Le clonage est-il réellement immoral ?

Y a-t-il de bons arguments en faveur du clonage reproductif humain ? Rouvrons ce qui fut l’un des premiers grands dossiers de la bioéthique.

Publié le 9 octobre 2025, par dans « Autres »

Le XXème siècle n’est pas encore terminé que la naissance de la brebis Dolly, clone génétique parfait de sa “mère” Geniees, six ans, secoue l’opinion publique. 

Ce n’est pas Geniees qui l’a mise au monde, mais une autre brebis “mère porteuse”. L’Humanité a enfin trouvé le moyen de conserver du matériel génétique sans recombinaison ni altération d’aucune sorte : le clonage reproductif (précisons d’entrée que  celui-ci ne doit pas être confondu avec le clonage thérapeutique, qui vise à produire de simples cellules souches saines pour guérir un patient).

Curieusement, l’exploit scientifique, largement réitéré depuis, génère une vague d’horreur, de récriminations et d’accusations de sorcellerie.

L’Assemblée générale des Nations Unies adopte en 2005 une résolution (non contraignante) contre le clonage reproductif des êtres humains ; la France fait voter quelques mois plus tard l’une des lois les plus sévères à ce sujet, prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à  trente ans de réclusion criminelle. Le fameux article 16-4 du Code civil français, qui pose par ailleurs le plus problème aux transhumanistes, est clair : 

“Nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine.

Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite.

Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée.

Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne”.

Il est intéressant de noter qu’en 2005 sort également en salles The Island, un film de science-fiction – grand succès au box office – qui dépeint une société dystopique où une caste de seigneurs crée des clones dans le seul but de s’en servir comme réservoirs d’organes… 

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Vingt ans plus tard, est-il permis de rouvrir le dossier du clonage humain ? Le récent exploit d’une équipe de chercheurs de l’université de Portland, qui a réussi à transformer une cellule de peau en ovule (ouvrant la voie à la reproduction pour de nombreuses femmes ayant perdu leurs ovocytes, et même de couples d’hommes) par le biais d’une technique inspirée de celle du clonage, nous a amenés à réfléchir à nouveau à ce qui fut le premier grand dossier de la bioéthique contemporaine, sinon son événement fondateur.

Alors, au fond, qu’y a-t-il de si problématique avec le fait de donner à un nouveau-né un code génétique connu ?

Un rapport parlementaire britannique de 2005 avançait que l’opposition au clonage tenait plus à des “tabous” qu’à une “démonstration cohérente”. Bernard Baertschi, dès 2003, alertait dans la Revue Médicale Suisse sur le fait que les arguments anti-clonage n’étaient pas les plus rationnels qui soient

On pourrait les ranger dans trois grandes catégories : 

  • Il ne faut pas sélectionner des traits génétiques, il faut “laisser faire le hasard” (et les déterminants sociologiques) dans le cadre de la sélection des partenaires sexuels ;
  • L’enfant cloné risquerait d’être vu comme un “objet” avec une finalité bien précise, des attentes très fortes de la part des parents, ceux-ci pouvant alors exercer une emprise renforcée ;
  • La construction psychique d’un individu cloné pourrait souffrir du fait que celui-ci est la copie génétique d’un individu l’ayant précédé en âge, ceci générant une sensation de prédétermination et de prévisibilité.

Si vous suivez l’AFT depuis un certain temps, vous savez ce que nous pensons de la première catégorie d’arguments. Le hasard et la “Nature” ne sont pas les meilleurs amis de l’être humain ; ce dernier se bat quotidiennement contre les injustices de l’un et de l’autre.

La seconde famille d’arguments, ceux de la “manufacture” dont parle B. Baertschi, et poussés à l’extrême dans le film The Island, peut paraître un peu naïve aujourd’hui. En effet, même les parents les plus abusifs et directifs ne peuvent contraindre leur progéniture à les ravitailler en organes neufs. C’est tout simplement inconcevable dans une société où règne l’état de droit. Quant à créer des “répliques d’eux-mêmes”, il est bien clair, pour qui a des notions d’épigénétique et de neurosciences de la conscience, que les enfants clonés seront totalement distincts de leur clone plus âgé sur les plans cognitif et psychologique. On peut même plutôt imaginer qu’un lien particulier, fort et presque “viscéral”, dans un cadre familial sain évidemment, se crée entre l’un et l’autre (“j’ai eu la même chose à ton âge” : tous les parents ne disent-ils pas cela pour rassurer leurs enfants ?). Vu sous cet angle, le clonage n’est en réalité qu’une “gémellité différée”, comme le suggère Wikipedia.

