, de ne pas agir d’une manière qui puisse nuire aux futures générations car ce serait là le seul empêchement à l’autorisation de ces techniques. Mais ce que Harris tente de montrer, c’est qu’il existe deux façons de nuire et de porter préjudice.
D’une part, nous pouvons nuire en agissant de manière « positive », en modifiant délibérément certaines choses qui entraineraient des dommages dans l’avenir.
Mais d’autre part, il est possible d’atteindre le même résultat en « laissant les choses telles qu’elles sont, tout en sachant qu’il en résultera un dommage », c’est-à-dire en agissant de manière « négative ».
Ici, c’est clairement l’argument contre l’usage des technologies reproductives qui est retourné puisqu’il n’est alors plus possible de considérer qu’il faut interdire leur usage en vertu du fait qu’elles pourraient nuire aux futures générations. En effet, il est également valable de considérer que le fait de ne pas intervenir pour modifier certains caractères génétiques défectueux de nos descendances est aussi une façon de leur porter atteinte.
Dès lors, l’argument d’interdire l’usage des technologies reproductives ne peut plus se baser sur le fait que nous avons certaines obligations envers ceux qui viendrons après nous puisque le fait d’agir pour modifier une chose n’est pas moralement différent du fait de ne pas agir tout en sachant les conséquences que cela aura.
Mais il existe un autre argument qui consiste à dire que nous n’avons pas le droit de modifier les caractéristiques génétiques de nos enfants car cela reviendrait à les priver de leur liberté de choisir et serait une décision prise sans leur consentement.
La réponse de Harris aux pages 81 à 85 et 137 à 142 de Enhancing Evolution nous montre dans un premier temps que la notion de consentement de l’enfant n’est pas applicable pour déterminer si l’usage des technologies reproductrices est légitime car cet argument est totalement absurde. En effet, cela reviendrait à dire qu’il ne faut pas intervenir sur un enfant pour modifier ses caractéristiques avant sa naissance car il faudrait alors agir sans son consentement.
Cependant, nous voyons bien que cet argument ne tient pas puisque si l’on demandait l’accord d’un enfant pour chaque décision que l’on prend pour lui, il ne survivrait pas à la première journée de sa vie car il serait incapable de nous répondre. Et cela reste vrai tout au long du début de sa vie, même quand il n’est plus un nourrisson.
Rappelons en effet que dès sa naissance, un enfant doit subir un certain nombre d’interventions médicales sans lesquelles il ne pourrait pas survivre et que par la suite, certaines interventions qui émanent directement de la volonté des parents comme le fait de vacciner leur enfant ou de l’opérer des végétations, de l’appendicite ou de pratiquer toute autre intervention se révèle plus que nécessaire à son bien-être et à sa santé. Ces interventions représentent alors un risque pour l’enfant mais dans ce cas il apparaît que nous agissons pour eux uniquement dans leur intérêt et dans le but de leur éviter le maximum de souffrance et de dommages futurs.
Dans un second temps, Harris se concentre sur une autre réponse possible à l’argument qui soutient que l’usage des technologies reproductrices comme les intervention génétiques sur un fœtus doivent être interdites. En effet, il s’agit d’examiner le cas où l’on devrait intervenir médicalement sur un individu mais sans avoir son consentement préalable du fait que celui-ci est un enfant ou est inconscient, ou même incapable de prendre une décision.
Dans une telle situation, les médecins jugent cette personne « présumée consentante » afin de lui administrer des soins. Et il apparaît que cela est complètement justifié car il s’agit alors d’agir dans l’intérêt de cette personne. De plus, le fait de ne rien tenter pour améliorer son état et de ne pas intervenir sur elle reviendrait à lui porter préjudice de façon délibérée.
En procédant par analogie, il est donc clair que l’on ne peut pas interdire l’usage de certaines technologies en matière de reproduction simplement du fait que celles-ci sont jugées incompatibles avec la liberté des enfants ou des fœtus, car d’une part nous leur causerions certains dommages en ne tentant pas d’intervenir sur eux et d’autre part, il faudrait alors interdire toute forme de décision prise par les parents pour le bien de leurs enfants.
Mais il reste néanmoins toujours possible d’objecter que dans certains cas, les choix que font les parents pour modifier génétiquement certains caractères de leur enfant ne sont pas uniquement restreints au domaine de la santé mais s’étendent à celui de l’apparence physique ou consistent à donner aux enfants des capacités qu’ils n’auraient pas naturellement. De ce fait, on pourrait considérer que cela reviendrait à priver les enfants d’une part de leur liberté puisqu’ils n’auraient pas choisi ces caractères ou ces capacités et qu’ils ne pourraient pas mener leur existence de façon autonome.
