Retarder le vieillissement : le chemin de la stabilité protéique

La compréhension du vieillissement chez l’être humain est l’une des aventures scientifico-techniques les plus fascinantes de ce début de XXIème siècle. Voici un éclaircissement de la théorie de la fidélité traductionnelle comme cause du vieillissement.

Publié le 7 juin 2018, par dans « Homme augmentéImmortalité ?transhumanisme »

PDG de Methuselah Health, le professeur David Grainger est co-fondateur de la firme de capital-risque Medicxi. Il a également cofondé XO1, qui a été acquise par Janssen Pharmaceuticals (Johnson & Johnson) en 2015, et créé Funxional Therapeutics. Grainger a aussi dirigé un groupe de recherche internationalement reconnu au département de médecine de l’université de Cambridge, où il a signé plus de 80 articles en tant qu’auteur principal pour Nature, Science ou Nature Medicine. Ayant à son compte plus de 150 brevets et demandes de brevets, il siège enfin à la tête du comité d’attribution des prix de Médecine Appliquée de la British Heart Foundation. WuXi AppTec Communications a récemment interviewé David Grainger à propos des perspectives cliniques et des objectifs de Methuselah, et sur ce que nous promet l’avenir en termes d’extension de durée de vie humaine.

Nota : Nous avions déjà parlé des travaux de Miroslav Radman ici, lors de notre lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle de 2017.

 

WuXi:  Comment définissez-vous le vieillissement ? Est-ce une maladie en soi ? Un groupe spécifique de maladies ?

David Grainger: Au niveau le plus simple, le vieillissement est le changement de caractéristiques d’un organisme au cours du temps. Tout comme une bonne bouteille de vin rouge, ces changements peuvent être positifs ou négatifs. En un sens, la croissance de l’enfant est aussi du vieillissement : les caractéristiques et capacités de l’individu changent avec les années. Mais ce genre de changement positif est usuellement appelé “développement”, tandis que le terme “vieillissement”, du moins pour les êtres humains, est réservé au déclin fonctionnel qui suit.

Heureusement, nous pouvons nous contenter d’une définition scientifique bien plus simple : le vieillissement est le changement du taux de mortalité au sein d’une population donnée en fonction du temps, illustré par la fameuse équation de Gompertz. Pour faire simple, chaque année, vos chances de mourir augmentent, au début assez peu, puis de plus en plus, exponentiellement, et donc considérablement vers l’âge de 90 ans. La même équation décrit votre probabilité de développer de nombreuses maladies dégénératives liées à l’âge, comme le diabète, l’ostéoporose ou la maladie d’Alzheimer.

La question derrière toute la biologie du vieillissement est toute simple : pourquoi cela ? Pourquoi nos caractéristiques et capacités physiques demeurent-elles relativement semblables pendant des décennies, avant de décliner précipitamment ? Notre ADN, qui code pour nos protéines, reste largement inviolé, alors pourquoi mourons-nous ?

Chez Methuselah, nous voyons les maladies liées à l’âge, menant à la mort, comme les facettes d’un unique processus commun, processus mystérieux et jusqu’à présent inexplicable, aboutissant à la courbe de Gompertz. Notre mission est de comprendre cette biologie au niveau fondamental, afin de pouvoir intervenir contre les maladies liées à l’âge et, au bout du compte, allonger la durée de vie.

WuXi:  Quelle est votre technologie anti-âge, et comment l’appliquer ?

David Grainger: Notre technologie est basée sur une observation frappante de la part de notre scientifique fondateur, le professeur Miroslav Radman, il y a plus d’une décennie. Radman comparait une bactérie résistante aux radiations, Deinococcus radiodurans, à la commune E. Coli exposée à de hautes doses de radiations. Au-delà de 1 Gy de radiation gamma, l’ADN de E.Coli est réduit en pièces, ses protéines oxydées par des radicaux libres, et les bactéries meurent. De manière surprenante, l’ADN de D. radiodurans est tout aussi détruit par 1 Gy de radiation, mais la bactérie parvient à le reconstituer pièce par pièce, et à survivre. Et cela parce que ses protéines sont résistantes aux dommages oxydatifs. Ce qui nous enseigne que c’est la stabilité des protéines, et non la stabilité de l’ADN, qui est l’horloge fondamentale du vieillissement.

