Sécurité alimentaire, colonisation de l’espace et transhumanisme
Nourrir 10 milliards d’individus en 2100 sera un défi, mais les pistes pour y arriver existent, elles peuvent aussi nous faciliter la colonisation spatiale.
Publié le 23 mars 2021, par dans « transhumanisme »
L’Anthropocène
Une nouvelle époque géologique ?
Les époques géologiques sont généralement définies en fonction du facteur dominant ayant un impact direct sur les strates géologiques qui couvrent la planète. Les variations du registre fossile désignent ainsi de nouvelles conditions impactant la planète de manière globale. Depuis la révolution industrielle, l’impact majeur sur la biosphère terrestre et sur l’atmosphère vient des activités humaines : trou dans la couche d’ozone ; déforestation massive ; sixième grande extinction ou dérèglement climatique sont quelques témoins de notre impact global. C’est pour cela que vers la fin du XXe siècle, le prix Nobel de chimie Paul Josef Crutzen et le biologiste Eugene Stoermer proposèrent l’idée d’une entrée du monde dans une nouvelle époque géologique : l’Anthropocène.
Bien que cette époque géologique ne soit pas officiellement reconnue par l’Union internationale des sciences géologique – nous serions donc toujours officiellement dans l’Holocène démarré environ il y a 10 000 ans – la date de début de l’anthropocène reste discutée : deux dates s’imposent, 1880 et le début de la révolution industrielle, ou 1950 et l’explosion de notre impact sur la planète. C’est pour cela que 1950 est aussi référé comme la date de début de la phase II de l’anthropocène. Et si une troisième date doit s’ajouter pour démarrer une phase III, 2020 se situerait en bonne position. En effet, une étude dans Nature évalue 2020 comme année pivot où la masse totale des manufactures d’origine humaine dépasserait la masse totale de la biosphère terrestre, bactéries incluses. Une première dans l’histoire de la planète.
Préserver la biosphère
L’impact humain devient tel qu’il va bien nous falloir trouver des stratégies pour préserver notre biosphère tout en maintenant l’opportunité pour tous de garder une vie décente. Le défi est de taille. Cependant, allié aux contraintes de la colonisation spatiale sur le point de démarrer, nous pourrions bien trouver une convergence d’intérêts. Cette convergence pourrait booster l’amélioration de nos technologies en réduisant leur impact écologique, voire en leur permettant d’être créatrices et réparatrices.
Nourrir le monde
Besoins alimentaires
Définir les besoins alimentaires précis pour un individu d’une population est un exercice complexe. La demande en calories d’un individu dépendra de son âge, de son sexe, du niveau d’activité qu’il est appelé à fournir ainsi que des contraintes environnementales. Selon les recommandations alimentaires 2015-2020 (p 96) publiées par le gouvernement américain, une femme nécessiterait entre 1 600 et 2 400 kcal par jour, et un homme entre 2 000 et 3 000 kcal. Mais au-delà du bilan énergétique vient aussi s’ajouter les apports nécessaires en vitamines et autres éléments nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme.
La question étant donc : quelle surface agricole minimale est-elle nécessaire pour nourrir une personne sur un an ? Question d’autant plus importante que d’ici la fin du siècle nous pourrions atteindre dix milliards d’habitants.
Le problème des surfaces agricoles
Lors d’une étude en 2009 sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estimait la répartition des terres agricoles ainsi :
Cela donne donc 5,8 milliards d’hectares utilisés pour nourrir la population. Si on part sur le principe d’une population à 7 milliards d’individus en 2009, cela fait environ 6 800 m² pour nourrir une personne. Bien entendu, cela ne prend ni en compte l’inégalité de sécurité alimentaire, ni les gaspillages avec presque 42 tonnes de nourriture jetée par jour dans le monde. Ces questions mériteraient un traitement spécifique. Là n’est pas le cœur du sujet de cet article. Il s’agit plutôt d’explorer des possibilités pour améliorer notre alimentation. Il s’agit également d’explorer comment nous pourrions réduire notre impact écologique, et de nous faciliter la colonisation du Système Solaire.
