Les efforts de l’Arabie Saoudite dans la lutte contre le vieillissement
Traduction de l’article rédigé par Antonio Regalado. L'Arabie Saoudite investit dans la lutte contre le vieillissement.
Publié le 18 juin 2022, par dans « Immortalité ? »
Source : MIT Technology Review, “Saudi Arabia plans to spend $1 billion a year discovering treatments to slow aging”, 7 juin 2022
L’Arabie saoudite prévoit de dépenser 1 milliard de dollars par an pour découvrir des traitements permettant de ralentir le vieillissement.
Le royaume pétrolier craint que sa population ne vieillisse à un rythme accéléré et espère tester des médicaments pour inverser le problème. Le premier d’entre eux pourrait être la metformine, un médicament contre le diabète.
Toute personne qui a plus d’argent qu’elle ne sait quoi en faire finit par essayer de guérir le vieillissement. Le fondateur de Google, Larry Page, a essayé. Jeff Bezos a essayé. Les milliardaires de la technologie Larry Ellison et Peter Thiel ont essayé.
Maintenant, le royaume d’Arabie saoudite, qui a à peu près autant d’argent que tous ces gens réunis, va s’y mettre.
La famille royale saoudienne a créé une organisation à but non lucratif appelée Fondation Hevolution, qui prévoit de dépenser jusqu’à 1 milliard de dollars par an (NDLR un milliard par an, c’est le plus gros montant jamais annoncé dans ce domaine de recherche) de sa richesse pétrolière pour soutenir la recherche fondamentale sur la biologie du vieillissement et trouver des moyens de prolonger le nombre d’années que les gens vivent en bonne santé, un concept connu sous le nom de « durée de vie en bonne santé ».
Cette somme, si les Saoudiens peuvent la dépenser, pourrait faire de l’État du Golfe le plus grand sponsor des chercheurs qui tentent de comprendre les causes sous-jacentes du vieillissement – et comment le ralentir avec des médicaments.
La fondation n’a pas encore fait d’annonce officielle, mais l’étendue de ses efforts a été évoquée lors de réunions scientifiques et fait l’objet de discussions passionnées parmi les chercheurs sur le vieillissement, qui espèrent qu’elle financera de vastes études humaines sur des médicaments anti-vieillissement potentiels.
Le fonds est géré par Mehmood Khan, ancien endocrinologue de la Mayo Clinic et ancien responsable scientifique de PepsiCo, recruté pour le poste de PDG en 2020. « Notre objectif principal est de prolonger la période de vie en bonne santé », a déclaré M. Khan dans une interview. « Il n’y a pas de problème médical plus important que celui-là sur la planète ».
L’idée, populaire parmi certains scientifiques de la longévité, est que si vous pouvez ralentir le processus de vieillissement du corps, vous pouvez retarder l’apparition de multiples maladies et prolonger les années en bonne santé dont les gens peuvent profiter en vieillissant. Selon M. Khan, le fonds va accorder des subventions pour la recherche scientifique fondamentale sur les causes du vieillissement, comme d’autres l’ont fait, mais il prévoit également d’aller plus loin en soutenant les études sur les médicaments, y compris les essais de « traitements dont le brevet a expiré ou qui n’ont jamais été commercialisés ».
» Il nous faut faire déboucher ces recherches en biologie vers la recherche clinique et réglementaire. En fin de compte, cela ne fera pas de différence tant que quelque chose n’apparaîtra pas sur le marché qui profitera réellement aux patients », explique M. Khan.
M. Khan précise que le fonds est autorisé à dépenser jusqu’à 1 milliard de dollars par an, indéfiniment, et qu’il pourra prendre des participations financières dans des entreprises de biotechnologie. En comparaison, la division de l’Institut national américain sur le vieillissement qui soutient la recherche fondamentale sur la biologie du vieillissement dépense environ 325 millions de dollars par an.
Hevolution n’a pas annoncé les projets qu’il soutiendra, mais des personnes proches du groupe disent qu’il a envisagé de financer un X Prize de 100 millions de dollars pour une technologie d’inversion du vieillissement et qu’il a conclu un accord préliminaire pour financer un essai concernant la metformine, un médicament contre le diabète, sur plusieurs milliers de personnes âgées.
Cet essai, connu sous le nom de « TAME » (pour « Targeting Aging with Metformin »), (essai annoncé depuis de nombreuses années, et ne coûtant qu’une fraction d’un milliard soit 35 ou 50 millions) a été présenté comme le premier test majeur d’un médicament pour retarder le vieillissement chez l’homme, mais l’étude a attendu des années que quelqu’un souhaite la financer.
Nir Barzilai, un chercheur de l’Albert Einstein School of Medicine de New York qui a conçu l’essai TAME, a déclaré à un auditoire à Londres en avril dernier que Hevolution avait accepté de financer un tiers de son coût.
Cet accord, s’il est finalisé, serait une approbation de ce que l’on appelle « l’hypothèse de la géroscience » – l’idée encore non prouvée que certains médicaments, en modifiant les processus de vieillissement de base à l’intérieur des cellules, pourraient retarder l’apparition de nombreuses maladies, notamment le cancer et la maladie d’Alzheimer.
Le terme « géroscience » a été popularisé par Felipe Sierra, l’ancien chef de la division de la biologie du vieillissement aux National Institutes of Health des États-Unis, qui a récemment été engagé comme directeur scientifique d’Hevolution. Contacté par e-mail, Sierra a refusé de commenter, mais il a précédemment affirmé : <<le vieillissement est de loin, et je dis bien de loin, le principal facteur de risque de toutes les maladies chroniques >>.