Methuselah Health a donc été fondée pour développer une plateforme capable de rechercher les protéines endommagées avec une indication quantitative, afin de nous permettre de tester l’hypothèse selon laquelle le vieillissement (et la fameuse courbe de Gompertz) ont leur origine dans l’accumulation de variantes endommagées de protéines. Si nous arrivons à identifier ces variantes qui s’accumulent dans les cellules, nous aurons la possibilité de mettre au point des traitements pour prévenir leur apparition ou les supprimer.

Nous sommes actuellement en train d’appliquer cette plateforme, qui a nécessité quatre ans de développement, à l’analyse d’échantillons biologiques d’individus souffrant d’affections diverses liées à l’âge, afin d’identifier les mécanismes déclencheurs de maladies comme celle d’Alzheimer par exemple, mécanismes qui n’auraient pas pu être détectés par des approches génétiques conventionnelles, parce que les dommages aux protéines ne sont pas encodés dans le génome.

WuXi: Que est le but de votre technologie ? Est-ce l’amélioration de la qualité de vie, ou l’allongement de l’espérance de vie moyenne ?

David Grainger:  A terme, nous espérons que Methuselah Health allonge l’espérance de vie moyenne. Nous pensons avoir compris, pour la première fois, pourquoi les chances de tomber malade et de mourir augmentent de façon exponentielle, et que nous pouvons intervenir pour ralentir l’horloge fondamentale du vieillissement.

Cela améliorera aussi la qualité de vie, parce que le ralentissement de cette horloge fondamentale allongera la période où le risque de développer des maladies n’est pas significatif. Cette approche contraste fortement avec celles consistant à prévenir les symptômes de maladies spécifiques : ces approches peuvent augmenter la durée de vie, mais les mois et années gagnées seraient de toutes façons minés par d’autres maladies. S’attaquer à l’horloge centrale du vieillissement a été le rêve de la science anti-âge pendant des décennies – peut-être même des siècles. Mais au cours des cinquante ou soixante dernières années – probablement la seule période de l’histoire de l’humanité où nos capacités scientifiques nous ont permis de réellement expliquer la biologie – le focus malheureux sur l’ADN comme horloge centrale du vieillissement a été un frein au progrès. Chez Methuselah Health, nous utilisons le terme d’ADN-centrisme.

En replaçant la focale sur les protéines, le professeur Radman a déjà fait radicalement progresser la discipline. Et la plateforme Methuselah est, en effet, le télescope qui nous permet d’éclairer ce monde nouveau qu’est la stabilité protéique et son rôle dans le vieillissement.

WuXi: Qu’est-ce que l’ADN-centrisme, et pourquoi est-ce un thème aussi important pour vous et pour Methuselah Health ?

David Grainger:  Nous avons écrit sur cette obsession de l’ADN comme horloge centrale du vieillissement à de nombreuses occasions, comme récemment pour Forbes. La génétique a été d’une aide incroyable pour comprendre une certaine classe de maladies, celles qui émergent d’un vice de développement de l’organisme, quand les plans fournis par l’ADN comportent une erreur héritée. Certaines de ces maladies peuvent apparaître assez tard au cours de la vie (au-delà de ce qu’on considère être le “développement”), mais elles ont toutes en commun d’empêcher l’organisme d’atteindre une forme optimale.

Mais ces maladies ne témoignent jamais d’une dynamique de Gompertz au sein d’une population – elles ont un pic d’incidence dans une certaine décennie de la vie, et si vous ne les avez pas développées à cette période vous ne les aurez probablement jamais. Ceci est très différent de maladies liées à l’âge, dont la probabilité de développement augmente inexorablement avec le temps qui passe.