Ces contraintes appliquées à la colonisation spatiale
En effet, avec une telle demande par personne, pour une colonie martienne de 100 individus (nombre ambitieux de passagers annoncé par Elon Musk pour le Starship) il ne faudrait pas moins de 68 hectares de zone agraire pour que la colonie soit autosuffisante. Avec un sol toxique, l’infrastructure nécessaire rend la chose mission impossible. Et si l’on se projette encore plus loin, vers une colonie autosuffisante pouvant éviter une trop forte consanguinité, selon l’anthropologue Cameron Smith c’est minimum 20 000 personnes, soit 13 600 hectares pour les nourrir.
Comment améliorer cela ?
Une alimentation moins carnée
Une surconsommation de viande
Une chose saute aux yeux dans la répartition des terres agricoles, c’est la surreprésentation de l’élevage dans l’image d’ensemble. Outre l’occupation excessive des sols, la consommation en eau pose aussi des problèmes. L’élevage est très demandeur de cette ressource pour produire la même quantité de nourriture qu’un végétal. Sans compter que la production intensive a tendance à favoriser l’émergence de zoonoses. Dans certains cas, elles peuvent migrer vers l’humain et se transformer en pandémies. En 2009, la grippe A est d’ailleurs venu des élevages intensifs de porc au Mexique.
D’autant que la surconsommation de viande est aussi source de problèmes de santé. Cancers, risques d’obésité ou de maladies cardio-vasculaires voient leur incidence accrue. Sans compter la souffrance animale que peut générer aussi l’élevage intensif pour suivre le rythme. Loin de prôner un régime végétalien, une forte diminution de la consommation de viande est néanmoins nécessaire à une époque où les pays émergents adoptent de plus en plus le régime occidental d’une alimentation riche en viandes. Ainsi, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) préconise-t-il dans un rapport sur le changement climatique et les terres de diminuer notre consommation de viande.
Le changement diététique
Changement diététique. Les solutions d’atténuation du changement climatique du côté de la demande sont un complément essentiel des solutions axées sur l’offre, la technologie et la productivité […].
Les impacts environnementaux des « régimes occidentaux » riches en animaux font l’objet d’un examen critique dans la littérature scientifique […] Par exemple, si le régime alimentaire moyen de chaque pays était consommé dans le monde, la superficie des terres agricoles nécessaires pour fournir ces régimes varierait 14 fois, en raison des différences entre les pays en matière de protéines et d’apport calorifique des ruminants (-55% à + 178% par rapport à terres cultivées). […]
On estime que la réduction de l’apport en protéines animales réduit l’utilisation mondiale d’eau verte (provenant des précipitations) de 11% et celle d’eau bleue (provenant des rivières, des lacs, des eaux souterraines) de 6%. En évitant la viande des producteurs dont les émissions de GES sont supérieures à la médiane et en réduisant de moitié la consommation de produits d’origine animale, le changement de consommation pourrait libérer 21 millions de km² de terres agricoles et réduire les émissions de GES de près de 5 GtCO2-eq an-1 ou jusqu’à 10,4 GtCO2-eq an-1 lorsque l’absorption de carbone par la végétation est prise en compte sur les terres précédemment agricoles (Poore et Nemecek 2018, 2019).0
Extrait du Chapitre 1 – Agriculture et contexte
Il ne s’agit pas d’éliminer complètement la part animale de notre alimentation, mais de la réduire. Et comme le dit l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) dans un rapport sur le sujet, l’élevage peut aussi avoir un rôle positif sur les territoires si nous modifions nos pratiques vers le mieux.
Une solution insuffisante
Pour conclure, la réduction de la consommation de viande réduirait considérablement la pression écologique de notre alimentation au niveau planétaire. Cela s’avère une nécessité face au bouleversement climatique et l’homogénéisation des styles de vie. A défaut de devenir végétaliens, l’alimentaire étant aussi un domaine d’identité culturelle, j’imagine mal des populations entières abandonner leurs habitudes si facilement. Peut-être devrions-nous viser un objectif intermédiaire et tendre vers le flexitarisme.
Viandes cellulaires
L’avantage des viandes de culture
Néanmoins, la production de nourriture carnée s’est vue offrir une alternative intéressante avec les viandes cultivées. Cela permettrait de conserver les protéines animales dans notre alimentation tout en évitant la souffrance animale que l’élevage intensif implique. En effet, ces viandes cultivées n’ont nécessité la mise à mort d’aucun animal.