En cours de vieillissement rapide
Le gouvernement saoudien pourrait être partiellement motivé par la conviction que les maladies du vieillissement constituent une menace spécifique pour l’avenir de ce pays. Selon des documents préparés par Hevolution et consultés par MIT Technology Review, il est prouvé que les habitants des États du Golfe « vieillissent plus vite biologiquement que chronologiquement ».
En fait, le pays est assailli par les maladies de l’abondance provoquées par une alimentation trop riche et un manque d’exercice. Même si l’Arabie saoudite a une population relativement jeune, avec un âge médian d’environ 31 ans, elle connaît des taux croissants d’obésité et de diabète. Dans une étude publiée en 2019 dans le Saudi Medical Journal, des responsables de la santé publique saoudiens ont déclaré que la prospérité du pays avait entraîné un « besoin urgent d’établir des programmes de prévention et de contrôle. »
Hevolution a reçu sa charte par ordonnance royale en décembre 2018 (NDLR déjà plus de 3 ans !?) et son président est le prince héritier saoudien, dirigeant de facto Mohammed bin Salman. Font également partie du conseil d’administration, Evgeny Lebedev, un homme d’affaires russo-britannique, le milliardaire américain Ron Burkle et Andrew Liveris, l’ancien PDG de Dow Chemical, selon un prospectus d’Hevolution consulté par MIT Technology Review.
Le calendrier du décret royal suggère que le projet pourrait exister en partie pour redorer la réputation de l’Arabie saoudite et de bin Salman, qui s’était effondrée en octobre 2018 en raison de l’assassinat d’un journaliste du Washington Post par un commando qui, selon les États-Unis, a agi sur ordre du prince. Le meurtre du journaliste, Jamal Khashoggi. Cela a amené Joe Biden, à l’époque candidat à la présidence, à qualifier l’Arabie saoudite d’État « paria » faisant preuve de bien peu de compassion.
Les initiatives de l’autocrate saoudien signifient que les organismes de recherche américains devront évaluer s’ils doivent accepter l’argent d’Hevolution, qui sera probablement offert via une branche américaine à but non lucratif que l’équipe de Khan est en train de créer.
Peter Diamandis, président de la Fondation X Prize, qui organise des compétitions techniques de haut niveau, a confirmé par écrit qu’il avait exploré la possibilité qu’Hevolution devienne le sponsor d’un prix de 100 millions de dollars pour l’inversion de l’âge, qui devrait mettre en compétition des équipes scientifiques pour faire rajeunir des animaux. Ces discussions n’ont pas progressé. Une autre personne connaissant bien le X Prize a déclaré qu’il avait trouvé d’autres sources de financement.
Le groupe qui a décidé que l’acceptation de l’argent saoudien ne poserait pas de problème est l’American Federation for Aging Research, un organisme à but non lucratif représentant des chercheurs en géroscience, dont Barzilai, qui tente depuis plusieurs années de réunir 55 millions de dollars pour mener à bien l’essai TAME.
<< Le conseil d’administration a constaté que de nombreuses institutions aux États-Unis recevaient de l’argent des Saoudiens et que nous pouvions en faire autant. C’était l’essentiel >>, déclare Stephanie Lederman, qui est la directrice exécutive de la fédération. << C’est l’occasion pour des milliers de personnes d’en bénéficier – d’abord les scientifiques, puis la population du monde entier. Cela pourrait permettre à beaucoup de gens de vivre plus longtemps en bonne santé.>>
Un médicament contre le diabète
Il y a huit ans, M. Barzilai a attiré l’attention sur les efforts qu’il a déployés pour persuader la Food & Drug Administration américaine d’autoriser cette étude (Metformine) unique en son genre. Comme le vieillissement lui-même n’est pas facile à mesurer, ni même considéré comme une maladie par les autorités réglementaires (FDA), l’objectif de l’essai TAME est plutôt de voir si la prise de metformine peut retarder l’apparition d’une série de maladies liées à l’âge. Les chercheurs disent qu’ils espèrent recruter 3 500 personnes de plus de 65 ans dans 16 centres américains et déterminer, après cinq ou six ans, si elles souffrent moins de maladies cardiaques, de démence et de cancer que les personnes qui n’ont pas pris le médicament.
La metformine est un vieux médicament, mais elle a suscité l’intérêt parce qu’une vaste étude des dossiers médicaux britanniques a montré que les diabétiques qui en prenaient vivaient plus longtemps que prévu, et même plus longtemps que les personnes en bonne santé.
Parmi les autres médicaments cités comme de possibles composés anti vieillissement polyvalents, citons la Rapamycine, un immunosuppresseur qui a permis d’allonger la durée de vie de souris de laboratoire et qui a également été testé sur des chiens de compagnie. Jusqu’à présent, cependant, il n’a pas été prouvé qu’un médicament pouvait retarder le vieillissement chez l’homme, et certaines des premières expériences n’ont pas donné de bons résultats. En 2019, les tests sur l’homme d’une version de la Rapamycine ont échoué après que le médicament n’ait pas réussi à renforcer la résistance des personnes âgées aux infections respiratoires.
Personne ne sait non plus si la metformine sera efficace. Une étude à long terme sur des diabétiques, publiée cette année, a révélé que le médicament n’offrait aucune protection contre les problèmes cardiaques. Mais même si la metformine ne retarde pas le vieillissement, l’essai pourrait ouvrir la voie à d’autres médicaments de la géroscience pour des études sur l’homme. Mme Lederman s’attend à ce que l’essai soit enfin lancé si l’argent saoudien est versé. « Je n’en reviens pas qu’il ait été si difficile de le financer », dit-elle.
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