Est-il désirable de vivre 1000 ans ? Une réponse à Jean-Michel Besnier

Dans un récent livre, le philosophe Jean-Michel Besnier qualifie le désir de vivre beaucoup plus longtemps de "pitoyable", "pathétique", "barbare"... Voici une réponse à ses arguments.

Publié le 19 octobre 2016, par dans « Immortalité ?transhumanisme »

Il y a quelques jour est sorti le livre « Les Robots font-ils l’amour ? Le transhumanisme en 12 questions ». Il s’agit d’un dialogue entre Jean-Michel Besnier et Laurent Alexandre sur différents aspects du transhumanisme.

 

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De gauche à droite : la couverture du livre, Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier.

 

Laurent Alexandre est un polymathe aux casquettes multiples : énarque, urologue, chef d’entreprise… et expert sur la question du transhumanisme (auquel il se défend néanmoins d’adhérer). Régulièrement invité dans les médias, il en affirme l’inéluctabilité et fustige l’absence de conscience de notre classe politique par rapport à ces questions.

Jean-Michel Besnier est philosophe à la Sorbonne, et s’intéresse beaucoup à la question du transhumanisme. Il y voit le signe d’une humanité « fatiguée d’elle-même », dépressive, qui hait la chair et veut s’en affranchir… Sans s’y opposer directement, il livre dans ses écrits une vision très désabusée d’un transhumanisme qu’il juge mortifère.

 

Dans la préface, le livre se présente comme une « querelle », un « débat ferme », une « dispute agonistique » entre deux points de vue irréconciliables. Le lecteur s’attend donc naïvement à ce que les deux points de vue (favorable et défavorable au transhumanisme) soient représentés. Or, c’est loin d’être le cas.

Leur seul point de désaccord concerne l’inéluctabilité ou non du transhumanisme (affirmée par Laurent Alexandre, rejetée par Jean-Michel Besnier). Pour le reste, face à un Jean-Michel Besnier très critique, Laurent Alexandre se borne à des rappels technologiques et observe une « neutralité suisse » sur la question. A la fin, il va même jusqu’à qualifier le transhumanisme de « pensée religieuse » et de « pathologie psychiatrique » ! Ce livre est donc principalement un ouvrage critique du transhumanisme.

L’ayant lu avec intérêt, j’aurais de nombreuses choses à redire, mais je vais me concentrer ici sur le chapitre intitulé : « Est-il désirable de vivre 1000 ans ? »

 

Le bref paragraphe introductif du chapitre, supposé neutre, parle des perspectives d’allongement radical de la durée de vie. Puis aussitôt après : « Mais à quoi bon ? Et avec quel plaisir ? ». Sans aucunement suggérer que cela pourrait être positif, même pour la forme. Encore une fois, la neutralité apparente du livre est plus que douteuse… Mais voyons de quoi il retourne.

Jean-Michel Besnier, plus qu’à son habitude, a ici des mots très durs envers ceux qui désirent prolonger leur durée de vie. Selon lui, « l’entêtement à vouloir en finir avec la mort à tout prix a quelque chose de pitoyable », et « procède d’une attitude quasi barbare ». Il conclut son réquisitoire par : « personne ne peut vouloir vivre des siècles sauf à se résoudre à n’être plus qu’un animal dérisoire et pathétique ».

 

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Un transhumaniste selon Jean-Michel Besnier

 

Face à cela, Laurent Alexandre n’émet aucune objection. Étant en profond désaccord avec les arguments de Jean-Michel Besnier, je vais donc tenter une réponse dans cet article.

 

La peur de la solitude

« Si je vis mille ans et qu’on meurt encore autour de moi à 150 ans, quelle solitude ne vais-je pas éprouver ? La disparition continuée de mes contemporains sera une douleur continuelle. »

Cela suppose que seules quelques personnes puissent vivre des siècles. C’est un scénario très peu probable, sauf à supposer qu’une élite empêche consciencieusement la divulgation des techniques permettant de vivre plus longtemps. Auquel cas, elle serait responsable de sa propre solitude.

Mais, plus réalistement, même si les milliardaires de la Silicon Valley sont en avance en la matière, les technologies d’allongement de la durée de vie se démocratiseront peu à peu, comme toutes les autres technologies (mouvement que notre association encourage résolument). Cette angoisse de solitude semble donc bien théorique, et renvoie au mythe du vampire.

 

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Le vampire, curieux personnage qui passe l’éternité à s’en plaindre

 

La peur de l’ennui

Mais il ajoute aussitôt :

« Et puis, si j’accepte de survivre à ce désastre affectif, l’ennui risque fort de me dévaster ».

Je suis peiné d’entendre cela de la part d’un philosophe, écrivain et universitaire. En effet, on aurait pas trop de mille ans pour apprendre, expérimenter, créer… ne serait-ce qu’un millième de ce que l’on pourrait apprendre, expérimenter, créer.

Étant moi-même dans le monde universitaire, je ne connais personne dans mon entourage professionnel qui rejetterait une vie plus longue. Ne serait-ce que dans le cadre de ses recherches, c’est l’occasion d’aller beaucoup plus loin, d’explorer de nouvelles pistes et de nouveaux domaines, plutôt que de voir ses capacités cognitives se dégrader avec l’âge.

Et qu’en est-il des livres dont Jean-Michel Besnier se fait le défenseur dans le dernier chapitre ? Mille ans, ce n’est rien au regard de la quantité de livres disponibles en 2016. Sans parler de ceux qui seront écrits dans le millénaire à venir ! On dit que « vivre c’est choisir » ; admettons. Mais même alors, les choses que nous choisirions de faire en 1000 ans relèveraient déjà d’une sélection drastique par rapport à l’ensemble des choses que nous pourrions faire, découvrir, expérimenter, concevoir. Qu’on se rassure donc !

