Le Mvet, un mythe africain transhumaniste ?

Le Mvet, légende africaine du quinzième siècle, raconte l'histoire de mortels recherchant l'immortalité (présentée comme une quête positive) en s'incorporant des organes métalliques.

Publié le 16 juillet 2018, par dans « Homme augmentéImmortalité ? »

Cet article a été écrit par Armand Ngaketcha, chercheur en bioéthique, travaillant notamment sur l’éthique des biotechnologies et du transhumanisme.

 

Les cultures orales, écrites et artistiques qui parsèment les traditions anthropologiques et philosophiques africaines mettent généralement en valeur un certain nombre de représentations, d’idées, de croyances et de récits qui permet de définir l’homme africain dans son cosmos, sa société et son identité personnelle. Le Mvet est l’une de ces riches traditions que l’on retrouve dans l’architecture de l’anthropologie culturelle de certain pays d’Afrique Centrale. En ce sens, il s’illustre comme l’un des plus vieux récits faisant du thème de l’immortalité humaine, un principe dynamique avec pour référence un mode opératoire inouïe et spectaculaire : l’incorporation métallique. Or, cette approche nous semble de plus en plus contemporaine et rappelle certaines thèses du mouvement transhumaniste, notamment la thématique de l’hybridation homme-machine grâce aux prothèses mécatroniques et autres implants électroniques, le but étant un « perfectionnement de l’être humain » avec pour corollaire l’absence de la vulnérabilité, l’extension de la durée de vie et le repoussement de la mort. Pourrait-on se demander alors si ce projet transhumaniste, bien qu’il émerge théoriquement dans la culture occidentale, n’est pas universel ? En d’autres termes, qu’est-ce qui légitimerait dans l’épopée du Mvet, un héritage culturel de l’idée d’une quête de l’immortalité dont l’homme africain pourrait se targuer d’en justifier sinon la nécessité du moins la désirabilité ? Mieux, peut-on établir un lien entre le Mvet et le Transhumanisme ?

Le Mvet est une épopée racontée par un individu exceptionnel dans le clan Ekang, toute son histoire renferme une trame essentielle qui est celle d’une démarche anthropologique, philosophique et ontologique qui doit mener l’homme africain de son statut de mortel vers celui d’immortel. Le Mvet conçoit alors à la base que la nature de l’homme africain n’est pas déterminée ni finie, et que sa téléonomie est de percer le secret de l’immortalité consubstantielle à sa nature. L’effort qu’il doit réaliser pour s’arracher de sa condition mortelle, n’est pas seulement une dialectique philosophique au sens intellectuel, ni spirituel au sens métaphysique, ni mystique au sens religieux ; le Mvet institue une logique matérialiste du « perfectionnement humain » qui débouche à la fois sur une amélioration de la condition physique de l’homme africain tout en lui garantissant une longévité et une invulnérabilité. Le Mvet pars d’une épopée quasi-imaginaire d’un monde formé de deux peuples répartis sur deux pays : le Peuple d’Engong, vivant au Sud appelé encore les Fers ; et le Peuple d’Oku, vivant au Nord. Ces deux peuples cohabitent dans une rivalité quasi-indescriptible. Le premier est constitué d’hommes immortels et le second d’hommes mortels. Mais le Mvet raconte dans tous ses récits que l’immortalité des hommes d’Engong n’est pas innée mais plutôt issue d’un processus d’immortalisation connu et pratiqué. Deux hypothèses nous permettent de conjecturer que ce processus d’immortalisation est continu et continuel, et par conséquent, qu’il est maîtrisable par le peuple d’Engong :

1. Seuls les hommes semblent bénéficier de cette prérogative, car cela est consécutif de leur propension guerrière et du mode patriarcal qui constitue la structure sociale de l’anthropologie négro-africaine, mais le Mvet n’indique pas que cela est une restriction ou une discrimination négative, définitive ou essentielle. On peut même se prononcer sur le fait qu’elle découle d’une logique de la stratégie militaire du peuple d’Engong.

2. Les mortels du peuple d’Oku comprenant cette différence de nature d’avec leur voisin rival, tentent de s’approprier le secret de ce processus d’immortalisation. Toute la philosophie du Mvet repose donc sur cette démarche existentielle, qui doit conduire le peuple d’Oku à l’immortalité. Un récit du Mvet révèle la méthodologie de ce secret : il s’agit d’une incorporation du métal et précisément, d’une transposition d’organes métalliques constitués, dans l’architecture biologique du corps du héros. C’est le maillage des deux compositions qui confère à l’individu sa longévité et son immortalité.

Cette aptitude de corrélation maîtrisée entre l’homme et le métal est perçue dans le Mvet comme l’ultime valeur recherchée, c’est même un principe fondateur et fédérateur de tous les récits du Mvet. Le Mvet institue donc une conscience de l’immortalité sur laquelle l’individu africain doit et peut fonder sa légitimité. Le récit qui cristallise cet état ontologique autour de la symbolique guerrière fait tout sens dans une structure anthropo-culturelle où la valeur humaine est strictement marquée par des atouts exceptionnels.

En ce sens, aussi épique ou fantasmagorique qu’il puisse paraître, le Mvet est un enseignement philosophique et idéologique qui met la quête de l’immortalité au centre de l’existence humaine.

 

Si vous souhaitez en savoir plus sur le Mvet, Armand Ngaketcha a également écrit une version beaucoup plus détaillée de cet article (dans un style plus universitaire), que vous pouvez lire en cliquant ici.

Image tirée de Alum Ndong Minko, une adaptation du Mvet en bande dessinée.