Non, les transhumanistes ne sont pas “fatigués d’eux-même”
Le transhumanisme fait l’objet d’une attention croissante de la part des médias. Ce faisant, il suscite la méfiance de nombreux penseurs, qui se fendent de tribunes assassines dans des journaux ou sur des plateaux télé.
Publié le 27 novembre 2015, par dans « transhumanisme »
On retrouve bien sûr les inquiétudes (légitimes) quant aux risques potentiels. Mais on voit également poindre un autre type de critique, de l’ordre du procès d’intention : les transhumanistes sont des gens qui ne s’aiment pas, qui méprisent leur vie actuelle et lui préfèrent une fuite en avant technologique. Des gens immatures qui ont peur de la mort, et cherchent à tout contrôler. On “psychologise” le transhumanisme, on en fait l’émanation d’un malaise de notre époque. Ce reproche est très bien résumé dans cette phrase du philosophe Jean-Michel Besnier, qui décrit le transhumanisme ainsi : “une utopie de substitution pour une humanité fatiguée d’elle-même”.
Prenons donc quelques instants pour examiner et réfuter ces reproches.
Les transhumanistes sont des gens qui ne s’aiment pas
Le raisonnement est simple : les transhumanistes cherchent à améliorer leur corps et leur esprit. Donc ils ne sont pas satisfaits de l’état actuel de leur corps et de leur esprit. Donc ils ne s’aiment pas.
On pourrait cependant appliquer ce même raisonnement à toute volonté de s’améliorer :
- Le sportif qui cherche à dépasser ses performances n’est pas satisfait de ses capacités actuelles.
- Le musicien qui cherche à améliorer sa maîtrise d’un instrument n’est pas satisfait de sa virtuosité actuelle.
- L’étudiant qui entreprend de longues études n’est pas satisfait de l’état actuel de ses connaissances.
Donc, en suivant cette logique, le sportif, le musicien et l’étudiant ne s’aiment pas. On voit à quel point ce raisonnement est spécieux, pris au cas par cas. Or, le transhumanisme n’est jamais qu’une volonté d’amélioration plus générale, qui relève du même désir profond que les exemples cités.
Les transhumanistes ont peur de la mort
De même, les transhumanistes aspirent à vivre le plus longtemps possible en bonne santé, et donc à repousser les limites de la mort. Ils ont donc peur de la mort ! Cela nous renvoie inconsciemment à l’image du petit garçon terrifié par l’idée de la mort (par opposition à l’adulte qui l’a acceptée), et donc à une forme d’immaturité.
Personne n’est indifférent à la mort et chacun met au point consciemment et inconsciemment des moyens de lutte contre ces peurs. Mais dans le raisonnement cité, il y a une subtile confusion : ce qui est recherché ici n’est pas l’acceptation effective de la mort, mais la “preuve de maturité” que sous-entend la capacité à accepter la mort. Cette maturité, les transhumanistes l’ont, au même titre que la plupart des adultes. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue que la mort aux alentours de 80 ans n’est pas une fatalité éternelle. Chercher à vivre le plus longtemps possible en bonne santé est une aspiration légitime, qui relève d’un amour profond de la vie, et non d’une peur panique de la mort.
A contrario, que dire des gens qui défendent la nécessité de mourir à 80 ans, dans un futur où cela serait potentiellement évitable ? En leur appliquant la même logique (et avec beaucoup moins d’efforts), on pourrait se laisser aller à dire qu’ils haïssent la vie !
Les transhumanistes cherchent à tout contrôler
Les technologies de l’information ont pour effet pervers de nous diriger vers une “société du contrôle”, où tout est chiffré, contrôlé, surveillé et enregistré. Depuis “1984” et “Le meilleur des mondes”, on associe souvent la technologie à une idée de contrôle paranoïaque de tous les aspects de la société, voire de la vie de chaque individu. Or, le transhumanisme visant à utiliser la technologie pour se modifier soi-même, certains en déduisent donc que l’on désire appliquer ce contrôle paranoïaque à sa propre personne.
Le sophisme est ici évident : de même que Socrate n’est pas un chat sous prétexte que les chats ont eux aussi quatre membres, l’usage de la technologie ne relève pas d’une obsession du contrôle sous prétexte que la technologie peut être utilisée pour cela. La critique de la société du contrôle est bien sûr tout à fait importante et légitime, mais n’a rien à voir avec la vocation première du transhumanisme, qui est de rendre l’homme plus intelligent, plus conscient, capable d’émotions plus complexes, d’une vie plus longue et plus riche en expériences, etc.
Ceux qui souhaitent critiquer le transhumanisme trouveront bien sûr, en cherchant un peu, des personnes qui correspondent de près ou de loin à ces critiques, et ne se priveront pas de les brandir en exemples. Mais ces cas particuliers ne peuvent en aucun cas servir à critiquer le transhumanisme en tant qu’aspiration. Aspiration à laquelle on peut parfaitement adhérer sans haine de soi, sans peur exagérée de la mort et sans obsession du contrôle.
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