C’est notamment un des arguments avancés par le philosophe allemand Jürgen Habermas. En effet, celui-ci considère que les modifications apportées au génome humain constitueraient une privation de la liberté des futures générations en tant qu’elles ne leur laisserait pas une autonomie dans leurs choix.
Afin d’examiner cette question, nous pouvons prendre l’exemple où des parents souhaiteraient modifier les gènes de leur futur enfant afin que celui-ci ait les yeux bleus.
En dépit de l’utilité réelle d’une telle modification, il faut se demander ce qui pourrait interdire aux parents la liberté d’intervenir ainsi sur leur enfant. Car si l’intervention était sans douleur ni aucune mauvaise conséquence sur l’organisme, il ne resterait comme objection que le fait que cela déterminerait pour toujours et de façon autoritaire un caractère de l’enfant.
Cependant, il apparaît que nous n’agissons pas différemment lorsque nous éduquons nos enfants. En effet, l’éducation consiste à prendre quotidiennement toutes sortes de décisions pour eux. Nous accomplissons alors de nombreuses choses comme par exemple le fait de les nourrir, de les habiller, de les éduquer selon certains principes que nous estimons être bons et parfois même nous les endoctrinons dans une religions ou nous leur transmettons certains de nos préjugés. De plus, il arrive que nous les laissions faire certaines choses dangereuses comme traverser une route seuls ou jouer à proximité d’éléments potentiellement dangereux.
La question qui se pose alors est de savoir ce qui nous autorise à agir ainsi. En effet, lorsque nous intervenons dans la vie et le développement d’un enfant par le biais de l’éducation, nous déterminons également certaines caractéristiques constitutives de sa personne. De plus, il semble que ces interventions sont bien plus déterminantes pour la personnalité et le développement autonome de cet enfant que le simple fait de choisir la couleur de ses yeux.
Il est en effet évident qu’un enfant sera davantage influencé par les valeurs qui lui ont été inculquées depuis sa naissance que par le simple fait d’avoir les yeux d’une couleur plutôt que d’une autre et même par la connaissance du fait que ses parents sont intervenus dans la détermination de ce caractère.
Il est donc paradoxal que l’on autorise les parents à influencer la personnalité et le développement autonome de leurs enfants par le biais de l’éducation mais qu’on ne leur donne pas la liberté de choisir certains éléments physiques de leur progéniture, même lorsque cela pourrait leur offrir une vie libérée de certaines maladies.
En effet, il semble que l’argument principal contre l’exercice d’une telle liberté se fonde sur le fait que modifier le génome d’un fœtus reviendrait à priver le futur enfant de toute liberté en déterminant ses caractéristiques génétiques. Cependant, comme le souligne Ronald Bailey à la page 164 de Liberation Biology, la liberté humaine ne repose pas sur le caractère aléatoire de nos gènes. En effet, cela serait absurde de dire que notre liberté serait bafouée par une définition préalable de notre génome puisque « nous sommes déjà préprogrammés par le fait que nos gènes nous sont conférés de façon aléatoire ».
En conclusion, nous pouvons donc considérer que la liberté d’utiliser les technologies reproductrices et les biotechnologies ne devrait pas être empêchée du fait que cela consisterait à priver les enfants de leur liberté de choisir et de se déterminer de façon autonome, ni parce qu’ils n’auraient pas donné leur consentement ou que cela déterminerait de façon arbitraire leurs caractères génétiques.
En effet, il est évident que l’on ne demande pas non plus leur consentement aux enfants pour le fait de ne pas les modifier génétiquement, ni même lorsque nous les éduquons ou que nous prenons quotidiennement des décisions pour leur bien. Tout ce que nous ferions si nous déterminions certains éléments constitutifs de leur personnalité, de leur apparence ou de leur santé ne serait que la même chose que nous faisons actuellement en nous reproduisant, à l’exception que dans le cas des interventions génétiques nous saurions quels gènes nous avons conféré à nos enfants.
Il semble donc que le fait d’interdire l’usage des biotechnologies ne peut pas reposer sur de tels principes. En effet, si la liberté et l’autonomie de l’enfant ne sont pas violées par l’usage de ces techniques et s’il n’en résulte aucun mal évident pour eux, il n’est pas légitime d’en interdire le libre accès au parents. Au contraire, il apparaît que c’est davantage l’attitude qui vise à interdire les biotechnologies dans la reproduction qui prive les parents et leurs enfants de leur liberté puisqu’elle leur refuse le droit de se prémunir contre la maladie ou d’user librement de leurs corps.
