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Qui sommes-nous ? Cette série d'entretiens informels montre les technoprogressistes de l'AFT sous un jour plus familier. Cette semaine : Emmanuel

Publié le 8 mars 2022, par dans « transhumanisme »

Peux-tu te présenter rapidement ?  

Emmanuel, 39 ans, porte-parole de l’AFT, adhérent officiellement depuis 2015. Je suis architecte-ingénieur de formation, je participe à la conception d’écoquartiers. Je m’auto-forme également en biotechnologies pour me reconvertir un jour (j’espère rapidement) dans la recherche.

Comment as-tu connu le transhumanisme, ou les thèmes principaux du transhumanisme ?

Rétrospectivement, j’ai toujours été attiré par la science, la science-fiction et le bizarre objet intellectuel qu’est “le futur”. Un de mes profs m’avait fait rencontrer le groupe de réflexion “Prospective 2100” (qui est aujourd’hui appelé Fondation 2100). Je m’intéressais à l’Espace, aux origines de l’univers, ce genre de choses. Puis j’ai découvert le principe anthropique qui a un peu répondu à mes questions sur ce sujet, et mon intérêt s’est déplacé vers les neurosciences, les maladies mentales, la conscience… J’ai grandi avec des conversations (surtout avec mon père) autour de la physique, de la biologie.

Parallèlement, l’imagerie liée au futurisme des années 1980/1990 m’interpelait. C’est par là que j’ai eu connaissance du transhumanisme et du posthumanisme comme mouvements philosophiques, sans entraîner nécessairement d’adhésion au début.

Nous étions donc (moi et mon historique Google) un terreau favorable quand j’ai eu début 2011 une suggestion de vidéo YouTube de Ray Kurzweil évoquant la Singularité et l’émulation de cerveau (ou mind uploading : l’idée selon laquelle on pourrait poursuivre son expérience consciente sur un support informatique).

L’émulation de cerveau a été un “mindfuck” (comme disent les anglophones) très agréable, et surtout une porte d’entrée vers tous les autres thèmes du transhumanisme.

Quant à la Singularité technologique, j’ai été fasciné par son côté eschatologique : à partir d’une certaine puissance, l’IA serait à même de résoudre tous les problèmes et toutes les questions scientifiques possibles. Il y a un côté “Game Over” qui est assez apaisant, je trouve.

Le transhumanisme s’adressait donc à mes peurs (peur de mourir surtout) et les prenait au sérieux ; et en plus, il proposait des solutions crédibles. Et j’ai tout de suite aimé la tolérance qui régnait dans ce mouvement, loin de l’élitisme dont on l’accuse souvent à tort.

Quel a été le déclic pour adhérer à l’AFT-Technoprog ?

Pour moi la participation aux activités de l’AFT est une occupation civique comme une autre. J’ai voulu militer pour améliorer le sort des générations futures, et éviter les morts inutiles, comme celle de mon grand-père. Je voulais aussi essayer d’influencer les lycéens, car si j’avais eu connaissance du transhumanisme à leur âge, j’aurais choisi une autre orientation plus tôt (j’avais failli m’inscrire en biologie après mon bac S)…

Le déclic est venu en 2013, quand j’ai découvert l’AFT dont les dirigeants avaient des sensibilités politiques similaires à la mienne (je votais à gauche ou écolo). Je me suis dit qu’un petit groupe de personnes motivées, soudées et informées pouvait faire la différence, avec un objectif en tête pour ma part : faire augmenter les budgets publics de recherche fondamentale. Cette dernière est sous-considérée alors qu’elle alimente à flux continu la R&D privée et sous-tend beaucoup de grandes évolutions de société.

Comment vois-tu l’avenir à court terme (10 prochaines années), moyen (50 prochaines années) et long termes (2100, 2200) ? 

Après dix ans de militantisme, je suis assez pessimiste. Il est illusoire de croire que la recherche avance inéluctablement vers le transhumanisme ou que la Silicon Valley s’en occupe. Ces sujets sont extrêmement complexes et nécessitent une révolution des mentalités, des budgets, des vocations. Nous devons tous mettre la main à la pâte, c’est comme une guerre – on ne peut pas continuer à mener sa vie tranquillement et croire qu’on va gagner. On va tous et toutes crever si on ne se bouge pas. 

