Note de lecture : A qui profite (vraiment) la génétique ? par Stéphane Debove , alias Homo Fabulus.
Une lecture du livre d'Homo Fabulus, par Antoine Viseur
Publié le 3 mars 2024, par dans « Question sociale »
“Des recherches scientifiques pour découvrir des « gènes de l’intelligence » ou des « gènes de l’homosexualité ». La possibilité que l’agressivité ou l’infidélité soient « génétiques », « dans la nature humaine ». Que l’on puisse justifier ses mauvais comportements par un « c’est pas ma faute, c’est la faute à mes gènes ». Que les hommes et les femmes aient des cerveaux différents. Que nos vies soient en partie déterminées par nos gènes.
Tout cela vous fait peur ?
Moi pas.
Laissez-moi vous expliquer pourquoi.” – 4ème de couverture
Homo Fabulus anime une chaîne Youtube notamment consacré à la psychologie évolutionnaire. En 2023, suite à sa vidéo “ Peut-on être de gauche et aimer la biologie du comportement humain ?”, il organise un financement participatif pour financer un livre où il reprendrait ce discours en l’étoffant.
Je viens donc de le recevoir et de le lire avec enthousiasme, ayant participé à ce financement avec une pré-commande.
Que dire ? La lecture est agréable, et assez rapide (150 pages ), le propos est très bien structuré en parties claires, et il y a environ 180 références à la fin de l’ouvrage pour qui veut plonger beaucoup plus profondément dans ce sujet. L’ouvrage est postfacé par Franck Ramus.
L’idée que l’auteur veut nous faire passer est assez claire : si vous êtes de mauvaise foi, que vous occultez ce qui vous déplait et que vous ne prenez que ce qui sert votre idéologie, vous pourrez toujours faire dire ce que vous voulez à un fait. Mais un fait n’étant qu’un fait, il n’a qu’un rôle descriptif, et non prescriptif. Il dit ce qui est ( dans la mesure de nos connaissances actuelles, en tout cas ) et non ce qui doit être.
Nature et culture
L’auteur commence par nous rappeler l’opposition classique entre “nature” et “culture”, très vite remisée par une explication de la synergie constante entre les deux et le parcours historique connoté positivement ou (très) négativement de certains termes ou concepts avant de s’attaquer au vif du sujet : une grosse mise au point sur ce que sont et ne sont pas la biologie du comportement (humain), la génétique et les sciences sociales. Ce qu’elles disent et ce qu’elles ne disent pas, ce qu’elles (n’) impliquent (pas) en termes de morale et de décisions politiques.
Et surtout le fait que ce n’est pas un jeu à somme nulle, le fait que la biologie explique un comportement ne signifie pas que la culture ne l’explique pas AUSSI, et inversement !
L’auteur fait bien sur une belle place à la génétique et la biologie au sens large, mais sans jamais nier les causalités sociales. Mais il faut bien l’admettre, on les connaît souvent celles-là car on les entend beaucoup ! Au contraire, les causes biologiques, on en entend peu parler car elles sont accusées, au choix, d’être inexistantes, ou de “faire le jeu de”, voire carrément d’être racistes ou sexistes, comme si l’univers et la vie en avait eu quelque chose à faire de nos états d’âme lors de leurs évolutions.
Les titres des parties sont déjà évocateurs et ne peuvent que rallier les transhumanistes, d’autant plus s’ils sont doublés d’un solide attachement aux faits.
Par exemple :
L’égalité en droits ne repose pas sur l’absence de différences.
Où l’on parle de la vacuité de chercher à prouver une absence de différence entre les humains pour leur accorder les mêmes droits, voire du caractère contre productif de cet argument. Et du fait que la science ne dit rien de ce qu’il faut faire tant qu’on y ajoute pas une valeur morale forcément subjective et indépendante.
Où pour paraphraser l’auteur : Nous sommes génétiquement identiques à 99,99%, bien assez pour faire dire à quelqu’un le souhaitant que nous sommes égaux et semblables. Oui mais cela fait en valeur absolue 3 millions de différences, soit bien plus qu’il n’en faut à quelqu’un d’autre pour déclarer cette différence insurmontable ! La science sera ici comme souvent précédée par la tolérance ou l’intolérance de celui qui lira les faits,et non l’inverse.
