Séquencer son ADN : comment fait-on ? que dit la loi ? quels sont les enjeux ?

Par Julien Varlin, membre de l'association.

Publié le 9 mars 2019, par dans « transhumanisme »

La démocratisation du séquençage de l’ADN va très vite. Le nombre de personnes qui passent par des compagnies comme 23andMe pour obtenir leur propre génotype est en augmentation constante. Même dans un pays comme la France, qui l’interdit dans la plupart des cas, cela dépasserait déjà les 100 000 personnes. Pourtant, beaucoup d’inquiétudes surgissent aussitôt le sujet évoqué. La plupart des membres de l’Association Française Transhumaniste pensent  que l’interdiction ne sera ni tenable ni souhaitable, et que le meilleur moyen d’éviter les risques – qui existent – est d’avoir une démarche positive pour faire en sorte que le séquençage ait lieu dans les meilleures conditions possibles.

Lors du lancement du Human Genome Project en 1990, qui visait à séquencer l’ensemble du génome humain, ce projet semblait très ambitieux. Il s’est finalement achevé en 2003, deux ans plus tôt que prévu. Il s’agissait alors d’une cartographie générale de la longue séquence de 3 milliards de paires de base (les A, T, C, G…) qui est inscrite dans nos chromosomes, séquence dont 99,9 % est commune à toute l’espèce humaine. Le coût du premier séquençage fut de plusieurs milliards de dollars, aujourd’hui il est courant de trouver des offres de séquençage (mais un séquençage partiel) autour de 100 dollars. Il est probable que dans un avenir proche, il sera tout à fait courant de connaître son propre ADN.

Pour l’instant, beaucoup de pays interdisent à des particuliers de demander à obtenir leur séquençage génétique. En France, l’article 16-10 du Code civil prévoit que le génotypage « ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique », et l’article L.1133-4-1 du Code de la santé publique précise : « Le fait, pour une personne, de solliciter l’examen de ses caractéristiques génétiques ou de celles d’un tiers ou l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques en dehors des conditions prévues par la loi est puni de [3750 € d’amende] ».

Quelles sont les raisons qui poussent différents États à interdire ces tests génétiques personnels ?

Un des premiers arguments est que les informations sur les risques en termes de santé pourraient être fausses ou mal comprises par le grand public. Apprendre que l’on a un risque plus élevé que la moyenne de développer une maladie ou un cancer [1] pourrait conduire des personnes (on connaît tous et toutes des hypocondriaques) à sur-réagir, à s’inquiéter démesurément et peut-être à adopter des comportements “préventifs” pires que le mal. Les entreprises pourraient être amenées à simplifier abusivement certains résultats scientifiques à des fins de communication. Dans la logique qui prédomine dans de nombreux pays, les diagnostics sur la santé doivent passer par les institutions médicales, afin d’éviter des auto-diagnostics peu fiables et des diagnostics par des charlatans.

Il faut également compter avec le risque qu’une analyse génétique (ou plus exactement la combinaison de plusieurs analyses), fasse découvrir des liens de famille tout à fait insoupçonnés, ce qui peut avoir des conséquences psychologiques importantes (une famille se découvrant « recomposée »).  

Pour notre part nous pensons néanmoins qu’il est important de sortir d’une vision trop “paternaliste / maternaliste” de la médecine et d’encourager la connaissance médicale large (il s’agit du fonctionnement de nos propres corps !).

La réaction par rapport aux tests ADN est d’ailleurs plus négative que sur d’autres sujets, ce qui traduit aussi une forme de bioconservatisme. Par exemple, il est facile aujourd’hui d’obtenir des analyses de sang, d’apprendre par ce biais que l’on est porteur de maladies, de se renseigner sur d’éventuelles carences… Mais demander aujourd’hui à un médecin de prescrire un test ADN est difficile si l’on n’est pas atteint par une maladie particulièrement grave.

Il ne s’agit pas pour nous de rejeter le corps médical, et de prôner un modèle où l’individu serait seul face à des sociétés privées basées aux États-Unis. Il s’agit de trouver la meilleure façon de prendre en compte les pas de géants qui ont été faits en génétique. Car même si l’on en est encore aux prémisses, le potentiel est énorme : prévention, personnalisation des traitements (tel traitement sera plus efficace sur un individu possédant tel génome…), thérapies géniques… Il est tout à fait envisageable d’ouvrir la possibilité d’obtenir un séquençage sur demande et de l’associer à un rendez-vous obligatoire avec un médecin formé pour l’interpréter. Il serait également possible de développer le séquençage en France, que ce soit par le privé ou par le public. Actuellement, la médecine (en France comme ailleurs) voit la juxtaposition de plusieurs sphères, publiques et privées. Le choix de faire prédominer tel ou tel modèle est bien évidemment un choix politique, dont nous ne nions pas l’importance. Mais le non choix qui est fait actuellement, qui revient à faire l’autruche, ne résout rien.

