Légaliser les substances psychédéliques ?

Cela a-t-il un sens de maintenir l'interdiction de substances comme le LSD ou la psilocybine, dans des sociétés qui tolèrent largement l'alcool ? Cela n'est-il pas contraire à notre "liberté cognitive" ? Quelques arguments pour stimuler votre réflexion !

Publié le 29 janvier 2024, par dans « Homme augmenté »

Note : Ceci est un article d’opinion, qui ne prétend en aucun cas refléter les positions officielles de l’Association Française Transhumaniste – Technoprog.

Résumé

• Les drogues qui sont les plus criminalisées ne le sont pas nécessairement pour de bonnes raisons, il y a souvent des raisons politiciennes derrière cela, parfois en conflit avec les observations scientifiques.

• L’usage dit « récréatif » est souvent déconsidéré, à tort selon moi : beaucoup des plus belles expériences de la vie seraient qualifiées de « récréatives » s’il s’agissait de drogues. Et les substances psychédéliques peuvent égaler (voire surpasser) le degré d' »intensité existentielle » de telles expériences.

• Les substances psychédéliques comportent bien sûr des risques, mais qui semblent globalement plus faibles que ceux de l’alcool, et beaucoup plus faibles que ceux d’une activité récréative comme l’alpinisme (qui n’a pourtant pas le même stigmate social).

• La légalisation de telles substances dans des pays comme les Pays-Bas ne semble pas poser de problèmes sociaux particuliers. Maintenir leur interdiction en France semble principalement reposer sur un « biais du statu quo ». On peut également arguer que c’est une entrave à notre « liberté cognitive ».

• À défaut de légalisation complète, un compromis provisoire pourrait être des « salles de trip » certifiées, permettant de consommer des substances psychédéliques dans un cadre qui minimise les risques.


Introduction

Dans son livre « Les portes de la perception », l’écrivain Aldous Huxley (auteur du « Meilleur des mondes ») décrit son expérience de conscience altérée avec la mescaline, l’une des quatre substances psychédéliques dites « classiques ». A la fin du livre, il défend une thèse qui peut sembler audacieuse : en tant que société, nous gagnerions à remplacer l’alcool par la mescaline.

Le raisonnement est très simple : la mescaline permet d’altérer la conscience de manière beaucoup plus profonde, riche et intéressante que l’alcool, tout en ayant globalement beaucoup moins d’effets indésirables. Si cette phrase vous laisse perplexe, dans un précédent article, j’ai tenté de décrire les effets subjectifs de la psilocybine, qui sont très proches de ceux de la mescaline ou du LSD (Note : j’ai consommé de la psilocybine dans un cadre totalement légal, comme expliqué dans cet article).

Des substances illégales… mais pas forcément « pour de bonnes raisons »

Dans la plupart des pays occidentaux, l’alcool est librement accessible en quantité illimitée, à la seule condition d’être majeur. En revanche, à l’exception des Pays-Bas, les substances psychédéliques sont illégales, et souvent classées dans la même catégorie que l’héroïne ou la cocaïne. On pourrait penser qu’il s’agit-là d’une classification rationnelle, basée sur l’avis éclairé d’experts scientifiques… mais il n’en est rien.

Comme l’explique le chercheur en neuro-pharmacologie David Nutt (dans cette interview à partir de 18:30), c’est une interdiction « purement politique », dans le cadre de la « war on drugs » qui fut initiée par le président américain Richard Nixon. Ce dernier voyait dans les substances psychédéliques l’un des « carburants » de la contre-culture des années 60, une contre-culture qui avait le mauvais goût de s’opposer à la guerre du Vietnam, dont il était un fervent partisan. Puis, en raison de l’influence disproportionnée des Etats-Unis, la plupart des pays occidentaux ont suivi cette interdiction. Et, l’inertie légale aidant, nous en sommes encore là aujourd’hui.

