La mort de la mort. Lettre de septembre 2013. Numéro 54

Depuis plusieurs années, Didier Coeurnelle, vice-président de Technoprog! mais aussi co-fondateur de l'organisation internationale HEALES, publie une lettre mensuelle intitulée "La mort de la mort". Voici le #54, compte rendu de la conférence SENS6 qui s'est tenue à Cambridge au début du mois de septembre 2013.

Publié le 3 novembre 2013, par dans « transhumanisme »

La mort va-t-elle faire une pause? Conférence internationale de lutte contre les maladies liées au vieillissement en septembre 2013 à Cambridge.

 

Du 3 au 7 septembre 2013, des spécialistes de la longévité venus de partout dans le monde se sont rencontrés au Queens’ college de Cambridge. Le cadre de cette université est impressionnant et prestigieux. Ici vécut Erasme, il y a un demi-millénaire. Aux alentours, les bâtiments se prêtent à la réflexion philosophique sur le sens de la dégradation, mélangeant de manière apparemment aléatoire des bâtiments modernes commençant à vieillir et des édifices vieux de plusieurs siècles.

SENS6 photos des participants

C’était la 6ème édition de cette conférence intitulée SENS (Strategies for Engineered Negligible Senescence). Cet évènement se différencie d’autres rencontres internationales médicales en ce que l’objectif est explicitement de lutter contre le vieillissement.
Comme lors des rencontres précédentes, les découvertes et les hypothèses les plus récentes sont abordées, décortiquées, critiquées, …

Plus encore que lors des événements précédents, la perception d’une volonté collective de progresser est partagée par les scientifiques et par les « activistes » de la lutte contre le vieillissement. Ils sont de plus en plus nombreux à percevoir que les maladies liées au vieillissement perdent du terrain.

 

Les conférenciers et le public se sont d’abord penchés sur les questions médicales. Ensuite, d’autres exposés et les discussions durant les pauses ont également abordé les questions politiques et sociales. Parmi les interventions les plus écoutées, il y eut celle du psychologue américain Thomas Pyszczynski s’interrogeant sur les méthodes que nous, êtres humains, utilisons inconsciemment pour limiter notre crainte de la mort (théorie de la gestion de la peur).

 

En ce qui concerne les recherches proprement dites, parmi les nombreuses pistes dans le domaine de la lutte pour une vie plus longue, voici quelques-unes qui furent abordées (parmi celles les plus compréhensibles à un non-spécialiste) :

 

  • L’étude de la restriction calorique chez les primates et chez d’autres animaux. Manger beaucoup moins que ce qui est normal, mais de manière équilibrée, semble prolonger la durée de vie. Les résultats sont cependant contrastés notamment en ce qui concerne les expériences menées chez des singes rhésus.

·  Le séquençage de l’ADN de la baleine boréale, le mammifère ayant la durée de vie la plus longue (plus de 150 ans). Le patrimoine génétique de cet animal recèle probablement des pistes relatives à la longévité. Il est fascinant de constater que des espèces animales, parfois fort proches, ont des durées de vie maximales très différentes. Il est donc envisageable qu’une thérapie modifiant peu le patrimoine génétique influe néanmoins fort favorablement sur la longévité.

·  Certains vertébrés ont la capacité de régénérer d’importantes parties de leur corps. Il en va ainsi des axolotls, des salamandres étranges qui ne deviennent jamais adultes (néoténie). La capacité de régénération semble ne pas diminuer avec l’âge chez des batraciens. Ceci ouvre des perspectives pour la régénération humaine.

Le vieillissement est un phénomène d’une extrême complexité pour lequel, presque à chaque avancée, le scientifique se posera notamment la question: « Ai-je trouvé ici une cause ou un effet ? » De plus, dans ce domaine comme dans d’autres, beaucoup de progressions se feront « par accident » soit, en langage scientifique, « par sérendipité« , la progression des connaissances se produisant ailleurs que là où elle était envisagée ou espérée. C’est pourquoi il est important que ce type de conférence se tienne, donnant l’occasion de confronter les idées, les réussites et les échecs.

 

Moins de deux semaines après cette conférence, le 18 septembre, le célèbre journal Time titra « Can Google solve Death ? » En effet, Larry Page, fondateur et dirigeant de Google a annoncé au journal la création de la société Calico (pour California Life Company). Les domaines précis dans lesquels la société se spécialisera ne sont pas encore annoncés mais l’objectif global est sans ambiguïté: s’attaquer au vieillissement biologique et à ses causes. Vu les moyens de Google et sa capacité de s’aventurer dans des cheminements inhabituels, cette décision permettra le financement de recherches nouvelles prometteuses. L’initiative peut aussi servir d’électrochoc, notamment vis-à-vis des organismes scientifiques publics et privés qui hésitent encore à s’attaquer résolument aux maladies liées au vieillissement.

 

Pour en savoir un peu plus plus (en anglais)

 

  • Conférence internationale à Cambridge:

http://www.sens.org/outreach/conferences/sens6.

Voir à la page http://www.sens.org/outreach/conferences/sens6/accepted-abstracts pour les informations quant aux sujets abordés.

  • Article du Time:

http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,2152422,00.html

 

Didier Coeurnelle