Notes de lecture : Regenesis

La révolution NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Intelligence artificielle et Sciences cognitives) sous-tend le mouvement transhumaniste. Néanmoins, Drexler avec “Engins de création”, a popularisé les nanotechnologies dans l’imaginaire public ; la science-fiction avec au premier plan Isaac Asimov a popularisé l’intelligence artificielle ; et Ray Kurzweil avec “How to create a mind” rend visible l’intelligence artificielle comme les sciences cognitives. Les biotechnologies manquaient de leur ouvrage de référence pouvant les populariser auprès du grand public.

Publié le 3 août 2013, par dans « transhumanisme »

Regenesis
How Synthetic Biology Will Reinvent Nature and Ourselves

George M. Church & Ed Regis

La bio-ingénierie, parent pauvre de l’imaginaire transhumain

La révolution NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Intelligence artificielle et Sciences cognitives) sous-tend le mouvement transhumaniste. Néanmoins, Drexler avec “Engins de création”, a popularisé les nanotechnologies dans l’imaginaire public ; la science-fiction avec au premier plan Isaac Asimov a popularisé l’intelligence artificielle ; et Ray Kurzweil avec “How to create a mind” rend visible l’intelligence artificielle comme les sciences cognitives. Les biotechnologies manquaient de leur ouvrage de référence pouvant les populariser auprès du grand public. Pire, le combat médiatique des OGM s’est, ces dernières années, cristallisé autour d’un affrontement souvent stérile entre bioluddites et lobbyistes rendant difficile tout débat de fond apaisé, surtout en Europe.

Ce livre qui associe un généticien de renom, George McDonald Church, et le journaliste scientifique Ed Regis, permet donc de remettre sur le devant de la scène les prospectives bio-technologiques.

Détenteur d’un doctorat en philosophie de la New York University, Ed Regis a publié dans de nombreuses revues et journaux dont Scientific American, Wired ou The New York Times pour ne citer que les principaux. Ses thématiques principales tournant autour du transhumanisme, de la nanotechnologie et de la militarisaiton des biotechnologies. George M. Church est professeur de génétique à la Harvard medical School ainsi que professeur à la Harvard–MIT Division of Health Sciences and Technology ; il est de plus l’un des pionniers du Personal Genome Project (PGP).

Le PGP étant souvent évoqué dans le livre, une description s’impose. Il s’inscrit dans la suite logique du Projet Génome Humain qui, dans les années 1990, permit de cartographier le génome humain afin de faciliter son décryptage et les recherches associées. Le PGP avait pour vocation de collecter et de rendre public le génotype (le code génétique) et le phénotype (dossier médical complet, des pathologies connues aux différentes analyses de tous types – sanguines, IRM, etc.) de 100 000 volontaires. L’objectif affiché étant de donner aux scientifiques une large base de données leur permettant de trouver des causes génétiques à des soucis de santé, et éventuellement d’élaborer de nouvelles thérapies. C’est aussi pour une large part le sujet de ce livre : l’amélioration de l’homme non dans un but idéologique, mais pour lui éviter la fatalité de la maladie ou du vieillissement et la souffrance qui les accompagne.

A mi chemin entre Drexler et Kurzweil

D’emblée, ce qui frappe dans la structure du livre, c’est son ambition d’inscrire la démarche dans un cadre plus vaste, voir universel. Quelque part, la manière dont les auteurs ont organisé leur ouvrage fait clairement penser au “Singularity is Near” de Ray Kurzweil, livre phare du transhumanisme. Parcourant les ères géologiques pour aller du moléculaire vers la modification directe de l’homme, tout en passant par les virus et les bactéries (dont la si célèbre Escherichia coli, matériau de base de nombre de concepts d’utilisation industrielle du vivant) nous avons là un panorama qui se veut exhaustif de l’état de l’art des biotechnologies en ce début de XXIe siècle.

L’autre aspect d’importance, le soin pris à une description se voulant prospective donne parfois l’illusion de lire concernant la bio-ingénierie ce que Drexler fit avec la nanotechnologie: tenter d’anticiper les techniques et la méthodologie permettant de mettre en oeuvre ces innovations radicales. La partie sur l‘inversion de chiralité des molécules du corps pour rendre les humains insensibles aux virus et bactéries naturelles est d’ailleurs fascinante à défaut d’être réellement réalisable ; du moins dans un avenir raisonnable. Pour résumer : la majorité des molécules organiques ne sont pas symétriques et possèdent un sens, une orientation, et chacune d’elle a donc son double “miroir” reproduisant ce sens tel que vu dans un reflet ; c’est cela la chiralité. Or, il s’avère que la vie organique sur Terre a tendance à privilégier une des deux orientations ; ceci permettrait de mieux nous protéger car si nous inversions notre chiralité, les auteurs affirment que la majorité des virus et des bactéries ne pourraient plus interagir avec nos cellules. De fait, l’humanité deviendrait immunisée à de tels maux.

De même, certaines applications OGM (comme la fabrication de diesel pur à partir de bactéries par exemple) captivent et donnent la mesure de l’ampleur d’une telle technologie comme en son temps “Engins de Création” le fit pour les nanotechnologies.

En guise de conclusion

Néanmoins, malgré nombre de ses concepts fascinants, cet ouvrage peine à trouver sa place. A mi-chemin entre un Kurzweil ou un Drexler, il y trouve à la fois sa force et sa faiblesse. Parfois, il se perd dans les détails techniques alors que là n’est pas son propos. Et trop souvent, les auteurs brident leur imaginaire au point que l’impression générale que j’en ressors est celle d’un texte qui aurait pu être visionnaire, mais qui ne l’est pas tant que ça. Bref, un essai non transformé sur un sujet pourtant prometteur. Mais un livre fascinant néanmoins qui a le mérite de sortir de la guerre d’usure dans laquelle semble s’être enfermé le débat OGM ces dernières années.

Comme conscients des carences de leur propos, les auteurs, alors qu’ils annoncent dans leur sommaire une fin transhumaniste, se recentrent sur du concret ; chose salutaire malgré tout car ainsi ils font découvrir iGem. Cette compétition internationale de génétique est aux biotechnologies ce que la coupe du monde des robots est à l’intelligence artificielle : un creuset de vocations et un catalyseur d’innovations.

Malgré ses faiblesses, cet ouvrage reste donc un livre à lire pour qui s’intéresse aux promesses des biotechnologies. Il ne deviendra peut-être pas l’ouvrage de référence qu’il aurait pu être, mais restera une sorte de jalon dans la diffusion auprès du grand public des concepts de ces technologies. Et de plus il m’aura convaincu que l’ère des inventeurs “do-it-yourself” de la génétique est en train de devenir réalité dès aujourd’hui ; avec les dangers que cela présuppose et les contre-mesures nécessaires à appliquer ou à déployer pour contrôler les éventuelles dérives. Les auteurs évoquent brièvement cela, mais là n’est pas leur propos et un ouvrage dédié mériterait de développer une réflexion approfondie à ce sujet.

Cyril Gazengel