Pour un transhumanisme "open source"
Monopole, contrôle, espionnage... Pour éviter ces écueils et rendre les technologies accessibles au plus grand nombre, nous avons tout intérêt à développer un transhumanisme « open source ». Voici pourquoi.
Publié le 8 septembre 2016, par dans « Question sociale • Risques • transhumanisme »
Dans les œuvres de fiction, le transhumanisme s’inscrit souvent dans un futur dystopique dominé par l’argent et les multinationales. C’est notamment le cas du jeu Deus Ex, dont le dernier épisode a attiré l’attention des médias.
Bien entendu, les univers dystopiques sont plus propices aux fictions que les univers utopiques. Cependant, regardons ces récits de plus près : quelle dimension « dystopique » y revêt le transhumanisme ?
- Un exemple classique est celui des prothèses dont on découvre, à un moment de l’intrigue, qu’elles possèdent une puce électronique permettant de les contrôler à distance. Des individus mal intentionnés s’en servent alors pour les désactiver ou en prendre le contrôle.
- Un autre exemple est celui de la grande multinationale qui inonde le marché de ses technologies, rendant les gens dépendants. Puis, profitant de ce monopole, elle augmente brutalement les prix, et les gens n’ont d’autre choix que de payer.
Cependant, de tels scénarios sont peu probables dans le cas d’un transhumanisme « open source ». Essayons d’expliquer pourquoi.
Qu’est-ce que l’open source ?
Prenons un exemple classique : celui des systèmes d’exploitation.
Tout le monde connaît Windows. Ses usagers savent l’utiliser sans difficulté. En revanche, le fonctionnement interne de Windows est une « boîte noire » : seuls les ingénieurs de Microsoft savent comment il est conçu, et seuls eux peuvent y apporter des modifications. En horlogerie, Windows serait l’équivalent d’une montre qui ne peut pas être ouverte : on peut l’utiliser pour lire l’heure, mais pas la démonter ou la réparer soi-même.
A l’opposé, des systèmes d’exploitation comme Linux ou Android (installé sur plus de 86% des smartphones) sont « open source » : le code avec lequel ils sont conçus (« source ») est public et accessible à tous (« open »). Toute personne ayant les compétences suffisantes peut savoir comment Linux ou Android fonctionnent, et si besoin les modifier. En horlogerie, cela correspondrait à une montre que l’on peut facilement ouvrir et démonter, et dont les plans de fabrication sont fournis gratuitement.
Cela a deux intérêts majeurs :
- Un logiciel open source est par essence gratuit, puisque son code est rendu public sur Internet [1]. L’existence de logiciels gratuits et transparents de qualité (tels que le navigateur Firefox) met une pression positive sur les logiciels payants : il ne peuvent pas faire « moins bien », car sinon, leurs utilisateurs se tourneront vers leur équivalent gratuit.
- Un logiciel open source est transparent : il est beaucoup plus difficile d’y dissimuler une porte d’entrée dérobée (par exemple, un logiciel espion utilisé par un gouvernement). Par ailleurs, n’importe qui peut repérer des bugs et proposer une correction. La pratique montre que la communauté Linux (bénévole) est bien plus réactive en matière de correction de bugs que les équipes de Microsoft.
Open source et transhumanisme
Si le concept d’open source s’est popularisé dans le domaine informatique, il n’y est pas du tout exclusif. En particulier, on peut transposer ce concept aux technologies du transhumanisme :
- Sur le plan médical (fournir la « recette » du médicament, que chacun peut librement recréer)
- Sur le plan génétique (expliquer quels changements ont été faits dans l’ADN)
- Sur le plan prosthétique (fournir les plans de fabrication des prothèses, ainsi que le code source de leur programme informatique)
La dimension transparente (les plans de fabrication sont rendus publics) désamorce l’exemple de la « puce de contrôle à distance » donné plus haut : dans un système open source, il est difficile de dissimuler un tel élément. Et la dimension gratuite empêche une multinationale cupide de vendre des « boîtes noires » à prix prohibitif (comme ce médicament pour malades du Sida dont le prix a brutalement été augmenté de 5500%) : chacun peut recréer le produit à prix raisonnable.
Un produit open source ne doit pas nécessairement être directement produit par ses utilisateurs : une entreprise peut se charger de la production. Mais elle ne peut pas exploiter financièrement l’exclusivité d’un quelconque « secret de fabrication », et le prix de vente est alors beaucoup plus proche du coût réel de production. C’est par exemple le cas des médicaments génériques. Par ailleurs, les coûts de fabrication pourraient eux aussi s’effondrer pour certaines technologies :
- En génétique, la technique CRISPR/Cas9 permet d’éditer un ADN avec une précision moléculaire pour un très faible coût. Voir cette excellente vidéo explicative à ce sujet.
- Dans le domaine des prothèses, l’impression 3D a ouvert tout un champ d’application : il devient possible de télécharger et d’imprimer une prothèse soi-même.
Dans chaque domaine, l’existence de produits « open source » garantit un accès large et à bas coût au plus grand nombre. Cela met une pression positive sur les entreprises, qui ne peuvent alors plus proposer « moins bien ». Et dans le cas du transhumanisme, l’open source est un excellent bouclier contre les scénarios dystopiques décrits dans certaines œuvres de fiction. Il est donc essentiel de le soutenir et de l’encourager.
Notes
[1] On peut bien sûr modifier ce code source, le compiler pour en faire une « boîte noire », et le vendre. Cependant, les programmes sous licence GNU GPL interdisent cela : tout produit dérivé d’un tel programme doit obligatoirement être open source (le contraire étant puni par la loi). Il s’agit là d’un véritable « copyright inversé », empêchant tout forme de copyright subséquent. D’autres licences, comme celles de la famille BSD, autorisent les produits dérivés non-open source.
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