Le vieillissement est-il une maladie ?
Qu'est-ce qui différencie le vieillissement d'une maladie, au fond ? Il en a toutes les caractéristiques ! Cette question un brin provocatrice est une invitation à nous interroger sur l'arbitraire de nos catégories.
Publié le 23 août 2016, par dans « Immortalité ? »
Mise à jour : J’ai réalisé une petite vidéo YouTube sur le sujet. Cliquez ici pour la visionner.
Nous sommes tous d’accord pour dire que le monde se porterait mieux sans maladies. Que l’on aurait tout à gagner à faire disparaître le cancer, le sida, Alzheimer, la grippe ou même le simple rhume.
Certaines maladies entraînent une dégradation progressive de l’organisme (sur quelques semaines, mois ou années) débouchant sur la mort. Ces maladies sont considérées comme les plus tragiques et les plus inacceptables.
Mais le vieillissement n’est-il pas lui aussi une dégradation progressive de notre organisme débouchant sur la mort ? Certes, il est très progressif, et il concerne tout le monde. Mais une maladie n’a jamais cessé d’être une maladie sous prétexte qu’elle est très progressive et qu’elle concerne tout le monde.
Le vieillissement n’est pas inexorable
A cela, on objectera que le vieillissement est un processus « naturel » et « inscrit dans nos gènes ». On pourra aussitôt rétorquer que l’immense majorité des maladies sont, elles aussi, naturelles ! Et les maladies génétiques sont, par définition, « inscrites dans nos gènes ». Mais « naturel » est ici à comprendre dans un sens plus profond : le vieillissement serait une usure inexorable de notre organisme, un mécanisme intrinsèquement lié à notre biologie et à la vie en général.
C’est cependant inexact. D’une part, certains animaux et de nombreuses plantes ne vieillissent pas. D’autre part, le vieillissement est causé par des cellules sénescentes, et peut être ralenti si on élimine lesdites cellules (ou s’il devient possible de corriger leur dysfonctionnement). Il n’a donc rien d’intrinsèque à la vie, et on pourrait parfaitement imaginer le ralentir, le stopper ou même l’inverser. Au fond, où se situe la différence entre ces cellules sénescentes et les cellules cancéreuses, sur le plan de l’éthique médicale ? Si les deux conduisent à la dégradation de l’organisme, pourquoi les secondes seraient-elles plus dignes d’être combattues que les premières ?
Qu’est-ce qu’une maladie, au fond ?
Pourtant, dans l’imaginaire collectif, « maladie » sonne comme un terme médical rigoureux et précis. Après tout, la plupart des notions biologiques ont une définition objective. Par exemple, la notion d’espèce est définie par la capacité de ses représentants à se reproduire entre eux (bien que ce soit en réalité plus complexe). Cependant, la définition que donne Wikipédia du terme « maladie » est remarquablement vague : « La maladie est une altération des fonctions ou de la santé d’un organisme vivant ». Soit, mais qu’est-ce que la santé, en ce cas ? Là, on entre dans le flou total : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social » (c’est la définition donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé). Si le vieillissement entraîne des difficultés à se déplacer, à se souvenir de certaines choses ainsi que des douleurs articulaires, peut-on vraiment parler de santé ?
Pour illustrer à quel point le concept de « maladie » est subjectif, il faut se rappeler que par le passé, l’homosexualité était considérée comme une maladie, et que tous les efforts étaient faits pour la « médicaliser ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Qu’est-ce qui a changé entre temps ? Simplement la perception sociale de l’homosexualité. Jadis, elle était considérée comme une horrible perversion et un péché contre Dieu. Aujourd’hui, avoir la sexualité de son choix est considéré comme une liberté fondamentale de l’être humain (du moins dans certains pays).
Une maladie ne se définit donc que par le caractère « indésirable » de ses effets, ce qui est parfois très subjectif :
- Une inclinaison mentale à être extrêmement studieux et organisé durant ses études ne sera pas considérée comme une maladie, mais plutôt comme une qualité. En revanche, une inclinaison mentale à s’entailler les veines et à s’autodétruire aura beaucoup plus de chance d’être considérée comme une maladie.
- De même, si une personne dort 5 heures par nuit et est en pleine forme sans que cela affecte sa santé, elle sera considérée comme chanceuse à la loterie génétique. Mais si une personne doit dormir 15 heures par nuit pour être en forme, cela sera fortement handicapant dans sa vie quotidienne, et elle aura alors toutes les chances de consulter un médecin !
Pourtant, dans ces exemples, où se situe la différence de nature dans ces dispositions mentales et génétiques ? Nulle part. Les premières ont simplement un effet positif, et les secondes un effet négatif ou handicapant.
Repenser nos catégories
La question « le vieillissement est-il une maladie ? » n’est donc au fond qu’une manière de se demander : le vieillissement est-il souhaitable, désirable ? En quoi les dégradations de l’état physique et mental induites par le vieillissement sont-elles plus acceptables que celles induites par des maladies graves ? Si l’on accepte le vieillissement, ne faudrait-il pas également accepter le cancer et Alzheimer, et renoncer à financer la recherche médicale pour lutter contre ces maladies ?
Pour autant, beaucoup ne souhaitent pas considérer le vieillissement comme une maladie pour une raison morale : cela reviendrait à stigmatiser les personnes âgées, à les mettre dans une catégorie dévalorisante en les étiquetant comme « malades ». Mais n’est-ce pas prendre le problème à l’envers ? Cela devrait justement nous amener à nous questionner sur la manière dont nous percevons les personnes malades. Les premières victimes du sida étaient considérés comme des pestiférés, et c’est hélas encore parfois le cas aujourd’hui. Ne devrions-nous pas accorder aux personnes malades le même respect que celui que nous estimons devoir aux personnes âgées, au lieu de se montrer arrogant et méprisant ?
Cela étant dit, nous ne brandissons pas la phrase « le vieillissement est une maladie » en slogan. Le but de cet article est simplement de susciter un questionnement sur l’arbitraire de la distinction entre maladie et vieillissement. Nous considérons comme positif de financer la recherche médicale contre des maladies qui dégradent l’état physique et entraînent la mort. Si l’on veut être logique, ne serait-il pas tout aussi souhaitable de financer la recherche pour comprendre les mécanismes du vieillissement, et déterminer comment nous pourrions lutter contre la sénescence ?
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