“Biologique” ne veut pas dire impossible à changer
Où l’on rappelle que tous les gènes s’expriment bien dans un environnement, qu’ils sont souvent plus probabilistes que complètement déterministes et avec une belle citation de Richard Dawkins :
<<Il est parfaitement possible de maintenir que les gènes exercent une influence statistique sur le comportement humain tout en croyant dans le même temps que cette influence peut être modifiée , effacée, ou inversée par d’autres influences. Nous, c’est-à-dire, nos cerveaux, commes suffisamment séparés et indépendants de nos gènes pour nous rebeller contre eux. Nous le faisons à chaque fois que nous utilisons une contraception.>>
“Naturel” ne veut pas dire bon.
Où l’on revient sur les sophismes utilisés aussi bien chez les conservateurs que les progressistes pour ériger en norme morale un état de fait.
Avec cette phrase intéressante autant pour le longévitisme que pour l’amélioration morale :
<< Si nous n’avions pas décidé de nous opposer à cette tendance en finançant des instituts de recherche et des hôpitaux, la population humaine aurait été amputée d’un tiers ! Heureusement que nos sociétés ont su une fois de plus aller contre-nature en s’opposant à la maladie et la mort.
Vu sous cet angle, les recherches faisant de l’agressivité ou de la violence une composante de la nature humaine ne sont plus si troublantes que cela. Elles ne signifient ni l’impossibilité de s’opposer à ces fléaux ni leur désirabilité sociale.>>
De façon générale, le livre nous fait réfléchir au déterminisme génétique, au déterminisme social et à l’interaction permanente entre les deux. Oui, nous sommes le produit de nos gènes, oui nous sommes le produit de notre environnement, oui nous sommes aussi le produit de l’interaction entre les deux.
Oui, les gens sont différents et non, cela n’implique pas de différences de droits politiques.
Oui, l’homosexualité, l’intelligence, les goûts et peut être même le racisme, s’expliquent au moins en partie par la génétique et non cela ne doit pas être tabou, car c’est en se comprenant correctement qu’on se donne un peu de moyen d’action. Rien qui ne devrait surprendre des transhumanistes, je pense.
Eugénisme ?
Autre passage, qui évoque cette fois l’eugénisme :
<< Remarquons également le retour ces dernières années d’un certain “eugénisme” visant à détecter chez les foetus la présence de certaines anomalies génétiques pouvant impacter lourdement la vie du futur enfant (et de sa famille par ricochet). Le qualificatif d’eugénisme est probablement exagéré étant donné les différences importantes avec la doctrine historique (notamment en terme de choix laissé aux familles), mais force est de constater que l’idée d’intervenir sur la reproduction pour réduire la souffrance humaine continue de séduire, y compris dans les milieux progressistes – et peut-être même surtout dans ces milieux, vu l’oppostion des conservateurs à l’avortement par exemple.>>
L’auteur prend nombre d’exemples et de contre-exemples pour illustrer concrètement ses propos, et pointe les contradictions des racistes, des antiracistes, et de certains féminismes et de leurs équivalents masculins. Les faits sont têtus et l’auteur nous fait réfléchir en n’hésitant pas à mettre les mains dans le cambouis des sujets “sensibles”.
Il insiste également sur le fait que les progressistes qui veulent masquer ces faits de peur que cela desserve leur combat donne en réalité des arguments en or à leurs adversaires puisqu’il suffit à ceux-ci d’énoncer des banalités objectives pour décrédibiliser le combat mené.
Un exemple intéressant est qu’une société où la génétique expliquerait beaucoup nous paraît repoussante au premier abord. Il se trouve pourtant qu’en l’absence encore actuelle de moyens forts pour agir sur le génome, une telle société serait le synonyme d’un très bon contrôle sur l’environnement social : les gènes expliqueraient beaucoup, car les discriminations sociales auraient été vaincues et n’expliqueraient donc plus grand chose.