Dopée par les succès de la génétique dans l’identification des causes de ces maladies “indépendantes de l’âge”, la communauté scientifique est partie du principe que les maladies liées à l’âge doivent avoir des origines similaires, quoique plus complexes, et que des analyses génétiques de plus en plus vastes (culminant dans le séquençage de l’entièreté du génome humain) finiraient par mettre à nu l’horloge fondamentale du vieillissement.

Vingt ans après la publication de la première séquence du génome, nous ne sommes pas plus avancés dans notre quête de la compréhension du vieillissement biologique et du mécanisme à l’oeuvre derrière les maladies liées à l’âge.

Pour nous, chez Methuselah Health, cet échec lamentable est entièrement compréhensible. Si on regarde au mauvais endroit, on peut regarder aussi longtemps que l’on veut, on ne trouvera rien. En mettant la focale sur la stabilité des protéines, nous pensons avoir trouvé le mécanisme central sous-tendant le vieillissement et ses maladies associées. 

source : Université de Liège

WuXi: Pouvez-vous rapidement expliquer la théorie de Methuselah concernant l’examen de l’instabilité protéique pour s’attaquer aux mystères des maladies dégénératives liées à l’âge ?

David Grainger:  Les dommages aux protéines ont été en général ignorés comme causes du vieillissement parce que tant que la séquence ADN est intacte, des copies neuves de protéines peuvent être facilement produites. Cela est tout à fait exact dans la très grande majorité des cas, quand la protéine endommagée est moins stable que sa version neuve. Très rapidement, les exemplaires endommagés sont dégradés et remplacés.

Mais occasionnellement, il arrive qu’une protéine abimée se révèle avoir une demi-vie plus longue que sa copie “parfaite”. Quelque chose de fâcheux survient alors : petit à petit, la proportion des variantes abimées augmente, jusqu’au point où cela commence à affecter le bon fonctionnement du tissu. Si sa demi-vie est très longue (parce que la version endommagée est mal aiguillée vers un compartiment sans possibilité de dégradation, par exemple), elle peut devenir dominante, et ce même si le gène n’est pas altéré. Un biologiste ADN-centriste peut être étonné de la facilité avec laquelle cela peut arriver.

Nous pensons que l’accumulation de ces protéines endommagées à longue vie (que nous appelons Variantes Dangereuses Hyper-Stables, ou HSDV [Hyper-Stable Danger Variants]) sous-tend le développement des maladies liées à l’âge. Grâce à la plateforme Methuselah, nous identifions les HSDV, et savons donc quels mécanismes cibler pour prévenir ces maladies.  

Ce qui est peut-être encore plus intéressant, c’est que les HSDV pourraient également expliquer la courbe de Gompertz. Les HSDV devraient logiquement s’accumuler jusqu’à un point d’équilibre donné (en partant du principe de taux de génération et de demi-vies constantes), ce qui donnerait une incidence indépendante du temps (comme pour les maladies causées par mutations de l’ADN). Mais si elles s’accumulent au niveau de la machinerie où les protéines sont traduites, cela peut créer une boucle de rétroaction. Au fur et à mesure que les protéines endommagées s’entassent dans le ribosome, la fidélité de traduction s’amenuise, entraînant la création d’encore plus de protéines faussées. Au bout du compte, la population des ribosomes ne produira plus que des protéines de mauvaise qualité.

Methuselah Health a des preuves très encourageantes en faveur de l’hypothèse de la fidélité de traduction comme horloge centrale du vieillissement. Vous n’avez la possibilité d’intervenir qu’une fois ce mécanisme biologique central compris.

WuXi: Avez-vous besoin d’un business model différent de celui d’une entreprise pharmaceutique ou biotechnologique traditionnelle ? Si oui, quelles seraient ces différences ?