On ne peut donc pas considérer que ces substances sont interdites « pour de bonnes raisons », il faut en réexaminer les bénéfices et les risques sans a priori. Il serait bien sûr faux de prétendre que ces substances ne font courir aucun risque : toutes les substances psychoactives en comportent. Mon but ici est juste de montrer qu’elles posent significativement moins de problèmes que des substances légales et largement consommées comme l’alcool, pour des bénéfices incomparablement supérieurs.

Mais avant de parler des risques, quels sont ces bénéfices, justement ?

En défense de l’usage récréatif

Aujourd’hui, les défenseurs des substances psychédéliques mettent généralement en avant leurs applications considérées comme « nobles », comme l’exploration spirituelle, les expériences mystiques ou la guérison de la dépression. Ce sont des applications tout à fait intéressantes et pertinentes. Cependant, ici, je voudrais essayer de défendre un usage souvent déconsidéré : l’usage dit « récréatif ».

La drogue la plus largement consommée à des fins récréatives, c’est bien sûr l’alcool. Cela peut provoquer un état d’euphorie de quelques heures, où l’on peut (dans le cas idéal) oublier ses problèmes et passer un bon moment. Une euphorie qui se paye hélas souvent par une « gueule de bois » le lendemain, de plus en plus impitoyable avec l’âge.

Cela résume la vision populaire que nous avons des drogues : une euphorie passagère, et une fuite de ses problèmes. Quand bien même il n’y aurait pas d’effets négatifs (accidents, violence conjugale, gueule de bois…), cela est donc considéré comme une démarche un peu futile et superficielle.

Pourtant, il y a de nombreuses expériences récréatives que nous ne considérons généralement pas comme « futiles et superficielles » : escalader une montagne, voyager à l’autre bout du monde, regarder un film de grande qualité, se promener dans un parc un jour d’automne, peindre, chanter, passer du temps avec ses proches… Au contraire, nous considérons que ce genre d’expérience justifie le fait d’être en vie, voire qu’elles sont la quintessence même de la vie.

Or, des substances comme la psilocybine, consommées de façon responsable et dans de bonnes conditions, peuvent donner accès à des expériences qui appartiennent clairement à la seconde catégorie, et n’ont rien de commun avec une « cuite » à l’alcool. Je vais même aller plus loin : si je devais lister les expériences les plus incroyables de ma vie, à ce jour, la plupart d’entre elles seraient des expériences psychédéliques. Et je ne suis pas un cas isolé : lors d’une étude médicale sur la psilocybine, les deux tiers des 30 volontaires ont considéré avoir eu l’une des cinq expériences les plus « signifiantes » de leur vie.

Certains lecteurs seront peut-être choqués par cette déclaration : comment ? Mettre de vulgaires drogues au même niveau que son premier baiser, ou la contemplation des temples d’Angkor ? Mais nous ne parlons pas de « vulgaires » drogues, justement. Là où l’alcool nous offre une euphorie un peu « bête » en anesthésiant notre cerveau, les substances psychédéliques fonctionnent à l’inverse comme une sorte d’intensificateur existentiel. C’est comme si l’on avait passé toute sa vie à voir flou et en noir et blanc, et que l’on voyait soudain de façon parfaitement nette et en couleur.

Des expériences (très) signifiantes

J’ai déjà tenté de décrire « ce que ça fait » dans un article précédent (que je considère déjà comme dépassé, il me faudrait à présent y faire de nombreux ajouts). Ici, je vais juste donner deux exemples de « trips » récréatifs qui peuvent être des expériences « existentiellement signifiantes », autrement dit : des expériences que l’on sera toute sa vie heureux d’avoir eu (et pas un plaisir fugace et superficiel que l’on regrettera dès le lendemain, en vomissant dans un évier).