Sexe, genre et politiques
A un autre endroit, en convoquant comme souvent des penseurs et penseuses du domaine, l’auteur nous fait remarquer que vouloir que les femmes représentent 50% dans chaque domaine n’est peut être pas une si bonne idée, notamment parce qu’on cherche surtout à faire venir des filles dans les cursus “de garçons” et beaucoup moins l’inverse, qu’il y a effectivement des différences d’appétences entre hommes et femmes, et que vouloir que les femmes “fassent comme les hommes”, c’est encore ériger en norme les goûts masculins. L’auteur s’appuie notamment sur le fait que dans les pays avec des droits sociaux avancés, les femmes renoncent dans certains domaines à des carrières scientifiques et tente une explication :
<< Une interprétation possible est la suivante : lorsque les femmes vivent dans un pays où le salaire n’est pas trop important pour bien vivre ( parce qu’il existe des filets de protections sociale par exemple ) et qu’on les laisse libres de leurs choix de carrière, elles se dirigent vers les métiers qui leur plaisent naturellement le plus, qui ne sont pas les métiers scientifiques et techniques. Les femmes auraient des préférences naturelles légèrement différentes de celles des hommes en ce qui concerne les activités auxquelles consacrer leur vie. Au contraire, dans les pays où leurs droits sont moins avancés et où leur qualité de vie (voire leur émancipation) passe avant tout par un gros salaire, elles se dirigeraient vers des métiers moins plaisants pour elles mais plus rémunérateurs.
D’autres interprétations de ce phénomène sont possibles et ne cachons pas qu’il s’agit de recherche en cours. Néanmoins, imaginez le renversement de perspective si cette interprétation est correcte. la sous-représentation des femmes dans les filières scientifiques ne devrait plus être considérée comme un indicateur de discrimination mais de bien être social, un indicateur que les femmes vivent dans un pays, où, pardonnez moi l’expression, on leur fout la paix ! […] Tout cela n’implique pas que la sous représentation des femmes ne puisse aussi s’expliquer par des raisons sociales et culturelles : les explications ne sont pas un jeu à somme nulle. Il ne serait pas non plus possible de conclure qu’une femme prise au hasard dans la population aimera forcément moins la science qu’un homme. Il s’agit toujours de probabilités. >>
Tout génétique vs tout social
Cela a de quoi chambouler nos façons de penser, c’est tant mieux et ce n’est pas étonnant : en cherchant à étouffer la génétique, à l’écarter du champ de nos réflexions par peur de la conséquence morale d’un fait objectif, on se prive de se comprendre correctement et donc d’améliorer la société pour tous.
L’auteur nous met aussi en garde sur les dangers du “tout génétique” aussi bien que celui du “tout social” qui dans les deux cas peut nous mener à des catastrophes. Tout en soulignant que le fait de pouvoir retirer la biologie comme facteur confondant est probablement le meilleur moyen d’utiliser efficacement les sciences sociales en ne gâchant pas du budget et du temps inutilement.
Il tacle aussi au passage la notion de mérite, déjà souvent remise en cause par ce qu’on doit à l’environnement social, mais aussi donc… à nos gènes qu’on ne mérite pas non plus mais qui sont déterminants dans notre parcours qu’on le veuille ou non.
Il nous explique aussi comment reconnaître sa part de déterminisme génétique permet de nous déculpabiliser envers nous-mêmes sans toutefois tomber dans la déresponsabilisation envers les autres.
Enfin la dernière partie s’intéresse aussi à l’épistémologie, à la place des valeurs en science, à la différence entre l’expertise scientifique et politique et la difficulté de garder la tête haute et de poursuivre son travail quand, pour avoir mis à jour des faits objectifs, on se retrouve parfois conspués par des gens dont on soutient par ailleurs le combat, ou utilisé par des gens qu’on désapprouve fortement.
Conclusion : Faits et responsabilités
En conclusion, je recommande vivement ce livre facile à lire, qui plaira à tous ceux qui cherchent à penser juste plutôt qu’à défendre une cause à tout prix, à ne pas mélanger faits et idéologie, et à approfondir leur connaissance d’eux-mêmes, de leurs contemporains, de leurs environnements et de leurs interactions.
Pour ma part, ce sera un livre sur lequel je m’appuierai et que je prêterai volontiers pour apporter un point de vue différent aux gens qui, souvent, veulent bien faire mais risque de se fourvoyer à cause de points aveugles dans leur conception du monde.
<< Si des vérités inconfortables existent, nous devons les rechercher et leur faire face comme des adultes intellectuels, plutôt que d’esquiver leur étude ou de fabriquer des théories philosophiques dont la seule vertu est de nous rassurer sur la véracité de nos croyance préétablies >> – Richard Joyce
Auteur : Antoine Viseur