David Grainger: Absolument pas. La compréhension du vieillissement n’est pas différente de celle de n’importe quel autre processus biologique. Et développer des traitements préventifs contre les maladies liées à l’âge, voire même ralentir l’horloge biologique fondamentale du vieillissement, ne diffère pas d’approches conventionnelles. Ce qui nous distingue, c’est où nous regardons pour orienter les traitements.

Notre plus grande difficulté réside dans l’importance centrale des mécanismes que nous mettons à jour. Il n’y a aucune raison pour que les découvertes de la plateforme Methuselah ne fournissent pas des cibles pour vaincre un grand nombre de maladies connues à la prévalence des plus élevées, de l’athérosclérose à l’ostéoarthrite, en passant par le diabète, les maladies auto-immunes, neuro-dégénératives, jusqu’au vieillissement lui-même. Ce grand nombre de cibles dépasse de loin les capacités des plus gros groupes pharmaceutiques du monde, sans parler de celles des petites compagnies de biotech. Notre business model est donc bâti autour de partenariats spécifiques à chaque maladie avec de grands groupes pharmaceutiques plus à même de nous aider à exploiter nos découvertes en biologie.

WuXi: Quels genres de partenariats globaux avez-vous, ou prévoyez-vous d’avoir ?

David Grainger: Methuselah Health a la chance d’avoir été fondée par Medicxi, une maison de capital-risque européenne bien financée, avec des investisseurs comme Johnson & Johnson, GSK, Novartis ou Verily, le bras “santé” de Google, qui sont également membres de leur comité consultatif scientifique. Ces liens, plus l’accès au capital, ont soutenu le développement de notre plateforme, et permis de passer des découvertes initiales du professeur Radman chez les bactéries à un modèle unifié pour expliquer le vieillissement biologique chez l’être humain.

Sur ces bases, nous sommes actuellement en pourparlers avec un certain nombre de grands groupes pharmaceutiques mondiaux pour mettre sur pied des collaborations stratégiques dans l’optique de développer des traitements préventifs pour des pathologies majeures. Nous devrions annoncer ces alliances dans le courant de l’année.

WuXi: Quand ces traitements anti-vieillissement seront-ils disponibles ?

David Grainger:  Sans la compréhension de l’horloge biologique fondamentale du vieillissement, et de la cause de la dynamique de Gompertz concernant la maladie et la mort, ce qui – avant que Methuselah ne commence à regarder du côté de la stabilité protéique – semblait hors d’atteinte, il n’y avait auparavant aucune perspective d’arrivée imminente de traitements pour prévenir les maladies liées à l’âge, et encore moins allonger la durée de vie.

Même en prenant en compte les connaissances apportées par la plateforme Methuselah, nous devons rester réalistes quant au temps nécessaire à la mise au point de médicaments préventifs pour des pathologies comme Alzheimer. La découverte de nouvelles cibles, en ce moment même, ne se traduira en traitements approuvés que dans une dizaine d’années. Malheureusement (du point de vue du développement de médicaments), les maladies liées à l’âge se déploient lentement, ce qui donne des tests cliniques vastes et longs. Et même si une plus grande compréhension des mécanismes biologiques nous permet d’identifier des biomarqueurs qui simplifient le développement, il y a une limite à la vitesse à laquelle les traitements peuvent être fournis aux patients.

Le plus grand progrès, et le plus grand défi, sera d’utiliser ces découvertes pour mettre au point un traitement qui module l’horloge biologique du vieillissement sans risque. Un tel traitement retarderait le risque de développer des maladies liées à l’âge, donnant aux patients des années supplémentaires de vie en bonne santé. Mais la phase clinique sera encore plus complexe. Methuselah Health peut, pour la première fois dans l’histoire humaine, comprendre la biologie du vieillissement suffisamment pour mettre au point, littéralement, un élixir de vie. Mais il est difficile d’imaginer un tel agent accessible aux patients dans les 20 prochaines années.

Traduction : Emmanuel

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