TransVision Abidjan 2025, comme si vous y étiez

Compte-rendu du 18 congrès international transhumaniste TransVision Abidjan - 27-28 nov. 2025

Publié le 28 décembre 2025, par dans « Nos actions__Mouvement transhumaniste »

TransVision est sans doute la plus ancienne et en tout cas la plus pérenne des manifestations transhumanistes mondiales. Elle a été lancée la première fois en 1998, la même année qu’a été fondée la World Transhumanist Association (aujourd’hui Humanity+).

Depuis une trentaine d’années donc, elle a été surtout organisée en Europe et en Amérique du Nord. Elle est passée une fois en Amérique du Sud, mais c’était cette année la toute première fois qu’elle déposait ses valises en Afrique.

Ainsi, les 27 et 28 novembre derniers sont intervenus à Abidjan, sur place ou en ligne, des personnalités comme James Hughes, Natasha Vita-More, Ben Goertzel, Didier Coeurnelle, etc. Mais on a aussi pu entendre la pensée de Jean-Michel Besnier et de Ébénezer Njoh Mouellé, respectivement parmi les philosophes français et africains qui se sont penchés le plus tôt sur le questionnement transhumaniste.

Faut-il un transhumanisme africain ?

La question qui leur était posée était donc de savoir ce que le transhumanisme pourrait représenter pour l’Afrique. Est-ce une nouvelle forme de pensée importée du monde occidental qui ne peut qu’être imposée sur un mode néo-colonial ? Est-ce une source d’espoirs pouvant permettre un rattrapage technologique et économique ? Est-ce au contraire une menace pour les valeurs traditionnelles du continent ?

Je pense très intéressant de constater que les réponses qui ont été apportées ont émergé de la confrontation entre, d’une part, les orateurs occidentaux s’exprimant à partir de leur expérience déjà ancienne du transhumanisme dans leur pays respectif et, d’autre part, les penseurs africains en train d’inventer leur propre transhumanisme. Leurs réflexions sont encore en cours d’élaboration, mais elles proposent des perspectives originales en empruntant des chemins différents.

En écho aux réflexions portées par Natasha Vita-More ou Raphaël Liogier, sur la nécessité d’une approche philosophique, assurément indispensable pour poser d’abord les valeurs d’un transhumanisme africain, toute une série de chercheurs africains, des plus jeunes aux plus expérimentés, ont répondu en mettant en faisant valoir que leur tradition n’était pas pauvre de récits et de concepts articulant le rapport de l’humain à la technique. L’humanité toute entière étant d’abord sortie d’Afrique, l’expérience du rapport à la technique y est en quelque sorte plus ancien que nulle part ailleurs. Mieux, les pratiques d’amélioration ou de transformation corporelle par la technique y sont ancestrales.

La principale objection qui est faite au transhumanisme tel qu’il est interprété en Occident ne porte donc pas exactement sur sa désirabilité, et peut-être même pas sur ses conditions de faisabilités – un transhumanisme africain aura lieu parce qu’il sera souhaité – mais sur les processus socio-politiques à travers lesquels les décisions seront prises.

Ici, la pensée africaine paraît diverger de l’une des valeurs cardinales de la tradition européenne des Lumières. Au concept fondateur de l’ontologie moderne « Je pense, donc je suis. », qui consacre un individu d’abord tourné vers lui-même, l’Afrique oppose le principe de l’Ubuntu : « Je suis parce que nous sommes. » (voir : « Le Pr Josué Guébo présente le concept du “Transubuntu”, une nouvelle ontologie des relations humain-technologie« , AIP)

De là, découleront quantité de pratiques différentes. Quand l’Occident se soucie de consentement personnel, considérant que, in fine, c’est l’individu qui doit choisir, l’Afrique ajoutera qu’il faut aussi reconnaître les communautés comme ayant voix au chapitre. La recherche d’améliorations devra être entreprise en accord avec les différentes collectivités, aux différentes échelles, de la famille au peuple, et en tenant compte, en amont, de leurs intérêts et, en aval, des conséquences sociales que des transformations individuelles pourront avoir.

Bien sûr, un tel principe n’est pas absent en Occident, où il s’exerce à travers la loi. Mais là où, chez les occidentaux, c’est l’individu qui est posé comme première pierre de l’édifice social (« Les Hommes naissent libres et égaux … »), en Afrique – comme dans d’autres régions du Monde, particulièrement en Asie, il semble qu’une importance au moins égale soit accordée d’emblée à l’individu et aux groupes sociaux dans cette architecture.