L’une des expériences les plus incroyables que j’ai eu peut sembler très simple, vue de l’extérieur : j’étais dans une chambre, la nuit, devant un ordinateur, et j’écoutais de la musique ou regardais des vidéos musicales. Il existe des vidéos spécialement conçues pour être regardées pendant un trip, oniriques (comme celle-ci) ou stimulantes (comme celle-là). A ce moment-là, ces vidéos étaient sensoriellement plus incroyables que les plus beaux paysages que j’ai pu contempler dans ma vie (sur la base de nombreux voyages). Cela est principalement dû à la synesthésie, à l’amélioration des couleurs et à l’appréciation musicale augmentée. J’étais dans un état d’euphorie intense, je pensais à énormément de choses à la fois, tout semblait « beau » et « cool » et « génial ». Je pouvais regarder des vidéos de chorégraphie musicale en boucle sans me lasser. J’étais inexplicablement reconnaissant du simple fait d’être en vie.

Un autre type d’expérience est d’aller dans un parc, et de profiter de l’appréciation augmentée de la nature. S’il fait soleil, je peux m’allonger dans l’herbe en écoutant de la musique, fermer les yeux et voir des fractales géométriques incroyables, ou les ouvrir et avoir une vision aussi détaillée que dans un documentaire sur des insectes. Chaque bout de paysage ressemble à une toile de maître. La végétation européenne, que je trouve parfois un peu « ennuyeuse », ressemble à une forêt tropicale extra-terrestre merveilleuse. Tout est incroyablement beau et satisfaisant à regarder, même un simple mur de vieilles briques. Tout en me baladant, mon cerveau tourne à toute vitesse, avec plein de pensées philosophiques et « existentielles », qui me donnent par moment envie de danser ou de pleurer de joie.

Tout cela est bien beau, mais quid de la « gueule de bois » ? Vous savez, la « descente », le moment où on « paye l’addition », le lendemain ou le soir même ? Eh bien, de façon assez incroyable : si on fait les choses dans les règles de l’art, il n’y a pas d’addition à payer. Ou plutôt si, mais juste pendant la première heure, où l’on peut se sentir un peu étrange et nauséeux. Mais lorsque le trip prend fin, on revient doucement et progressivement à son état normal, sans « contre-coup » physique ou émotionnel. On peut même passer une très bonne nuit de sommeil, avec tout au plus une légère migraine le lendemain. Puis, les jours suivants, au lieu de l’épouvantable gueule de bois causée par les trips à l’éthanol (aussi appelés « cuites »), on peut avoir un « afterglow », une sorte de réminiscence légère des aspects agréables du trip : couleurs plus vives, formes plus belles, sons plus profonds…

(Note importante : je ne parle ici que des psychédéliques dits « classiques » ou « sérotoninergique », comme la psilocybine, la mescaline, le LSD et la DMT, et pas de substances proches mais au fonctionnement très différent comme la MDMA, où la « descente » peut être très brutale, en revanche.)

Je dois cependant tempérer ce tableau qui semble beaucoup trop positif : de telles expériences ne sont pas systématiques, et demandent une certaine habitude (les premières fois ne sont pas toujours les plus agréables). J’ai également eu plusieurs expériences décevantes, voire, plus rarement, des « bad trips » très angoissants voire terrifiants (bien qu’ils furent au final des expériences enrichissantes). Mais on ne renonce pas à faire de la randonnée en montagne parce que l’expérience est parfois gâchée par la météo…

Et les risques ?

Bien entendu, toute substance comporte des risques, et nous allons en parler ci-dessous. Toutefois, une remarque importante en préambule : cela n’a de sens de comparer les risques de deux substances qu’à des doses comparables, c’est-à-dire, des doses qui ont une « intensité d’effet » comparable. Il serait absurde de comparer les risques d’un petit verre de vin avec ceux d’une dose dite « héroïque » de LSD. Tout comme il serait absurde de comparer l’effet d’une micro-dose de psilocybine à celui du « binge drinking ».