Réflexion sur le statut du fœtus
Lorsque l’on traite de la liberté d’utiliser les technologies reproductrices ou les biotechnologies, il faut avant tout définir quel est le statut d’un fœtus. En effet, la réponse à cette question est déterminante dans le choix d’autoriser ou non des interventions génétiques sur un tel être.
Il s’agit donc de déterminer avant tout si un fœtus ou un embryon sont des êtres humains à part entière, des personnes, ou s’ils ne sont que des propriétés de leurs concepteurs, autrement dit de leurs parents.
Cela nous conduira à nous demander s’il existe de réelles objections à la liberté d’avorter ou de modifier certains éléments constituants des fœtus et des embryons.
Mais nous verrons également que le statut du fœtus ne se définit pas uniquement de façon ontologique, en étudiant ce qu’il est mais plutôt par rapport au corps de sa mère. Cette dernière attitude relève d’une vision anthropocentrique mais elle permet néanmoins de formuler des arguments forts contre l’interdiction de l’avortement. Mais tout ceci nous amènera également à déterminer quel rôle joue la liberté d’utiliser notre corps dans la liberté d’user des biotechnologies.
Cette réflexion sur le statut du fœtus et de ses formes antérieures est notamment développée par James Hughes dans Citizen Cyborg aux pages 87 à 89. Dans celles-ci, l’auteur ne se concentre pourtant pas de façon ontologique sur ce qu’est réellement un fœtus ni sur ses capacités mais il cherche à définir si le statut d’un tel être peut ou non être problématique dans la liberté d’avorter et, par conséquent, dans celle de modifier génétiquement cet être.
En effet, tout l’enjeu ici vient du fait que s’il apparaît qu’une mère a le droit de supprimer cet être humain potentiel qu’elle porte en elle, le droit d’en déterminer certaines caractéristiques est alors beaucoup moins problématique.
La thèse de James Hughes soutient donc que « aussi longtemps que l’embryon est à l’intérieur du corps d’une femme, le problème n’est pas tant que cet embryon soit une personne ou la propriété de la mère ». En effet, il ne s’agit pas ici de déterminer si l’embryon est une personne, c’est-à-dire un être qui a conscience de lui-même, qui ressent des émotions et qui a des sensations mais aussi qui agit en fonction de ses intérêts. Il ne s’agit pas non plus de savoir s’il est une propriété de la mère et si par conséquent il n’est pas une personne et n’a aucun droit.
Le problème ne se situe donc pas à ce niveau mais porte davantage sur le fait que cette mère possède un droit inaliénable sur son corps. Dès lors, la question ne se pose plus puisqu’elle a, comme toute autre personne, la liberté de se servir de son corps et de ne pas accepter que quelqu’un d’autre l’utilise sans sa permission. Et ce droit s’applique selon Hughes « même si votre corps pouvait sauver la vie de quelqu’un d’autre ». En effet, dans le cas où l’on nierait ce droit à un individu, nous pourrions, comme le montre l’auteur, nous servir des organes de cette personne sans lui demander son accord, uniquement en vertu du fait qu’une autre personne mourra si elle ne reçoit pas ces organes.
Le problème n’est donc pas ici de déterminer si le fœtus est une personne légale. En effet, même si tel était le cas on ne saurait refuser à une femme le droit d’user de son corps librement en lui interdisant d’avorter et en l’obligeant à enfanter contre sa volonté.
Le fait est que la liberté d’une femme de contrôler son corps et de ne pas accepter que autrui s’en serve contre sa volonté est un droit que l’on ne peut pas refuser. Dès lors, même si un fœtus avait conscience de son existence en tant qu’être à part entière, même s’il avait une personnalité et qu’il pouvait réclamer des droits, l’avortement serait toujours justifié en vertu de la liberté que nous avons de ne pas être contraints d’utiliser notre corps contre notre volonté. C’est notamment ce que montre J.J. Thomson dans sa Défense de l’avortement en affirmant que même dans le cas où un être humain adulte se retrouverait subitement dans le corps d’une femme, celle-ci serait en droit de s’en débarrasser même si cela devait impliquer la mort de cet être. Autrement, son droit d’user de son corps librement serait bafoué.
Il apparaît donc que cette liberté que nous avons par rapport à l’usage de notre corps est une des libertés fondamentales de l’être humain.
Par conséquent, il semble également que cette liberté peut s’appliquer à l’usage des biotechnologies dans la mesure où celles-ci ne s’appliquent pas uniquement à des fœtus ou des embryons mais peuvent aussi être utilisées sur nous, adultes consentants et conscients de nos choix ainsi que des risques que nous pouvons encourir, mais surtout libres d’utiliser notre corps librement.
Auteur :
Ghislain
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