Réponse à "Tuer la mort est un crime contre l’humanité"
Réponse à la tribune "Tuer la mort est un crime contre l’humanité", parue dans le numéro d'octobre 2015 du magazine La Recherche.
Publié le 7 décembre 2015, par dans « Immortalité ? »
Dans le numéro d’octobre 2015 du magazine La Recherche, trois médecins et chercheurs français signent une tribune virulente de trois pages, intitulée « Tuer la mort est un crime contre l’humanité ». Ils s’y opposent violemment au transhumanisme et à sa « dangereuse banalisation ».
Mais en quoi « tuer la mort » est-il donc un « crime contre l’humanité » ? Examinons leurs arguments de plus près…
Le choix des mots
Attardons-nous déjà sur le titre, et sur l’expression « tuer la mort ». Cette expression est utilisée de manière volontairement provocante par des transhumanistes américains pour susciter le débat. Elle ne doit cependant pas être retournée et prise au premier degré, comme c’est le cas ici.
Tout d’abord, « tuer la mort » sonne comme un meurtre, donc comme quelque chose de négatif. Or la mort n’est pas une personne, sinon dans la culture populaire. Ensuite, il ne s’agit pas de supprimer toute possibilité de mourir, et d’imposer une vie sans fin à des gens qui ne le souhaiteraient pas. Plus modestement, il s’agit de ralentir les mécanismes du vieillissement biologiquement, afin de vivre plus longtemps en bonne santé. Idéalement, ce vieillissement pourrait être ralenti au point d’être stoppé. Cependant, cela ne supprime en aucun cas la possibilité de mourir, en particulier chez des personnes qui ne souhaiteraient plus vivre.
Le véritable objectif est donc de « vivre le plus longtemps possible en bonne santé », ce que l’on résume ici par une expression chargée négativement (et détournée de son sens ironique initial) : « tuer la mort ». Voyons à présent en quoi cela serait un « crime contre l’humanité ».
Éloge de la Faucheuse
La pathologie et la mort sont le reflet des erreurs indispensables à la fonctionnalité complexe et à l’évolution de l’humanité. L’immortalité humaine est incompatible avec une certaine stabilité de l’évolution.
On retrouve ici la peur classique d’un transhumanisme qui mènerait à une société uniforme, à une armée de clones froide et standardisée. Or, le fait est que la pathologie et la mort ont énormément régressé depuis 2000 ans. L’humanité s’est-elle pour autant appauvrie, pour devenir plus plate et moins complexe ? Au contraire, elle n’a jamais été aussi riche et complexe, et nos vies offrent beaucoup plus de possibilités que celles de nos ancêtres (qui étaient prisonniers de la problématique de survie immédiate). Qu’on se rassure donc, faire reculer la pathologie et la mort ne rend pas l’humanité moins complexe, au contraire : cela en décuple les possibilités.
Quant à l’évolution (au sens darwinien), elle repose effectivement sur la mort d’un grand nombre d’individus et sur la sélection naturelle. Mais il s’agit là d’un processus infiniment lent à notre échelle, s’étalant sur des millions d’années. Qui voudrait encore de ce mode d’évolution barbare et inefficace, au regard de ce que la science a accompli en deux petits millénaires ? C’est devenu hors-sujet. En passant, il est amusant de voir des opposants au transhumanisme se soucier ici d’évolution…
Ils enchaînent aussitôt :
Les hommes doivent mourir et la médecine consiste aussi à accompagner la mort : l’homme est mortel pour maintenir l’intégrité de l’humanité.
Ainsi donc les hommes devraient mourir, car cela est dans leur nature profonde. On est ici face à une erreur de raisonnement très courante : on confond « ce qui se passe naturellement » et « ce qui est dans la nature profonde de l’homme ». C’est un raisonnement tautologique : « cela se passe ainsi, donc il est bon que cela se passe ainsi ». Cependant, à l’état naturel, l’homme a également un taux de mortalité infantile très élevé, ne vit jamais plus de cinquante ans et chasse des bêtes sauvages pour se nourrir et se vêtir. Utilise-t-on pour autant le même raisonnement pour en conclure qu’il faut nécessairement vivre ainsi ? Nos descendants trouveront sans doute cette « essentialisation » de la mort tout aussi ridicule.
La médecine opposée au transhumanisme ?
Un peu plus loin, les auteurs remarquent (à juste titre) une similarité entre la volonté des transhumanistes de repousser la mort, et celle des médecins de la combattre en soignant des maladies. Cependant, cette similitude est selon eux « superficielle » :
Les actions des médecins ne modifient en aucune façon l’intégrité de l’individu. De même que la médecine n’a pas pour objet de modifier l’espèce humaine mais de se concentrer sur les individus tels qu’ils sont.
Pourtant, de facto, la médecine a contribué, avec les progrès sociaux, économiques et d’hygiène, à faire passer l’espérance de vie de 25 ans à 80 ans en quelques siècles. Ce faisant, a-t-elle détruit ou même écorné l' »intégrité » de l’espèce humaine ? Cette intégrité était-elle davantage respectée lorsque nous risquions de mourir très jeunes à cause d’une simple maladie ? En augmentant l’espérance de vie, enfin, a-t-elle « modifié » l’humanité dans un sens aliénant et inquiétant ? En considérant cela, on comprend mal ce qui les contrarie tant dans l’idée d’allonger cette espérance de vie en bonne santé.
L’article se termine sur un éloge de la médecine par opposition au transhumanisme. Cependant, la médecine vient depuis peu de reconnaître la longévité comme une cause médicale à part entière : une étude de grande ampleur va ainsi étudier les bénéfices de la metformine en termes de ralentissement du vieillissement humain (voir cet article). Le but de la médecine a toujours été de combattre la mort en s’attaquant aux diverses maladies qui dégradent notre corps, avec des techniques de plus en plus sophistiquées. Pourquoi ne s’attaquerait-elle pas finalement au vieillissement, cette maladie ultime dont nous souffrons tous à partir d’un certain âge ?
On peine au final à voir où se situe ce « crime contre l’humanité », sinon dans le cadre d’une pensée étriquée qui idéalise la mort, l’essentialise, en fait une part vitale de notre humanité. Au même titre que les cancers ou les crises cardiaques ? Simple question de formulation. Pour faire un peu de second degré, on pourrait se demander si faire l’apologie de la mort de ses congénères, lorsqu’elle devient peu à peu évitable, n’est pas un début de « crime contre l’humanité » !
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