Liberté, égalité, longévité. La mort de la mort. Septembre 2016. N° 90.
Thème du mois: longévité et inégalités
Publié le 2 septembre 2016, par dans « Immortalité ? »
Si vous regardez les développements importants qui pourraient se produire à l’avenir, celui qui sera probablement de l’ordre de la plus grande discontinuité dans l’histoire de l’humanité est lorsque l’immortalité humaine sera réalisée. Ceci se produira sans aucun doute. Stephen Wolfram, scientifique britannique créateur notamment d’un moteur de recherche en 2014 dans une interview pour Inc. Video (traduction).
Thème du mois: longévité et inégalités
Situation – d’hier et d’aujourd’hui – des inégalités devant le vieillissement
En fait, les femmes et les hommes ne naissent ni ne meurent égaux en droits et opportunités. De toutes les inégalités, celle devant la mort est peut-être la plus injuste. Il est étrange que certains affirment que nous sommes tous égaux devant la fin de l’existence. Nous mourons tous de maladies liées à la vieillesse si nous échappons aux autres causes de décès, mais nous mourons à des moments très différents. Nous sommes inégaux, selon le patrimoine génétique, le sexe, l’environnement, le lieu de naissance,…
La majorité de ces inégalités sont fixées avant l’âge adulte et elles sont très souvent marquées par un avantage aux plus riches. Les principales de ces inégalités sont:
- la condition sociale des parents (patrimoine et revenu)
- l’éducation
- le lieu de naissance puis le lieu de vie
- le sexe et l’ensemble des autres caractéristiques génétiques
Il convient de rappeler que la mort par vieillissement crée aussi une inégalité forte de par l’héritage. Pour les plus pauvres, le décès des parents se fera plus tôt et sera rarement accompagné d’une transmission de patrimoine important. Pour les plus riches, le décès des parents sera souvent précédé d’une période plus longue d’assistance des parents aux enfants puis aux jeunes adultes (même si la situation peut s’inverser en fin de vie des parents). Au décès, l’enfant recevra un capital important, même s’il ne s’est jamais occupé de ses parents et que son seul « mérite » est d’avoir gagné à la loterie génétique.
Cette source d’inégalité forte qu’est l’héritage familial fait l’objet d’un consensus social très large, même parmi les tenants d’une gauche radicale et quel que soit le pays. Ceci s’explique probablement par le fait que transmettre son patrimoine aux générations suivantes est une façon symbolique de « vaincre » la mort.
Dans un monde dans lequel la durée de vie serait considérablement plus longue, voire sans limitation de durée, l’inégalité successorale – et tous les conflits qu’elle génère – pourrait perdre beaucoup de terrain.
Pour revenir aux vivants, il n’y a, bien sûr, pas que la naissance et l’enfance pour déterminer la durée de vie. Le comportement à l’âge adulte, la profession, l’alimentation, les pratiques sportives, … auront également un impact important mais ces choix de vie sont eux-mêmes fortement influencés par les origines sociales. Par exemple, il n’est pas impossible que le fils d’une chirurgienne renommée et d’un cadre supérieur suisse diplômé d’Oxford finisse sa vie à 51 ans sans emploi sur un trottoir de Manille plutôt qu’à 89 ans dans une maison de retraite de Genève après une belle carrière universitaire. Il est néanmoins beaucoup plus probable que le premier destin décrit concerne des enfants nés sur des trottoirs philippins.
Aujourd’hui, l’âge moyen de décès des populations qui ont le moins de chance (les hommes pauvres des pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne) est d’environ 50 ans tandis que celle des plus chanceux est d’environ 85 ans (les femmes aisées de pays européens et asiatiques au niveau économique élevé). C’est dans le pays globalement les plus riches (les pays du Nord) et les plus égalitaires (notamment les pays scandinaves) que la durée de vie est la plus longue.
L’inégalité est profonde mais l’égalité a cependant considérablement progressé en ce qui concerne les différences selon les pays d’origine. En effet, la durée de vie moyenne progresse nettement plus rapidement au Sud qu’au Nord, même dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne où la situation est, encore aujourd’hui, très mauvaise.
Cependant, il semble que les différences d’espérance de vie selon les origines sociales à l’intérieur des pays riches ne diminuent pas, voire, selon certains, s’accroissent. Un exemple souvent cité est l’espérance de vie à Glasgow qui tombe à 54 ans pour les hommes dans le quartier le plus déshérité.
Qu’en est-il du futur des inégalités devant la mort ?