De plus, une étude de l’American Chemical Society datant de 2011 tend à montrer que la viande cultivée est largement moins coûteuse en ressources que la viande animale. Cela permettrait ainsi de réduire encore plus la pression environnementale. Les gains seraient de plus multidimensionnels, et selon l’animal concerné cela entraînerait :
- Une baisse du coût énergétique entre 7 et 45 % ;
- Une baisse entre 78 % et 96 % des émissions de gaz à effet de serre ;
- Une baisse de 82 à 96 % de la consommation en eau ;
- Une baisse de 99 % de la surface de terres exploitées.
Une option déjà d’actualité
Ces viandes de cultures sont cultivées dans des bioréacteurs. Cette technologie est similaire à celle utilisée pour la fermentation de la bière ou dans la production de certains produits pharmaceutiques. De plus, ils permettent la culture de viande dans des lieux où les terres agricoles sont rares. Par exemple, Singapour, ville-état engoncée dans une île où la surface de terre utile est une denrée précieuse, ne peut pas se permettre une agriculture développée. Le pays importe donc la quasi-totalité de ses denrées alimentaires. Pour rapprocher le producteur du consommateur et limiter aussi sa dépendance alimentaire, la cité-état au Merlion a développé les fermes verticales et en 2020, la Singapore Food Agency a autorisé la société Eat Just à commercialiser des nuggets de poulets à base de viande de culture.
Un autre domaine qui pourrait bénéficier de cette avancée des viandes de cultures, c’est le spatial. En effet, cela permettrait de fournir à des colonies humaines un moyen efficace de produire de la nourriture carnée. Ceci, en évitant le défi logistique (aujourd’hui de l’ordre de l’impossible) que représenterait la mise en place d’un élevage dans l’espace confiné d’un habitat pressurisé et isolé.
Cultures hors sols
Les différentes cultures hors-sols
Le monde des cultures hors-sols englobe tout un ensemble de techniques. Il est de fait difficile d’avoir une analyse globale des gains potentiels ou des désavantages de telle ou telle technique, chacune ayant ses particularismes. Elles se répartissent généralement en trois groupes, base des fermes verticales urbaines :
- L’aéroponie : les plantes sont nourries par la vaporisation d’un nuage de gouttelettes chargées de nutriments ;
- L’hydroponie : les végétaux sont alimentés en nutriments via un fin filet d’eau dans lequel baignent leurs racines ;
- L’aquaponie : il s’agit là d’un un système symbiotique. Les plantes cultivées sont nourries par des engrais créés par des bactéries à partir d’une colonie de poissons en pisciculture.
Avantages et inconvénients
Les rendements des cultures hors-sols sont nombreux. Elles peuvent être déployées dans des structures proches des villes, car non dépendantes des terres cultivables ; elles permettent aussi un impact écologique moindre, puisqu’en environnement contrôlé. De plus, ces cultures ont de meilleurs rendements et peuvent consommer jusqu’à 90% d’eau en moins qu’une culture normale. C’est fort de ces avantages que Singapour, dépendante de l’extérieur pour son autonomie alimentaire, s’est lancée dans les fermes verticales ; cela lui permet de limiter le risque de dépendance alimentaire. Mais aussi, elle s’assure un meilleur contrôle de la sécurité alimentaire pour ses habitants.
Néanmoins, bien que constituant une avancée, ces techniques ne sont pas exemptes de défauts. Ainsi, l’hydroponie et l’aéroponie peuvent nécessiter l’usage intensif d’engrais si elles sont pratiquées dans une logique excessive de rendement. Dans le cas d’un mépris des normes environnementales, cela peut provoquer le rejet d’eaux polluées aux engrais dans le milieu naturel. De plus, l’hydroponie a tendance aussi à produire des aliments peu goûteux et à la qualité nutritive amoindrie. Ça ne semblerait pas le cas pour l’aquaponie. Néanmoins, même si cette dernière semble aussi moins dépendante des engrais, elle nécessite une installation lourde et un niveau de connaissance plus important. Et si elle voit ses cycles interrompus, elle peut entraîner la perte rapide de toute la production ainsi que des poissons, bien plus rapidement que les autres techniques.
Des cultures d’avenir
Malgré tous leurs inconvénients, les avantages des cultures hors-sols sont nombreux. Certaines prévisions tablent sur près de 11% de croissance de ces cultures entre 2020 et 2026. En outre, elles permettraient de considérablement réduire notre impact écologique : consommation de ressource moindre ; réduction de la distance producteur-consommateurs ; etc. tout en assurant la sécurité alimentaire pour une population humaine grandissante.