Citons tout d’abord les risques communs avec l’alcool. Le plus gros risque est d’avoir des comportements dangereux sous l’emprise de la substance (comme traverser la rue sans faire attention), et l’interaction avec d’autres substances. En parlant d’interactions fâcheuses, il est fortement déconseillé de combiner les substances psychédéliques et l’alcool, justement !

Il semble exister un risque théorique pour le cœur, en cas de consommation quasi-quotidienne prolongée (notamment dans le cas du « microdosing »). Cependant, cela ne semble pas concerner des « trips » espacés dans le temps. Cela est à mettre en balance avec l’influence néfaste avérée de l’alcool sur le cœur. Il convient toutefois de bien se renseigner en cas de pathologie cardiaque (arythmie, angine de poitrine, etc).

Un risque spécifique aux substances psychédéliques est celui de révéler ou d’aggraver des problèmes psychiatriques préexistants (psychose, schizophrénie, bipolarité…). Il y a une petite partie de la population pour qui ces substances sont donc contre-indiquées.

Certaines personnes parlent également de « flashbacks » ou de « persistance hallucinatoire » : une petite « remontée » du trip quelques jours ou semaines plus tard (suite à une consommation très importante, généralement). La perception de cela est très subjective, cependant : lorsque cela m’arrive (généralement après une sieste en fin de journée), c’est généralement une expérience très positive, une sorte de « mini-trip » bonus. Sauf cas très rares, ces « remontées » s’atténuent et disparaissent après une période de sobriété prolongée.

Enfin, il y a les fameux « bad trips », une possibilité qu’on ne peut pas totalement écarter, même en se préparant au mieux. Dans de très rares cas, cela peut être une expérience assez traumatisante, même s’il n’y a pas de séquelles physiques.

D’un autre côté, un énorme avantage par rapport à l’alcool est l’absence d’addiction physique : on ne ressent pas le besoin d' »avoir sa dose », même après une période de consommation très régulière. Il reste bien sûr l’addiction psychologique, qui concerne tout type d’expérience plaisante (comme voyager, regarder des films…).

Il est quasiment impossible de faire une overdose mortelle de substances psychédéliques. Une femme ayant pris 550 fois la dose normale de LSD a survécu, et rapporte même que cela a amélioré sa santé mentale ! Prendre une telle dose n’est toutefois clairement pas conseillé.

Enfin et surtout, il n’y a pas la lente destruction physique et cérébrale qui découle d’une consommation régulière d’alcool. Contrairement à ce que prétendait la propagande nixonienne, les psychédéliques ne « grillent » pas le cerveau, il pourrait même être bénéfique concernant les risques d’Alzheimer (mais cela nécessite davantage d’études).

Ces quelques paragraphes ne sont en aucun cas un guide médical : toute personne ayant décidé d’essayer une nouvelle substance doit se renseigner très en détail sur les éventuels risques. Cependant, en termes de risques sur la durée, les substances psychédéliques semblent « battre » assez facilement l’alcool. C’est en tout cas la conclusion d’une étude britannique qui a tenté de quantifier le niveau de risque global des principales drogues, légales ou illégales (ramené à une consommation individuelle). L’alcool arrive tout en haut de la liste, alors que les champignons à psilocybine arrivent en dernier. On peut débattre des critères de l’étude, mais cela devrait au minimum amener à revoir les préconceptions que l’on peut avoir sur les risques respectifs de l’alcool et des psychédéliques.

Psychédéliques VS alpinisme

En parallèle de la comparaison avec l’alcool, il serait intéressant de faire une comparaison avec des activités comme… l’alpinisme.

Imaginons une drogue nommée « alpinine », qui plonge dans un état de rêve éveillé de plusieurs heures voire plusieurs jours, où l’on s’imagine gravir une montagne en ressentant une forte exaltation. Au réveil, on se sent généralement très fatigué, plein de courbatures et d’engelures, et couvert de sueur. Plus rarement, on peut se réveiller avec un bras ou une jambe cassée, voire un traumatisme crânien, ou encore dans un état d’hypothermie avancée. Et parfois, on ne se réveille pas du tout.