Réalités d’un transhumanisme africain

Sur de telles bases, le transhumanisme sera-t-il une chance ou un malheur de plus pour l’Afrique ? Celui qui s’avance en provenance de la côte Ouest des États-Unis d’Amérique semble autant chargé de menaces que de promesses. D’ailleurs, en termes d’investissement, les États-Unis se désintéressent de l’Afrique. Les infrastructures qui permettraient au continent de participer à la course mondiale à l’IA et aux biotechnologies semblent manquer. Quant à la présence des capitaux européens ou chinois, bien visibles dans la capitale économique ivoirienne, sa logique semble perpétuer celle du néocolonialisme. La Chine a pris la relève de la France dans la construction des « éléphants blancs », et la France accapare les réseaux de services. Tous s’entendent pour garder surtout la main sur les ressources primaires du continent (secteur minier et agriculture).

(photos) Abidjan, ville de terribles contrastes

Il en résulte une disparité de développement toujours effarante. Les gratte-ciel côtoient les bidonvilles. L’exemple de la Côte d’Ivoire est édifiant. Le pays affiche une croissance de 7 % par an, portée par les multinationales (notamment françaises) et les ressources naturelles. Cependant, cette richesse profite à une minorité : 5 % des entreprises génèrent 80 % du PIB, tandis que 70 % de la population vit dans la pauvreté ou la précarité. Les délogements forcés, le chômage informel, la misère des producteurs de cacao, l’espérance de vie encore courte (≈ 62 ans) alors que des dirigeants très âgés s’accrochent au pouvoir, illustrent un développement excluant. Selon le témoignage de ses propres habitants, Abidjan semble être l’hyper-capitale d’un pays largement à l’abandon. Et si l’on parle des pouvoirs communautaires, au sommet de l’État, les récentes échéances électorales ne semblent pas augurer d’un quelconque changement.

Dans ces conditions, en réalité, il paraît probable que des pratiques transhumanistes commencent par aggraver les inégalités, comme c’est le plus souvent le cas avec l’arrivée de nouvelles technologies. Les pouvoirs en place les utilisent les premiers à leur avantage presque exclusif.

Dialogues internationaux

Mais au-delà de cette analyse crue, l’ambition de TransVision 2025 en Afrique était de penser le long terme. Aux suggestions technoprogressistes portées par l’AFT (Didier Coeurnelle pour une longévité améliorée en Afrique, Fred Balmont pour une spiritualité originale, et moi-même invitant à réfléchir aux possibilités d’une auto-expérimentation propre au continent), et par l’IEET (James Hughes, critique sur le cadre politique), ont répondu des chercheurs venus du Sénégal (Jeanne Diouf), du Nigéria (Ojochogwu Abdul), d’Afrique du Sud (Brenda Ramokopelwa et Cornelius Ewuoso), du Togo (Siba Tcha-Mouza), etc. sans oublier nos amis ivoiriens, Pancrace Aka, Franck Kouadio, Victorien Ekpo et bien d’autres, ainsi que leur chef de file Josué Guébo.

À ce concert, s’est ajoutée la voie singulière des représentants du Mouvement Transhumaniste Mormon (MTA), dont le président et plusieurs des représentants importants avaient fait le voyage depuis les États-Unis ou le Kenya. Ils ont démontré qu’il est possible d’interpréter le transhumanisme à travers une perspective spiritualiste chrétienne, ce qui peut parler différemment à l’Afrique.

Un transhumanisme africain : à quel train ?

Il en ressort que le problème, tout compte fait, ne serait pas pour eux de savoir si le transhumanisme sera une source de bonheur ou de malheur pour l’Afrique, mais plutôt de se demander comment, à partir de leur situation réelle et de leurs valeurs, ils pourront en tirer parti. En effet, il ne sert sans doute à rien de se lamenter sur le « retard » de l’Afrique. Plutôt que de courir le risque d’avoir encore un train de retard (à cause notamment d’une attitude conservatrice incarnée par certaines autorités académiques), ils choisissent de suivre l’injonction prononcée par leur maître à tous, Ébénezer Njoh Mouellé ayant depuis longtemps expliqué qu’il fallait monter dans ce train et y trouver sa place. Les wagons à bestiaux, la 3ème catégorie, la deuxième ou la 1ère classe, la soute à charbon, ou pourquoi pas un jour la locomotive ?

À cette fin, il est particulièrement encourageant de constater que TransVision 2025 aura contribué au développement d’un réseau international de chercheurs et de penseurs africains de plus en plus nombreux et actifs. La SIVOT, Société Ivoirienne de Transhumanisme, qui accueillait cette année la manifestation, sera assurément amenée à y jouer un rôle important.

Et maintenant, se pose la question rituelle : où aura lieu le prochain colloque TransVision ? En Afrique à nouveau, ou ailleurs ?

Restons en contact

Porte-parole de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog, chercheur affilié à l’Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET). En savoir plus