Mais le domaine où ces cultures sont le plus prometteuses, c’est le spatial. Déjà, des expérimentations ont démontré la faisabilité de culture hors sol en impesanteur. Et les sols martiens pourraient être toxiques pour la vie. Cette réalité nécessitant ainsi une culture hors sol – du moins dans un premier temps – pour donner un léger niveau d’autonomie alimentaire aux premiers colons de la planète rouge.
Un posthumain moins gourmand en ressources
Transhumanisme et alimentation
Mais la réduction de l’impact écologique de la production alimentaire (diminution des surfaces utilisées et des ressources consommées) n’est qu’un des aspects. D’autres pistes de progrès, plus en adéquation avec la pensée transhumaniste, peuvent être explorées. Elles sont certes bien plus prospectives, les technologies n’étant pas encore immédiates et la surestimation de leurs possibilités étant possible. Mais un peu d’anticipation peut donner une voie à suivre et déclencher des évolutions mélioratives inattendues.
Ainsi, le transhumanisme contemporain ne se différencie pas seulement du Futurisme italien de l’entre-deux-guerres sur le plan idéologique, mais aussi dans l’approche de l’alimentaire. Le transhumanisme se rapprocherait plus d’une démarche technicienne de l’alimentaire :
- Par le Quantified-Self qui permet avec les objets connectés portables de mesurer l’état du corps. On mesure ainsi ses besoins et le régime alimentaire optimal à adopter ; il s’agit donc de savoir quoi mesurer et comment adapter l’alimentation pour optimiser les processus métaboliques de l’organisme.
- La cuisine moléculaire permettrait de concevoir des aliments sans élément toxique et optimaux pour les besoins de l’organisme. La viande de synthèse pouvant parfaitement un jour s’intégrer à cet aspect.
De meilleurs enzymes digestifs
Mais l’aspect principal du transhumanisme porte sur l’amélioration du corps. Cela pourrait être de doter l’humain de meilleurs enzymes digestifs. Afin de nous permettre de rester suffisamment nourri tout en consommant des aliments plus variés, voire en moindre quantité. De fait, cela limiterait notre impact écologique. Cela nous permettrait aussi de faciliter notre survie au-delà de la Terre. En diminuant les ressources nécessaires pour maintenir un habitat viable pour un individu, nous abaissons les contraintes logistiques. Cet abaissement de contraintes rend plus plausible la possibilité d’une installation humaine permanente et autonome.
Une humanité plus petite
Enfin, un des changements les plus radicaux mais pouvant avoir le plus grand impact, est la réduction de la taille des êtres humains. En effet, dans un article de 2012, Matthew Liao, Anders Sandberg et Rebecca Roache ont exploré cette idée. Un être humain va demander une certaine quantité de nourriture et de nutriments pour maintenir chaque kilogramme de son corps. En diminuant la taille de l’organisme il deviendrait ainsi possible, toutes choses égales par ailleurs, de réduire notre empreinte écologique. En effet, la masse organique de nos corps étant moindre, il en va de même de la quantité de nourriture nécessaire pour le maintenir. De ce fait, notre pression sur l’environnement pour produire notre nourriture s’en trouve donc réduite.
Une façon de réduire l’empreinte écologique, donc, serait une réduction de la taille des individus. L’augmentation du poids étant proportionnelle au cube de celle de la taille, même une petite réduction pourrait induire des effets importants, toutes choses égales par ailleurs. […] Une réduction de la taille moyenne des américains de 15 cm signifierait une baisse de leur masse de 25% pour les hommes et 23 % pour les femmes, et une réduction du métabolisme (15% / 18%), puisque moins de tissus biologiques implique des besoins énergétiques réduits et donc une consommation moindre de nutriments.
A way to reduce ecological footprints, then, would be to reduce size. Since weight increases with the cube of length, even a small reduction in, e.g., height, might produce a significant effect in size, other things being equal […] Reducing the average US height by 15 cm would mean a mass reduction of 23% for men and 25% for women, with a corresponding reduction of metabolic rate (15%/18%), since less tissue means lower nutrients and energy needs.
En guise de conclusion
En mixant modification de l’humain, viandes cellulaires et cultures hors sols, nous pourrions bien nous ouvrir de nouveaux territoires. Et ainsi nous pourrions transformer l’espèce humaine en une espèce multi-planétaire. Dans le même temps, nous sauverions la biosphère terrestre grâce à la limitation de notre impact écologique.
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