Quelle est la meilleure façon de résoudre le vieillissement avec l’IA ?

Les progrès fulgurants de l’IA pourraient buter sur notre capacité à leur donner plus d’autonomie et d’initiatives matérielles. Dès lors, résoudre le vieillissement pourrait nécessiter un partenariat d’un nouveau type.

Publié le 13 octobre 2022, par dans « transhumanisme »

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Les trois dernières années ont vu des progrès sans précédent dans le domaine de l’intelligence et de la compréhension artificielles. Les transformers et les modèles à mille milliards de paramètres entraînés sur des quantités massives de données ont montré des résultats prometteurs dans la reconnaissance et la production du langage, les tâches motrices et de nombreux autres problèmes de la vie réelle.

Certaines personnes – dont l’auteur de cet article – pensent ou plutôt espèrent que l’IA nous aidera à résoudre de nombreux défis technologiques et scientifiques dans les décennies à venir. Demis Hassabis lui-même, qui a reçu il y a quelques semaines le Breakthrough Prize en Sciences de la Vie pour ses travaux sur AlphaFold, a récemment déclaré que ses priorités personnelles étaient la recherche médicale et l’énergie. En véritable technoprogressiste, il a orienté DeepMind vers le repliement des protéines, la fusion nucléaire, la physique et les mathématiques. DeepMind représente la quintessence de la recherche scientifique basée sur l’IA. Le plan d’Hassabis était simple dès le départ et s’est avéré fructueux jusqu’à présent : « résoudre l’intelligence », puis laisser l’intelligence résoudre tout le reste.

Puissance intellectuelle et limites physiques

Toutefois, dans l’état actuel des choses, l’IA et notamment l’apprentissage profond ne sont que des outils, comme de puissants télescopes, entre les mains d’équipes humaines compétentes. Pour la fusion nucléaire, par exemple, il n’y a qu’un nombre limité de problèmes qui peuvent bénéficier des compétences de l’IA. Pour des questions telles que le développement de médicaments ou la recherche fondamentale en biologie, il est toujours nécessaire de procéder à des expériences in vivo, impliquant le mélange de produits chimiques ou la réalisation d’opérations chirurgicales sur des souris ou des humains. Tester des stratégies au jeu de Go peut se faire dans des environnements virtuels, à des vitesses sans précédent et avec des milliards de joueurs virtuels, alors que manipuler des gènes et des cellules demande du temps et de l’espace.

Prenons l’exemple de la recherche sur le vieillissement, et plus particulièrement des efforts médicaux anti-âge. Malgré des résultats récents et intéressants dans les domaines de la sénolyse et du rajeunissement cellulaire (menés par des équipes de Genentech et d’Altos Labs), le chemin vers la longévité semble long et décourageant. La biologie est pleine de « problèmes à plusieurs milliers de facteurs » (Markus W. Covert) nécessitant des expériences soigneusement conçues ou des simulations gigantesques. L’IA est déjà utilisée pour identifier des cibles possibles dans plusieurs maladies dégénératives ou cancers – pour l’instant, cela s’arrête là.

Les véritables atouts de l’IA sont sa rapidité et la quantité de données qu’elle peut traiter. Mais que se passe-t-il lorsqu’il n’y a pas assez de données, lorsque la théorie a besoin d’expériences pour progresser, lorsque la compréhension s’appuie sur des observations insuffisantes ? L’humanité a déjà mené des centaines de milliers d’expériences biochimiques documentées, mais est-ce suffisant ?

Trois scénarios pour résoudre le vieillissement

Trois scénarios vont probablement émerger si nous envisageons de confier à l’IA la tâche de « résoudre le vieillissement » :

  1. les machines apprennent à simplifier/optimiser les simulations d’organismes entiers et les tests cliniques humains in silico deviennent réalisables (scénario des simulations intelligentes)
  2. les machines apprennent à créer d’autres machines beaucoup plus puissantes et les tests cliniques humains in silico deviennent réalisables (scénario de “force brute”)
  3. le vieillissement s’avère trop compliqué pour obtenir des informations significatives à partir de simulations réalisables.

