Notes de lecture : Étienne Picand, La révolte des derniers hommes

nb : Cet article ne se veut pas une analyse littéraire de l’oeuvre poétique. Il ne vise qu’à explorer l’abord du thème transhumaniste et les représentations liées.

Publié le 23 mai 2019, par dans « Nos actions »

“Le navire est paré, sur les mers en furie,
Face au siècle martial qui se dénoue ici.
Les jours se font houle… Les ans se font cyclones !
Même les montres rament à un rythme amazone !
On voit s’écharper dans un futur sibyllin
Les flux et les reflux d’homoncules aquilins
Qui, de Faust à Kurzweil, se scellent dans la mer
En pactes sataniques et rêves interstellaires !
Partout, l’orgueil est maître des nouveaux Babel
Ces néo-ziggourats aux desseins éternels :
GAFA, Laboratoires, gourous, posthumains,
Vois, hybris, tes vautours pontifiants et hautains
Contemple tes disciples, épigones guindés
Qui à coups de dollars et coms à col roulé
Partent, tel Galaad, à l’assaut du Saint-Graal
Cryonie au fourreau, et implants, à l’axial !”

Le Dernier Siècle, p.57-58

Envisager des futurs possibles sous l’angle de la poésie, et qui plus est, d’une forme classique en vers mesurés et rimes régulières. C’est le parti pris très intéressant d’Étienne Picand pour son recueil La révolte des derniers hommes, paru aux Éditions Jet d’encre (janvier 2019). Indiquant en sous-titre « Réflexions poétiques sur le transhumanisme », c’est en effet ses doutes et ses espoirs quant aux possibilités d’un avenir porté par la technologie que présente l’auteur.

Très vite, le propos se pose dans ce qu’il définit comme une sorte de ligne médiane, un juste milieu par contraste aux deux penchants inverses qu’il détermine : bioconservatisme religieux d’une part, et transhumanisme porté par la science. La « foi en Dieu », et la « foi en la technique ». Un « simple humain », sceptique face aux promesses du premier, et méfiant des intentions du deuxième.

Pour autant, l’appel d’Étienne Picand est avant tout celui du respect mutuel, de l’ouverture à la  discussion, et de la liberté. Les croyants doivent être libres d’exercer leur foi, les partisans du transhumanisme de « s’augmenter ». Tout comme les « simples hommes », de vivre leur vie sans crainte de se voir tyrannisés par le dogmatisme qui rejetterait tout progrès, ni mis en danger par l’apparition d’entités surhumaines, les « cyborgs », qui seraient en position de les dominer voire de les amener à disparaître.

Là encore, c’est la crainte d’une obligation, d’une transformation du corps imposée, qui ressort.

À l’inverse, laisser la liberté du choix, c’est ce que l’auteur appelle la perspective « infiniste ». Laquelle admet que la plupart des êtres humains aspireraient à vivre éternellement heureux. Les deux voies, religion et technologie, offrant chacune un espoir dans ce sens.

S’il interroge la question philosophique de la finitude de l’existence, et s’inquiète des répercussions possibles de l’amortalité, ce n’est pas pour rejeter l’aspiration « infiniste ». Il s’agit plutôt selon lui de temporiser, de laisser le temps non seulement aux derniers hésitants de trancher entre foi religieuse et espoir technologique, mais aussi à cette dernière de permettre une véritable égalité devant la promesse d’amortalité. Ce n’est que le jour où chaque être humain sera en mesure de se voir proposer l’amortalité transhumaniste qu’elle deviendrait acceptable.

« Ce siècle est un siècle d’espoir : l’espoir que les guerres et les maladies disparaissent, que les peuples encore asservis se libèrent de leur joug, et que les nouvelles technologies soient au service du bonheur et de la liberté des hommes. Voilà le cap du progrès vers lequel il nous faut voguer, avec au bout la promesse d’un monde meilleur. » (p.122)

Car le progrès technologique doit être guidé par la quête de l’égalité, qu’il symbolise dans le même passage sous le terme de « République ».

Un parallèle qui est encore accru par la proposition, en fin d’ouvrage, d’une « Déclaration des droits de l’homme infiniste » (p.135-136), qui synthétise plusieurs des points développés par l’auteur au cours de l’ouvrage : nécessité d’une égalité de tous et toutes devant la mort et à l’inverse, devant la possiblité d’une amortalité ; protection des individus qui souhaiteraient rester de « simples hommes » vis à vis de la puissance des « cyborgs », mais aussi liberté de chacun.e de disposer de son corps pour à dessein l’augmenter, ou le maintenir tel quel.

Dans ce but, la « Déclaration infiniste » décrète un certain nombre de restrictions concernant la recherche notamment génétique, ainsi que la création d’un statut légal et d’une citoyenneté spécifique pour les « cyborgs », aux droits réduits, dans la logique de compenser leurs capacités améliorées.

Si dans l’ensemble, le ton adopté dans cet ouvrage montre une certaine méfiance vis à vis de ce qu’il nomme le transhumanisme, il semblerait désigner par ce terme un pendant spécifique – mais aussi particulièrement médiatique – des courants transhumanistes : celui, ultra-libéral, prôné plus ou moins ouvertement par les géants de la Silicon Valley.

C’est à ce pan particulièrement élitiste et orienté sur le profit individuel que l’auteur semble donc rattacher l’ensemble des courants de pensée transhumanistes, dans une généralisation que l’on peut regretter ici, car bien loin de couvrir l’ensemble des réalités regroupées, bon gré mal gré, sous ce terme. D’autant plus que l’essentiel des préoccupations, questions mais aussi espérances présentées au fil de ces poèmes sont partagées par nombre de personnes qui se rattachent aux courants transhumanistes et technoprogressistes. Qui sont avant tout, il est utile de le rappeler, des courants multiples et pluriels, reflets d’une très large palettes d’idées et de philosophies.


“Où est donc notre fougue ? Tout est pupillance.
On se bat pour la vie, pour la foi, pour la France.
Mais, pardon citoyens : qui combattra la mort ?
Il faut encor lutter, former l’état-major.
Nommer les généraux des armées de la vie,
Les chefs des régiments des poumons infinis !
Les tambours de la charge des hommes immortels !
Les clairons des images des âmes éternelles !
La vie n’a pas de fin quand la mort agonise,
Quand le Maufait périt, quand la foule insoumise
Prend son destin en main, et ce destin est grand.
Qui pourrait arrêter un souffle si puissant ?
Ce siècle obombrera tous les siècles enfouis.
Éternels, immortels, peu importe : infinis !”

L’urgence infiniste, p.73

Note de lecture proposée par Théodore