L’idée-pivot du transhumanisme est le recul radical de la mort. Au rythme où vont les recherches et tests cliniques, nous en sommes loin. Si on creuse dans l’histoire du transhumanisme, on trouve toujours des originaux pour croire que les thérapies anti-âge ou l’émulation arrivent “dans 20 ans”. C’est un biais cognitif répandu, ça aide à vivre. Mais le transhumanisme n’est pas une vague espérance molle, comme une religion à laquelle on croit à moitié. C’est un combat qui implique d’interpeller les élus, d’organiser des collectes, des dons, de changer de carrière éventuellement…

Pour donner un ordre d’idée, je pense que l’écart de survenue d’un progrès entre la poursuite de la tendance actuelle et un scénario optimiste de société 100% transhumaniste peut être énorme, de l’ordre d’un siècle. Entre le premier projet de loi pour le suffrage des femmes en Angleterre et l’adoption de cette loi, il s’est passé 90 ans. L’inertie des sociétés humaines est ahurissante. Mais en conscientisant cette inertie, nous pouvons changer les choses.

A terme, je pense que l’être humain deviendra synthétique (non biologique) et évoluera dans des métavers et des dimensions temporelles variées, sans les peurs et limitations de notre condition actuelle. C’est ce que je souhaite pour les générations futures. Le changement climatique est bien sûr important, mais la Singularité Technologique bien davantage.

Quel est le domaine qui te semble le plus important, ou qui t’intéresse le plus, dans le transhumanisme ?

Je dirais : 1) émulation de cerveau conscient ; 2) réjuvénation ; 3) IA, automatisation et revenu universel ; 4) utérus artificiel ; 5) cryopréservation ; 6) fusion nucléaire (un peu hors sujet).

Je comprends que l’émulation fasse peur, car c’est un bouleversement radical. Si cela arrive, cela sera aussi soudain que la bombe atomique : en 1939 personne ne prenait ça au sérieux, et en 1945 l’ordre mondial et la psyché humaine en étaient changés pour toujours. Certes, de plus en plus d’œuvres de SF (je pense à Black Mirror) essaient de préparer les esprits, mais cela ne suffira pas.

L’autre sujet qui me passionne est la réjuvénation. C’est un problème scientifique dont la résolution pourrait sauver beaucoup de vies, dont celles de proches. C’est pourquoi je donne directement une partie de mon salaire à la recherche pour la longévité. Je trouve l’ectogenèse également intéressante, même si je crois qu’elle sera elle aussi broyée à moyen terme par l’émulation.

Néanmoins tous ces problèmes ne sont pas égaux en termes de besoins de financement. La recherche anti-âge est la plus chère, la plus chronophage et à mon avis pour le moment la plus utile.

Pour la cryopréservation, j’ai un contrat avec Tomorrow Biostasis. Ça coûte aussi cher qu’une box chaque mois et ça subventionne directement les recherches pour la longévité. J’ai prévu de me faire cryogéniser. C’est un peu bizarre comme démarche au début mais j’espère que ça va se généraliser.

Pour finir, quels sont tes centres d’intérêt hors transhumanisme ?

La littérature, la poésie, l’art graphique, la danse (en voir et en faire). J’ai aussi une passion pour les jeux et jouets de toutes sortes. Je suis enfin militant anti-voiture (ma deuxième grande cause), particulièrement depuis que je me suis rendu compte que j’avais perdu beaucoup de connaissances ou proches à cause de la violence motorisée. J’aime bien marcher aussi, je fais du vélo en ville (danger mortel !).

Pourquoi as-tu choisi cette image pour illustrer cet interview ? 

Elle illustre le besoin de nous faire entendre plus fort. On doit sortir des cercles universitaires et des conférences, et devenir un groupe de pression politique, même si ça signifie se confronter aux conservateurs de toutes sortes. C’est dans cette optique que j’ai fait partie des cofondateurs du Mouvement Technoprogressiste, qui est un parti… en progrès, disons 🙂

Comme pour la vaccination, il faut informer, convaincre, bref faire de l’éducation populaire, mais aussi concrètement de la politique radicale et “botter le cul” des labos et des politiques. Il faut placer la barre haut. “Si tu veux un chat, demande un cheval” disent les enfants. Et si tu veux un cheval…

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