 

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Pour ceux qui ont peur de s’ennuyer…

 

Peut-être, après plusieurs millénaires, sera t-on repu de tout ce que peut offrir la vie, et sera-t-on alors disposé à mourir. Ou peut-être avant. Ou… peut-être pas. En effet, cette projection n’est valable que « toute chose égale par ailleurs » : dans 1000 ans, le monde sera sans doute infiniment plus vaste et complexe qu’il ne l’est déjà aujourd’hui, régénérant et élargissant sans cesse nos possibilités. Plus encore si l’on prend en compte les possibles augmentations de notre intelligence, de nos perceptions ou de notre créativité : les perspectives deviennent alors vertigineuses.

Mais si l’on décide alors de mourir, ce sera une mort consciente et choisie, et non plus une mort subie. A noter que les transhumanistes ne veulent en aucun cas « empêcher de mourir » ceux qui le souhaitent ! Beaucoup semblent considérer que « prendre la pilule de longévité » revient à abandonner l’option de mourir. C’est totalement absurde, sauf à supposer une entité maléfique qui vous maintiendrait en vie contre votre gré…

 

La mort, seul moteur de la vie ?

Mais au-delà de l’ennui, Jean-Michel Besnier considère que la mort est la seule chose qui peut nous motiver à vivre, à aller de l’avant. Sa « condition de mortel » est, selon lui, « un privilège » !

« La mort seule donne un sens humain à la vie » ; « c’est à la mort que nous devons toutes les manifestations de la vie symbolique qui font la culture » ; « il n’y a de désir que parce qu’il y a le temps qui l’exacerbe ». Il faudrait, selon lui, « aimer la mort qui fait seule la vie humaine ».

Sans mort, donc, pas de passions, pas de désirs, pas de rêves, pas d’ambitions… Vraiment ?

Pour illustrer mon propos, je vais prendre un exemple très simple : l’enfant.

 

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Un enfant bien affairé, malgré son insouciance face à la mort

 

Le jeune enfant ne sait pas qu’il est mortel : ses parents ne lui ont pas encore parlé de la mort. Parfois, les parents mentent pour retarder ce moment fatidique, en disant qu’une personne disparue « est partie en voyage ». Les enfants sont-ils pour autant amorphes et dénués de passions ? Bien au contraire ! Ils débordent d’énergie, de créativité, de curiosité. Ils veulent en savoir plus sur le monde, jouent avec application, passent des heures à ériger des constructions de cubes ou à dessiner… Et ne manquent aucunement d’amour et d’empathie pour leurs parents ou leurs compagnons de jeu.

L’état d’esprit d’un jeune enfant est donc comparable à celui d’une personne qui n’aurait pas conscience de la mort, qui ne sait pas qu’elle va mourir. A vrai dire, même lorsqu’on parle aux enfants de la mort, beaucoup haussent les épaules, tant cela semble lointain ! Ils ont un temps infini devant eux, pensent-ils. Exactement comme une personne « amortelle », que Jean-Michel Besnier ne conçoit que comme dépressive et neurasthénique.

Friedrich Nietzsche disait : « La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. »

A cela, Jean-Michel Besnier objecterait sans doute que Nietzsche pourfendait ceux qui ont trop peur de mourir pour vivre. Mais il désignait ceux qui fuient la mort sans pour autant « désirer vivre » ! Or, ce n’est pas le cas de l’écrasante majorité des personnes qui souhaitent vivre plus longtemps (à commencer par le fameux Ray Kurzweil). Ce sont, pour la plupart, des personnes qui débordent d’énergie et de créativité. Et la plupart de ceux que je connais ont justement su garder leur « âme d’enfant », en termes de curiosité et d’ouverture d’esprit.

 

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Les trois métamorphoses successives de l’esprit selon Nietzsche : le chameau (soumission), le lion (rébellion) puis enfin l’enfant (création). Un courte fable que vous pouvez lire ici.

 

Et Laurent Alexandre ?

Face à ce procès en règle de la longévité, Laurent Alexandre ne dit mot, se bornant à souligner que (pour résumer) « le premier homme qui vivra 1000 ans est déjà né ». Ce silence est surprenant, car il est directement visé par le discours de Jean-Michel Besnier !

En effet, dans l’émission télé « Les Grandes Questions », il déclarait :

« Moi, j’ai des choses à faire pour mille ans. Il n’y a que les déprimés qui veulent mourir à 75 ans. Quand on n’est pas déprimé, on a tellement de choses à faire, tellement de choses à voir… Je n’ai pas lu un millième des bouquins que je souhaiterais lire. Donc, si je pouvais vivre longtemps, je le souhaiterais. »

(source)

Vivement qu’il fasse son coming-out transhumaniste !

 

1000ans

Laurent Alexandre “a des choses à faire pour mille ans”. Nous aussi !

 

EDIT : Laurent Alexandre nous précise qu’il n’a pas répondu à Jean-Michel Besnier par manque de place. Il précise également qu’à ses yeux, le plus important n’est pas de soutenir les thèses transhumanistes, mais d’ouvrir le débat.

EDIT 2 : Cet article a été suivi d’un échange avec Jean-Michel Besnier, que vous pouvez lire ici.

Porte-parole et vice-président de l'Association Française Transhumaniste. Pour accéder à ma page perso (articles, chaîne YouTube, livre...), ou pour me contacter par e-mail, cliquez ici.