Les connaissances médicales relatives au vieillissement progressent rapidement dans de nombreux domaines: thérapies géniques, nanotechnologies, nouveaux produits, microchirurgies, imprimantes 3D médicales, intelligence artificielle dans le domaine médical,… Les chercheurs qui s’attaquent résolument au vieillissement sont presque exclusivement financés par le secteur privé. Par contre, les recherches dans le domaine des maladies neuro-dégénératives, où les progressions sont les plus difficiles et donc les plus lentes, sont le plus souvent publiques.
La recherche scientifique est de plus en plus collective. Aujourd’hui comme hier, les scientifiques sérieux passent un temps considérable à consulter les recherches de leurs collègues. Mais aujourd’hui, à la différence d’hier, il n’y a plus d’espace temporel entre la publication d’informations scientifiques et la consultation par les pairs. Une des conséquences positives en est que les recherches sont de plus en plus collectives et partagées. Une des évolutions négatives, dans le système économique actuel, est que les scientifiques sont amenés à des démarches de plus en plus nombreuses relatives à l’impact financier de leurs recherches. Ceci implique l’étude d’aspects juridiques complexes, évolutifs et très incertains et la création de structures juridiques d’autant plus complexes que les droits liés à la propriété intellectuelle des découvertes scientifiques varient considérablement selon les Etats et les périodes.
Pour les progrès médicaux liés à la longévité, l’enjeu est la vie ou la mort future de centaines de millions de personnes. La peur qu’un jour une thérapie ne soit accessible qu’aux riches est profonde.
Dans une mesure importante, cette peur est aussi excessive que la peur de ceux qui affirmaient à la fin du 20ème siècle que la communication mobile et l’accès internet seraient « bien sûr » réservés aux riches parce que les possédants n’avaient aucun avantage à ce que les pauvres aient l’accès aux connaissances. Aujourd’hui, la moitié des adultes de l’humanité ont un accès presque instantané à plus de connaissances que ce qui était accessible au plus érudits et aux plus puissants des humains d’il y a 40 ans seulement.
Cette peur est d’autant plus excessive que si, après-demain, des thérapies permettent une vie en bonne santé beaucoup plus longue, presque tout le monde y aura avantage. Les pressions morales, politiques, éthiques et sociales pour l’accessibilité seront énormes mais aussi les pressions économiques. Des individus se dégradant moins ou plus du tout avec l’avancée en âge, ce n’est pas seulement une bonne nouvelle pour les personnes qui ne souhaitent pas vieillir, c’est également une bonne nouvelle pour la société et pour les entrepreneurs en termes de coûts moindres de santé, de productivité accrue, de plus grande attention portée au long terme…
Cette évolution sera (fortement) facilitée si les thérapies sont découvertes dans un environnement juridique et social d’appropriation collective qui limite les tentations de faire primer l’intérêt financier individuel à court terme sur l’intérêt collectif à long terme. Cet environnement devrait également s’opposer aux différences devant la mort au nom d’idéologies inégalitaires.
Ceux qui, même à la gauche du champ politique, refusent des investissements accrus pour des recherches publiques pour la longévité représentent donc un frein à l’égalité à travers une vie beaucoup plus longue. Ils rejettent, ce qui peut se comprendre, la domination des sociétés privées non européennes dans la recherche médicale. Pour cela, ils arguent souvent de la nécessité d’un débat démocratique. Mais ils refusent aussi, de manière illogique, que la recherche publique en France et en Europe fasse l’objet, après un débat démocratique, de choix de priorités positives de santé pouvant bénéficier à tous.
La bonne nouvelle du mois: du 1er septembre au 1er octobre, un mois pour la longévité
Les activités scientifiques et sociales relatives à la longévité se multiplieront tout au long du mois de septembre. Elles culmineront avec deux conférences internationales simultanées, l’une à Bruxelles du 29 septembre au 1er octobre, l’Eurosymposium on Healthy Ageing, l’autre à l’Université de Stanford (Californie) du 30 septembre au 2 octobre, la conférence de l’International Society on Aging and Disease (ISOAD).
Le 1er octobre ayant été décrété journée internationale des personnes âgées, par l’ONU, cette journée est devenue, par extension, la journée internationale de la longévité et fera l’objet d’activités internationales relatives à la lutte contre le vieillissement: Longévitistes de tous pays, unissez-vous!
Pour en savoir plus:
- En français: le site de Heales et la partie du site de Technoprog consacrée à la longévité
- En anglais, les sites de l’International Longevity Alliance, SENS et Longecity
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