Par ailleurs, l’usage de cette drogue aurait un coût financier et humain important. En effet, pour vous secourir d’un « trip à l’alpinine » ayant très mal tourné, il faudrait engager des frais très importants en ressources humaines et matérielles, et parfois mettre d’autres personnes en danger !

Une telle drogue ne serait probablement jamais légalisée au vu des risques qu’elle fait encourir, malgré ses effets plaisants. Pourtant, elle est fonctionnellement indistinguable de l’alpinisme, une activité parfaitement légale, qui n’est pas du tout stigmatisée, et qui est même valorisée socialement ! Si, à une soirée mondaine, vous révélez pratiquer l’alpinisme, cela ne suscitera pas des claquements de langue réprobateurs et des regards plein de jugement, mais plutôt des « ooooooh » admiratifs : « Oh, vraiment, vous faites de l’alpinisme ? C’est passionnant, dites m’en davantage ! »

Pourtant, l’alpinisme est une activité purement récréative, au même titre que la consommation d’alcool ou de psychédéliques. Tout comme l’équitation, la boxe, le deltaplane… Toutes ces activités sont beaucoup plus susceptibles de causer des accidents (voire la mort) que les substances psychédéliques, mais elles sont parfaitement acceptées socialement. Ce gigantesque double-standard devrait nous amener à réfléchir.


Faut-il changer la loi ?

Nous avons donc des substances qui, selon toute vraisemblance, présentent significativement moins de risques que l’alcool (à doses comparables), et qui, d’un autre côté, peuvent offrir des expériences d’une valeur incomparablement plus grande. En admettant cela, quel est le sens de maintenir ces substances dans l’illégalité, alors que l’alcool est parfaitement légal ?

La raison, c’est tout simplement que l’alcool est « culturellement intégré à la société » (en France, en tout cas), alors que les substances psychédéliques ne le sont pas. Mais pour toute personne sensibilisée au transhumanisme, il n’y a rien de plus agaçant que d’entendre : « c’est comme ça, les choses sont ainsi, et donc les choses doivent rester ainsi ». Comment, donc, pourrait-on faire évoluer ces normes culturelles ?

De nombreuses communautés de natifs américains ont intégré culturellement l’usage de la mescaline (contenue dans certains cactus) ou de la psilocybine (contenue dans certains champignons). Il s’agit ici d’un usage chamanique, cérémonial et religieux, et non récréatif. Toutefois, cela montre qu’une attitude radicalement différente par rapport à ces substances est possible : stigmatisées dans une culture, sacrées dans une autre.

Il y a également le cas très intéressant des Pays-Bas, où on peut (pour l’instant !) légalement acheter et consommer des truffes contenant de la psilocybine. De nombreux « smartshops » du centre d’Amsterdam en vendent librement à tout client majeur, et en font même activement la promotion dans la rue, avec des pancartes « magic truffles » vantant les effets de chaque variété. Cela ne semble pas causer de problèmes sociaux particuliers, y compris dans le cadre du « narco-tourisme ». En fait, les touristes qui semblent déranger les autorités d’Amsterdam, ce sont justement ceux qui viennent… pour boire énormément d’alcool !

L’exemple des Pays-Bas pourrait servir de « jurisprudence » pour d’autres pays européens. L’argument des « différences culturelles » entre la France et les Pays-Bas semble bien faible par rapport à ce retour d’expérience très concret (d’autant plus qu’une grande partie des consommateurs sont des touristes européens, justement).