Les scénarios a) et b) pourraient s’entremêler, l’augmentation de la puissance de calcul des réseaux de neurones conduisant à des approches plus intelligentes pour modéliser les organismes humains. Un débat similaire sur la « boîte noire » a lieu actuellement dans le domaine des neurosciences computationnelles : quel niveau de détail devons-nous atteindre pour modéliser les cerveaux afin d’obtenir des comportements virtuels précis ? Devons-nous prendre en compte chaque molécule pour reproduire les fonctions et les dysfonctionnements du cerveau d’une personne, afin de pouvoir tester efficacement des médicaments virtuels ? Probablement pas. Mais nous pourrions avoir besoin de construire des « patients virtuels » beaucoup plus complexes que ceux que nous utilisons aujourd’hui. Et surtout, pour savoir jusqu’où nous devons aller, il nous faut une bonne quantité de données « en chair et en os », ou du moins suffisamment d’observations pertinentes de tissus réels.

Le scénario c) nécessite encore plus d’interventions de la part des humains. Nous pourrions imaginer des IA ingérant des montagnes de données et suggérant des expériences à mener à partir de ces données ; puis attendant les résultats, suggérant d’autres expériences, ainsi de suite jusqu’à ce que le problème soit résolu. Dans ce scénario, les machines agiraient comme des directeurs de recherche.

Une IA cheffe de labo

Un événement amusant s’est produit la semaine dernière. Alors que DALL-E devenait utilisable par le public, je lui ai demandé de représenter « un médicament efficace contre le vieillissement ». Parmi plusieurs tentatives indéchiffrables, souvent faites de pseudo-lettres dessinées et de trucs organiques effrayants, l’une d’elles a attiré mon attention : le mot « Aegine » au-dessus d’étranges substances comestibles. Marc Roux (président de l’AFT), vivant depuis de nombreuses années en Grèce, m’a répondu que « Aegine » lui rappelait les pistaches d’Aegina, considérées comme un aliment extrêmement sain. DALL-E sait-il quelque chose que nous ignorons ? Le secret de la longévité serait-il caché dans les molécules de ces pistaches ? Ou est-il simplement comme un artiste qui diffuserait des recettes douteuses, ou simplement à la mode, vues sur le web ?

Et si nous donnions à un essaim d’agents intelligents un véritable laboratoire “en brique et en béton” ? Pourrions-nous imaginer leur donner accès à des réactifs, des acides, des scanners, des souris ? Leur permettre de commander de nouveaux composés chimiques, de construire de nouveaux microscopes, etc. – ce qui accélérerait sensiblement la découverte de médicaments ? Il faudrait imaginer l’installation comme à une « micro-université » ou un « réacteur de savoir » comprenant des millions de scientifiques virtuels discutant et travaillant ensemble à la vitesse de la lumière pour atteindre un seul objectif : résoudre le problème du vieillissement. Cela vous semble tiré par les cheveux ? Pas à moi. En tout cas, je ne vois pas actuellement de meilleure solution.

Les véritables progrès et découvertes scientifiques surhumains ne se feront pas à vitesse humaine. Si AlphaGo avait eu besoin d’assistants humains pour déplacer des jetons en plastique sur un plateau, aurait-il battu les meilleurs joueurs humains aussi rapidement ?

Les systèmes d’intelligence artificielle doivent voir leur statut repensé : d’outils, devenir des scientifiques à part entière. Au lieu d’essayer d’identifier les trop rares objectifs instrumentaux où ils peuvent être utilisés, nous devrions leur fournir un laboratoire décent et les laisser travailler.

Risques et faisabilité

Les machines doivent encore améliorer leur motricité fine et acquérir une intelligence plus générale. Mais étant donné le rythme exponentiel des progrès et les résultats prometteurs de Gato/Sawyer ou modèle similaires, il ne semble pas prématuré de commencer à réfléchir dès maintenant à la conception d’un tel laboratoire.

Ne serait-il pas aventureux de distribuer des quantités industrielles de produits chimiques à un groupe d’intelligences bizarroïdes capables de penser un million de fois plus vite que nous ? Pas forcément. Les dernières observations semblent indiquer que les IAG ont besoin du langage et d’éducateurs humains pour être performantes. Cela nous permettra d’avoir accès à leur processus de pensée et à leur éthique. En outre, on peut imaginer une pléthore de moyens de sécuriser l’installation et de s’assurer que tout reste sous contrôle : confinement, arrêts d’urgence, procédures d’approbation humaines, agents de surveillance intégrés – bien plus intrusifs que dans une centrale nucléaire ou un laboratoire P4.

Chaque année, 50 millions de personnes meurent de causes liées à l’âge. En fin de compte, le nombre de vies qui pourraient être sauvées grâce à ce « réacteur de savoir » fait pencher la balance largement du côté des avantages que de celui d’hypothétiques risques.

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  • image : copyright Ubisoft 2022
Porte-parole de l'AFT