Transhumanisme, crime contre l'humanité ? Lettre ouverte à F. Berger
Le neurologue François Berger n'a pas de mots assez durs pour condamner le transhumanisme.
Publié le 20 avril 2016, par dans « transhumanisme »
Le neurologue François Berger n’a pas de mots assez durs pour condamner le transhumanisme. En octobre 2015, il co-signait une tribune intitulée « Tuer la mort est un crime contre l’humanité » (à laquelle nous avons répondu ici). En avril 2016, à l’occasion du débat « Science et conscience », c’est maintenant le transhumanisme dans son ensemble qu’il qualifie haut et fort de « crime contre l’humanité ». Son coup de gueule est résumé ici.
Cette banalisation du transhumanisme n’est absolument pas éthique, il faut lutter VIOLEMMENT contre
dit-il. Il ajoute ensuite qu’il faudrait
interdire ces choses-là sur le plan éthique
Pourquoi tant d’animosité ? On n’en saura pas plus dans cet extrait, où aucun argument n’est avancé. On note juste qu’il déplore l’absence de « réflexion éthique » – plan sur lequel nous estimons justement proposer une réflexion.
Il étaye un peu son point de vue dans dans cet article. Cette lecture montre qu’il y a un quiproquo majeur : même s’il y a des divergences importantes, sa critique se base sur une vision caricaturale et mal informée du transhumanisme Il nous semble donc important de lever ces ambiguïtés…
Homme (de paille ?) augmenté
On exhibe un post-humain amélioré qui va clairement à l’encontre des valeurs de l’humanité. On oublie que la créativité de l’homme, sa capacité à aimer et à penser sont aussi le résultat des erreurs d’un système complexe puis de la mort qui sculptent la complexité individuelle dans la société humaine.
Concernant les prétendues vertus du vieillissement et de la mort, nous avons déjà répondu ici. Pour le reste, François Berger semble considérer que le but du transhumanisme est de créer des êtres « parfaits » au sens le plus triste et réducteur du terme : des hommes-robots froids, lobotomisés et dépourvus d’émotions. C’est absolument faux. La philosophie du transhumanisme est précisément de développer ce qui fait la substantifique moelle de l’humain : notre capacité à penser, aimer, concevoir, ressentir ; notre conscience de nous-mêmes, notre sagesse, notre empathie, notre créativité, notre altruisme… Il ne s’agit pas de la recherche d’une « perfection » illusoire, mais au contraire d’un perpétuel dépassement de ce que nous sommes.
Un neurologue devrait le savoir plus que tout autre : notre cerveau actuel est déterminé par les aléas de la sélection naturelle. Sa taille est limitée par le volume de notre boîte crânienne, et il est condamné à se scléroser et à se dégrader avec l’âge. Cela représente-t-il le stade ultime et indépassable de ce que nous appelons « conscience » ? Nous ne le pensons pas. Les possibilités ouvertes par les technologies à venir (que ce soit dans 15 ou 150 ans) ouvrent la possibilité de dépasser ces limites biologiques arbitraires, et de faire de nous des êtres encore plus « existants ». On pourrait par exemple imaginer un plus grand nombre de connexions neuronales, ou une plus grande plasticité.
Ces perspectives peuvent être proches ou lointaines, nous ne prétendons pas jouer les prophètes du calendrier. Nous estimons simplement que cette porte ne doit pas rester à jamais fermée au nom d’un conservatisme biologique arbitraire, car cela reviendrait à priver l’humanité de son plus grand potentiel : celui de devenir plus qu’elle-même. En cela, la vision que François Berger se fait du « post-humain » (terme que nous évitons, car il suggère une finitude dans l’évolution) est diamétralement opposée à celle que les transhumanistes défendent.
Reductio ad gadgetum
L’essentiel de l’apport des technologies de l’électronique pour la santé se résumerait à l’obligation d’une connexion.
Affirmation sortie de nulle part. Si la « santé connectée » est un aspect qui intéresse le transhumanisme, il ne se borne aucunement à cela. Pourquoi une thérapie visant à allonger l’espérance de vie en bonne santé serait-elle nécessairement « connectée », par exemple ? Il semblerait que François Berger réduise le transhumanisme aux gadgets électroniques du « wearable computing »… et imagine qu’il y aurait « obligation » à s’en équiper !
Combien d’infarctus du myocarde à venir chez les «addicts» des bracelets connectés nous conseillant sans aucune validation des comportements modifiés ?
Nouvelle idée sortie d’on ne sait où : les transhumanistes prôneraient une dérégulation complète de la santé et un mépris de l’avis médical. Cela est peut-être le cas dans certaines approches purement libertariennes du transhumanisme. Mais la majorité des transhumanistes respectent l’expertise médicale, et cherchent justement à faire évoluer la médecine de la simple réparation vers la prévention et l’amélioration.
Soit dit en passant, ce « procès préventif » fait aux bracelets d’activité semble bien gratuit : François Berger redoute la mort par excès d’efforts physiques, mais la plupart des infarctus sont précisément liés à la sédentarité et à l’inactivité physique. En encourageant à plus d’activité physique quotidienne, ces bracelets iraient donc bien dans le sens des recommandations médicales !
Et si nous étions d’accord, au fond ?
François Berger dit s’opposer avec virulence au transhumanisme, mais un transhumaniste ne pourra qu’approuver les phrases ci-dessous, qui suggèrent des évolutions très prometteuses de la médecine :
C’est l’opportunité d’un autre modèle de développement économique pour la santé où des technologies «bas coût» de haute technicité bénéficient à l’ensemble de l’humanité parce que vendues à des milliards de sujets comme c’est le cas pour le téléphone portable. La vision partagée est bien celle d’une médecine digitale, électronique et innovante porteuse de multiples révolutions pour la prévention, le diagnostic et le traitement des pathologies. Elle sera contrôlée et respectera la privacité de chacun, équitable et parfaitement disséminée.
Mais, selon lui, le transhumanisme s’opposerait à ces évolutions ! On se demande vraiment d’où sort cette vision caricaturale et incohérente de « technophiles ennemis du progrès médical »…
Pour terminer, nous aimerions appeler à plus de modération dans l’usage de l’expression « crime contre l’humanité ». Elle désigne des actes graves, et l’employer pour qualifier tout et n’importe quoi n’est pas une attitude très respectueuses envers les victimes de ces atrocités. Pour rappel, voilà ce que la cour pénale internationale entend par crime contre l’humanité :
Que sont les crimes contre l’humanité ?
Les crimes contre l’humanité incluent des actes commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. La liste de ces actes recouvre, entre autres, les pratiques suivantes :
- meurtre ;
- extermination ;
- réduction en esclavage ;
- déportation ou transfert forcé de population ;
- emprisonnement ;
- torture ;
- viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
- persécution d’un groupe identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste;
- disparition forcée de personnes ;
- crime d’apartheid ;
- autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale.
Au regard de cette définition, nous laissons le lecteur juger de la pertinence de ces accusations…
PS : Voici un conseil de lecture qui pourrait aider François Berger à faire évoluer sa vision du transhumanisme !
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