Aux Etats-Unis, pays connu pour son emphase sur la liberté, des partisans de la légalisation avancent le concept très intéressant de « liberté cognitive », à mettre en parallèle avec la « liberté corporelle » revendiquée par les transhumanistes : tout comme on peut revendiquer la liberté d’avoir un corps non-standard, on peut également revendiquer celle d’avoir des états de conscience non-standards. Aux côtés des adeptes du « bod mod » (que certains voient comme des proto-transhumanistes), on pourrait donc mettre ceux du « brain mod », des « punks du cerveau » qui revendiquent d’être régulièrement dans des états de conscience très peu standards. Dans le cas des substances psychédéliques, le caractère temporaire de cette altération devrait en partie rassurer ceux qui pourraient trouver une telle démarche angoissante.

Enfin, on pourrait présenter comme injuste le fait de priver les citoyens d’un pays d’un certain type d’expériences « existentiellement très intenses et très signifiantes », alors qu’on l’on autorise des substances au moins aussi dangereuses (sinon beaucoup plus) et bien moins intéressantes. On cite souvent le « droit à la poursuite du bonheur » comme un droit humain fondamental. L’inertie culturelle et juridique est-elle une bonne raison de nous priver d’un outil extrêmement intéressant dans cette quête de belles expériences qu’est la vie ?

Un compromis : des « salles de trip » ?

Bon, soyons réalistes, un tel changement ne se fera pas facilement. Les préjugés par rapport à ces substances sont gigantesques, et des pays comme la France ont peu de chance d’accepter une légalisation complète du jour au lendemain.

Une première étape pourrait être la légalisation dans un cadre médical, vu les études très prometteuses concernant le traitement de la dépression. Plusieurs pays prennent lentement cette voie, et en cas de bons résultats, la France pourrait suivre.

Mais quid de l’usage récréatif dont nous parlons ici ? Une large partie de la population a peur de voir des hordes de toxicomanes « perchés » débarquer dans leurs rues, peu importe le nombre de documentaires que l’on pourra leur montrer sur des pays « où ça se passe bien ».

Une solution intermédiaire pourrait être de légaliser des « salles de trip » certifiées. Il s’agirait d’une sorte d’hôtel basique, où on louerait une chambre le temps d’un trip, en s’engageant à y rester un certain nombre d’heures. Cet « hôtel psychédélique » fournirait lui-même la substance (obtenue via un producteur certifié), et comporterait bien sûr une infirmerie en cas de bad trip, et un bouton d’appel d’urgence pour la contacter.

Après tout, comme décrit plus haut, on peut avoir une expérience incroyable dans une petite chambre avec un ordinateur et une connexion internet, ou même seul dans le noir. On perd la beauté d’un trip dans la nature, mais cela semble clairement préférable à l’interdiction totale actuelle. Cet aspect pourrait toutefois être résolu avec un petit jardin intégré à l’hôtel. Alternativement, vu que les psychédéliques augmentent énormément la « suggestibilité » de l’esprit humain, regarder une vidéo filmée par quelqu’un qui se promène dans un parc, dans une ville, dans un temple, dans une forêt… peut suffire à nous donner l’impression d’y être « pour de vrai ». Il y aurait également des choses intéressantes à faire avec des casques de réalité virtuelle.

Mais surtout, cela permettrait de montrer à la société que oui, contrairement aux énormes préjugés en la matière, il peut y avoir un usage récréatif « responsable » de ces substances, tout comme pour l’alcool (ou l’alpinisme !). Et par des gens totalement ordinaires, qui pourraient être votre voisin de pallier, votre tante, votre collègue de bureau… Permettre à la société de réaliser cela serait une étape importante vers une légalisation complète.

En attendant, on peut signer des pétitions comme celle-ci (supprimer les sanctions pour la simple consommation de drogues) pour aller dans le sens d’une approche moins répressive et davantage « evidence-based ».

Merci d’avoir lu jusque-là. Si vous souhaitez me contacter à propos de cet article : pierre.antoine.dekker@gmail.com

Pierre-Antoine Dekker

Porte-parole de l’Association Française Transhumaniste : Technoprog, chercheur affilié à l’Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET). En savoir plus