Cela ne doit pas nous faire oublier que les parents abusifs existent déjà ; que ceux qui espèrent que leurs rejetons feront le même métier qu’eux, ou reprendront l’entreprise familiale, n’ont pas attendu les dernières techniques de reproduction pour exercer leur emprise psychologique.

Le clonage reproductif peut-il a contrario nous ouvrir à de nouvelles formes de parentalité, moins descendantes et plus “d’égal à égal” ?

Enfin, la dernière famille d’arguments fait l’impasse sur les découvertes en épigénétique des quinze dernières années. Certes, les gènes ont leur importance, mais ils ne font que définir un cadre sur lequel le milieu et les autres êtres humains agissent de concert.

Il peut être déprimant d’apprendre à quinze ans que son “jumeau plus âgé” est frappé d’une maladie dégénérative inévitable à soixante ans ; le jeune cloné pourrait se croire sur une sorte de piste de bobsleigh génétique à l’issue funeste. Or : 

  • Entre-temps, la médecine peut progresser ;
  • C’est le cas déjà de nombreuses familles où règne une maladie à transmission génétique autosomique dominante ;
  • L’épigénétique nous apprend que des jumeaux homozygotes peuvent déclarer, ou pas, une pathologie en partie déterminée génétiquement.

Ceci étant posé, créer un être vivant dont on sait qu’il mourra jeune et souffrira en excès est clairement condamnable ; il paraît immoral de cloner un être humain atteint de myopathie congénitale, par exemple.

Cela, bien sûr, c’est voir le verre à moitié vide. Si on choisit de le voir à moitié plein, on peut imaginer qu’une arrière-grand-mère à la santé éclatante, n’ayant jamais été malade de sa vie, fasse don de ses gènes à une nouvelle-née. Pas de concurrence, pas d’emprise, et surtout, pas d’inquiétude de santé…

Nous pensons ici au cas de Maria Branyas Morera, qui a vécu jusqu’à 117 ans, et a effectué des tests sanguins et génétiques pour que les scientifiques “pêchent” quelques bribes d’indices pour nous aider à collectivement vivre en meilleure santé plus longtemps : une façon rapide et radicale d’appliquer ces recherches aurait pu être de cloner Maria Branyas Morera en dix exemplaires !

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Pour conclure, aucun argument sérieux ne nous paraît aujourd’hui suffisant pour condamner moralement le clonage reproductif ; celui-ci semble même intéressant pour faire bénéficier aux nouveaux-nés de génomes dont on sait qu’ils prédisposent grandement à une vie plus longue et en meilleure santé.  

Pour cela, il faudra bien sûr se défaire du tabou de la sélection génétique prénatale.

Rétrospectivement, que s’est-il passé pour qu’en 2005, soit près de dix longues années après Dolly, une salve de lois et de résolutions vienne condamner le clonage humain ? L’article de B. Baertschi nous rappelle que le sujet était sur toutes les lèvres à la fin de l’année 2002, lorsque la secte raëlienne a annoncé qu’elle avait fait cloner le premier être humain… Supercherie bien sûr, car la technique n’était pas au point pour l’humain à l’époque, mais on peut imaginer que les scénaristes de The Island y aient puisé leurs premières idées. 

Une querelle très médiatisée entre Peter Sloterdijk et Jürgen Habermas (de 1999 à 2003) défrayait également la chronique outre-Rhin à l’époque. 

L’influence du débat en Allemagne, pays marqué par les pires dérives de l’eugénisme étatique nazi, a-t-elle été déterminante en France ? Le coup d’éclat médiatique des raëliens a-t-il achevé de diaboliser le clonage ? De manière générale : en pensant au pire, a-t-on oublié d’imaginer le meilleur ?

Quoi qu’il en soit, il convient, plus que jamais, de s’interroger sur la façon dont les lois de bioéthique sont adoptées, sur leur contexte médiatique et historique. Rappelons que la PMA pour toutes les femmes a mis des décennies à s’imposer en France ; ces lois ne sont pas plus gravées dans l’airain que celles, transitoires, de la “nature humaine”.

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