Que conserver de l’humain ?

Si demain nos pouvions tout changer, quelles seraient les qualités ou les valeurs qu'il nous paraîtrait indispensable de conserver ?

Publié le 22 avril 2024, par dans « Homme augmentétranshumanisme »

Dans le débat autour du transhumanisme, la question de savoir ce que pourrait bien devenir l’humain est souvent posée, par nos contradicteurs pour s’en effrayer, et par les transhumanistes pour s’en réjouir. Mais les réponses restent relativement vagues.

Ici et là quelques pistes sont avancées, mais personne, ni dans la sphère francophone, ni ailleurs, ne semble jamais avoir ne serait-ce qu’essayer de faire le tour de la question :

Que conserver de l’humain ?

Essayons d’imaginer que demain, nous pourrions choisir n’importe quel type de support physique pour continuer à exister, très proche ou très éloigné de celui que nous expérimentons aujourd’hui, 100% biologique, cyborg, 100% cybernétique, chimérique, numérique, gazeux, ondulatoire, posthumain, n’importe quoi.

L’autodétermination humaine n’est-elle pas à la source même de la pensée humaniste ? Pic de la Mirandole, à la Renaissance, faisait ainsi dire à Dieu :

« Je ne t’ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Nature enferme d’autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placé, tu te définis toi-même. Je t’ai placé au milieu du monde, afin que tu puisses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t’ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d’un bon peintre ou d’un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme.»

Discours de la dignité de l’homme (1486)

Car l’être humain (homo sapiens) semble sur le point de se transformer radicalement, d’une part au moyen de manipulations génétiques et hybridations technologiques, d’autre part en créant des êtres sentients entièrement artificiels, plus ou moins inspirés de sa propre architecture cognitive. Comment assurer une continuité entre homo sapiens et ses successeurs ? Celle-ci est-elle nécessaire ? Dans l’éventail des possibles que nous offre la technologie, que prioriser ? Qu’interdire ? Faut-il fixer des limites ? Définir l’humain est bientôt à notre portée : que voulons-nous faire de notre espèce ? Quelles seraient les qualités, les capacités ou les valeurs qu’il nous paraîtrait indispensable ou très désirable de conserver ?

Après que ces questions aient été posées aux membres de l’AFT-Technoprog, voici une liste de caractéristiques qu’il nous paraît important de léguer :

1. Thème vie/personne (conservation/interaction/novation/récit – auto organisation vs fixisme)

  • la vie,
    • capacité à maintenir une identité individuelle, en persistant dans son homéostasie
    •  par la diffusion ou réplication de son information élémentaire (capacité à se reproduire biologiquement, ou autre …), y compris l’ajout de nouvelles mutations
  • les capacités et sens physiques
    • un corps, ou un substrat corporel quelconque
      • sauf la perception de la souffrance non souhaitée ou inutile
      • pouvant être simulés informatiquement
    • la capacité à éprouver émotionnellement le monde
  • la santé
    • capacité à se régénérer et à établir des équilibres adaptatifs, éventuellement la capacité de se modifier, d’évoluer de son propre gré, donc de “s’améliorer” et de conserver la mémoire des modifications
    • «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité» (OMS)
  • la “conscience de soi” (consciousness, sentience)
    • la conscience réflexive impliquant langage et interactions sociales
    • l’identité de la personne faisant la synthèse corps/cognition/récits
  • la capacité d’avoir et de rechercher des ressentis positifs
    • le bonheur
    • le plaisir, la joie, l’amour, etc.

2. Thème sens/sensibilité/esthétique (création/symbolisation/réactivité/ouverture quid pro quo inspirant vs programmation, factualité pure)

  • la capacité de ressentir la possibilité de la sublimation (voire de la transcendance) ; le besoin de projection
  • la capacité de donner du sens
    • et de porter des jugements
  • la curiosité, le sens de la découverte
    • notre capacité à l’émerveillement
  • la créativité, l’imagination (donc, la capacité à inventer des symboles)
    • la capacité de spontanéité
  • l’aptitude à l’expression artistique et à l’appréciation esthétique

3. Thème politique/éthique (souci de soi, souci de l’autre, égalité)

  • l’esprit de solidarité, et de collectivité,
    • l’amour, la préoccupation pour autrui, l’attention à la vulnérabilité, la recherche du bien commun
  • le sens de l’altérité, indissociable du sens de soi, donc ⇒ l’individualité
    • la tolérance, le respect de l’autre différent
  • avoir un esprit respectueux envers ce qui ne nous appartient pas
  • le sens de la liberté
    • ⇒ liberté de conscience, “libre-arbitre”, ouverture à la surprise, au hasard et au doute
  • le sens de la justice et de l’égalité
    • la capacité de s’indigner
  • Avoir du courage
    • accepter de prendre des risques pour défendre un principe ou une personne

4. Thème connaissance et souci du monde

  • Avoir le sens critique (la remise en question des idées et représentations ?)
  • L’ouverture sur l’inconnu (voire le mystère)
  • La soif de connaître, d’inventer, d’expérimenter et d’explorer indéfiniment 
  • Le souci de la transmission à autrui des lieux au bénéfice de tous.
    • habitats et écosystèmes
    • cultures
  • La symbiose avec la diversité des formes de vie, notamment intelligentes

Un débat ouvert

Bien sûr, il est également important de souligner que, parfois, certains aspects des traits considérés ici comme “à conserver” peuvent entrer en conflit direct ou en tout cas devoir être hiérarchisés au niveau individuel – ou collectif. Par exemple, la recherche du plaisir et la recherche du bien commun ne vont pas forcément ensemble, de même que “prendre des risques pour défendre une personne” peut être contradictoire avec la défense de la vie.

Quoi qu’il en soit, cette liste est une proposition. Elle a été établie par un petit nombre de personnes, représentant une petite fraction non représentative de l’humanité. Elle demande à être discutée et complétée, voire à être interprétée et réécrite par d’autres. En effet, dans une perspective transhumaniste, l’avenir peut être fait de davantage  de diversité. Mais il restera important d’identifier ce qui nous semblera pouvoir continuer à faire communauté, s’il nous importe toujours de faire perdurer l’humain.

Porte-parole de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog, chercheur affilié à l’Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET). En savoir plus