L’autre grande crainte vis-à-vis des tests ADN est de les voir utilisés pour discriminer entre individus “mieux dotés” et “moins bien dotés” du point de vue génétique… On pense évidemment à des discriminations radicales comme celles imaginées dans le film Bienvenue à Gattaca, pour l’accès à certains métiers, ou encore à des discriminations par les assurances, qui seraient tentées de faire payer des tarifs très élevés à des personnes “à risque”.

Il faut prendre au sérieux ce risque, mais en rappelant que ce ne sont pas les généticiens et les généticiennes qui engendrent les inégalités et les injustices, qui n’ont pas attendu les tests ADN. Les discriminations à l’embauche sont déjà massives, et les assurances appliquent de multiples différences de tarifs entre individus, en fonction du “risque financier” qu’elles évaluent. Là encore, il existe de nombreux modèles différents, entre la logique “solidaire” de la sécurité sociale (cotisation en fonction des moyens, prestations en fonction des besoins, sans individualisation), la logique proche mais plus individualisée des mutuelles complémentaires, et la logique beaucoup plus individualisée des assurances qui se développent ces dernières années parmi les complémentaires santé. En tant que technoprogressistes, nous souhaitons un débat démocratique sur ces questions, afin d’assurer un accès aux avancées scientifiques pour le plus grand nombre. Nous pensons également que, plutôt que d’interdire les tests qui peuvent être utiles aux citoyens, il faut être rigoureux dans l’application des législations interdisant les discriminations réalisées à partir des résultats de ces tests.

De plus, il est souhaitable que l’ensemble des données génétiques puissent être utilisées pour les recherches médicales, particulièrement celles concernant la longévité. En France et dans l’Union européenne, il y a une tendance croissante des scientifiques et des décideurs à permettre la mise en commun de données dans cet objectif, compte tenu notamment des immenses avantages potentiels en matière de santé publique (dépistage de maladies rares, découverte de mutations génétiques positives…).

C’est un chemin différent de l’approche “technophobe”, qui a tendance en réalité à faire porter aux innovations technologiques la responsabilité de problèmes sociaux qui sont transversaux, plutôt que de questionner la société.

Mini guide sur le séquençage

(rappel : le séquençage est actuellement interdit en France, sauf dans un cadre judiciaire ou sur demande d’un médecin)

Le principe est toujours le même : on commande, on reçoit un tube en plastique dans lequel on crache et que l’on renvoie, puis on reçoit les résultats par mail.

Quelle est l’offre la plus avantageuse ?

Comparer les offres des sociétés : 23andMe, AncestryDNA, FamilyTreeDNA… Cela évolue, et il est impossible de tenir un guide à jour.

Séquençage complet ou incomplet ?

Aujourd’hui les principales sociétés (généralement offres inférieures à 100 $) proposent un séquençage incomplet (“génotypage”). Ce que l’on obtient, c’est une sélection de seulement quelques gènes codant pour des protéines. Le coût d’un séquençage complet (par exemple par la société Dante Labs) est encore assez cher, mais diminue très rapidement. L’avantage d’un séquençage complet est qu’il n’y aura plus besoin de refaire un séquençage au fur et à mesure que l’on apprend que telle ou telle partie du code génétique, qui n’avait pas été retenue dans le génotypage, était en fait importante. Avec la baisse des coûts, il est probable que dans un avenir proche l’on ne fasse plus que des séquençages complets.

Offres centrées sur la santé ou l’origine ethnique ?

Beaucoup de sociétés axent leur service sur une estimation de l’origine ethnique (AncestryDNA, FamilyTreeDNA…). 23andMe propose à la fois ce service, et des estimations liées à la santé (facteur de risque pour tel cancer, moindre risque de telle maladie génétique…).

Le plus important est de s’assurer d’avoir, inclus dans le service, le fichier contenant le résultat brut du séquençage : cela permet ensuite, en toute autonomie, d’envoyer ces données à d’autres sites (promethease, DNA.land…) pour les interpréter.

Il faut aussi vérifier si l’interprétation des résultats est donnée une fois pour toute après le test, ou si l’actualisation en fonction des évolutions des connaissances génétiques est incluse.

Comparer les services en fonction du pays d’où l’on commande

Pour prendre en compte les réglementations différentes, les sociétés proposent certains services à tel client qui commande depuis les États-Unis, qu’elle ne va pas proposer à tel autre client qui commande depuis la France. Vous pouvez le constater directement en modifiant le pays sur des sites comme celui de 23andMe ou de AncestryDNA.

Il semble que les sociétés acceptent de donner aux clients français les résultats concernant les origines ethniques, mais ne prennent pas le risque de transmettre des données de santé ni le fichier brut du séquençage, qui permet de les obtenir.

Une solution peut alors être de demander à une connaissance vivant dans un autre pays de commander le test pour soi, ou d’utiliser une boîte postale. (Les échantillons de salive se conservent assez longtemps et peuvent supporter quelques trajets supplémentaires).

Notes

[1] Sans se prononcer sur le fond, on peut penser au cas spectaculaire d’Angelina Jolie qui a demandé l’ablation de ses deux seins lorsqu’elle a appris qu’elle était porteuse d’une forte prédisposition génétique au cancer du sein.